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« Droit » à la désobéissance civile : « Tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

C’est tout l’enjeu que pose un acte de désobéissance civile, selon John Pitseys, chercheur au Crisp et spécialiste en théorie politique. Introduire dans le droit la possibilité qu’on puisse le transgresser : joli défi.

Graver un droit à désobéir dans le marbre de la Constitution, est-ce osé ou sensé ?

L’idée a quelque chose de fascinant. De quoi parle-t-on au juste ? D’une forme non violente de résistance et de protestation contre une action politique publique. Le propre de la désobéissance civile est de poser en toute connaissance de cause un acte contraire à la loi, donc passible de sanctions. Par définition, elle est illégale. On introduirait ainsi dans le droit l’idée que l’on peut aller contre le droit. Le système juridique inclurait en son sein une sorte de clause qui ménage une marge de désobéissance. Ce ne serait pas énorme mais ce serait déjà pas mal.

Désobéir pour contester, ce n’est pas légalement admis ?

Martin Luther King distinguait le devoir moral d’obéissance à des lois justes et le droit moral de désobéissance à des lois injustes comme celles qui prônaient la discrimination raciale. Il estimait éthiquement légitime de poser des actes illégaux parce que considérés comme justes. C’est tout l’enjeu que pose la désobéissance civile : tout ce qui est légal n’est pas forcément légitime et tout ce qui est légitime n’est pas forcément juste. La légalité d’un régime ne suffit pas à bâtir sa légitimité.

John Pitseys, chercheur au Centre de recherche et d'information socio-politiques (Crisp).
John Pitseys, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp).© DR

Reconnaître constitutionnellement un droit à la désobéissance ou à la résistance est-il admissible et concevable dans un régime de démocratie représentative ?

La proposition n’est pas insoluble sur un plan théorique mais la mesure poserait questions sur le plan pratique. Dans un régime démocratique, légalité et légitimité sont intrinsèquement liées : ce qui est légal est considéré comme légitime. Mais un régime parfaitement légitime peut aussi produire des lois parfaitement injustes. Ainsi, je peux payer des impôts que je considère pourtant injustes. La désobéissance civile consiste à dire : soit cette règle est légale mais n’est pas légitime ; ou bien, quand bien même cette règle légale serait légitime, elle est tellement injuste qu’elle justifie qu’on y désobéisse. Tôt ou tard, la désobéissance civile excède toujours le droit.

Mais le raisonnement se tient ?

Ce n’est pas du tout une question farfelue, presque tout le monde s’accorde d’ailleurs à reconnaître qu’elle est très importante mais aussi très délicate à appréhender. Un acte de désobéissance civile interroge la cohérence du système même : qu’est-ce qui me donne le droit de décider, moi seul, de ne pas appliquer une mesure que je juge injuste ? Et puis, qui décide finalement qui est gentil et qui est méchant en désobéissant ? Les activistes qui piétinent des champs d’OGM, un bourgmestre qui refuse de prononcer le mariage de personnes du même sexe, peuvent être considérés à la fois comme des héros et des salauds selon le point de vue des écologistes ou d’un chrétien conservateur. Dans notre régime, c’est ensemble, au travers des institutions démocratiques, qu’est tranchée la question de ce qui est une mesure juste : c’est tout le pari de la démocratie.

Décréter l’état d’urgence environnemental comme le font des étudiants dans la rue ne légitime-t-il pas un droit à désobéir à un Etat qui ne répond pas à ce que l’on attend de lui, au nom d’un état impérieux de nécessité ? Le climat devient une question de vie ou de mort.

L’état d’urgence est typiquement une prérogative de l’Etat. En réclamant un état d’urgence climatique, des citoyens demandent que l’Etat et ses institutions agissent alors que la désobéissance civile revient à refuser d’appliquer une loi ou une mesure. Serait-il justifié, en guise de protestation, de ne plus payer ses impôts tant qu’on estime que l’Etat agit insuffisamment en faveur de l’environnement ?

Réserver une place à la désobéissance dans la Loi fondamentale du peuple belge, mieux vaudrait ne plus y penser ?

On peut voir cette suggestion comme un appel au pouvoir judiciaire, comme un outil supplémentaire donné aux citoyens qui en appelleraient aux cours et tribunaux si le législateur ou le pouvoir exécutif prenait des règles jugées liberticides. La proposition relève plutôt de l’incantation politique, avec tout ce qu’elle a d’ambivalent et de non résolu, mais elle est significative d’un point de vue symbolique. Son utilité serait de rappeler au législateur et au citoyen que le caractère légal d’une norme n’épuise pas la question de sa légitimité. Il faut être bien conscient du caractère paradoxal mais fécond du fait que le droit admette d’inclure en son sein la possibilité de ne pas en tenir compte. Cela étant, qui pourrait penser qu’un régime politique qui ne respecterait plus les règles du jeu démocratique et se muerait en un régime policier, tiendrait compte de cette possibilité d’activer une clause de désobéissance ?

A moins de prévoir le stade ultime de la résistance à l’oppression : le droit et le devoir constitutionnel du peuple à l’insurrection contre un gouvernement tyrannique qui violerait ses droits. La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon vient de chercher, en vain, à ressusciter cet héritage révolutionnaire contenu dans la Constitution française de 1793 qui n’a jamais été appliquée…

Le principe peut paraître généreux. L’idée en soi n’est pas incongrue mais paradoxale : elle revient à donner au peuple – mais c’est qui, le peuple ? – une permission de faire la révolution, permission qu’il ne demandera évidemment pas. Quand une insurrection survient, elle se fiche pas mal du droit.

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