© Nadia Diz Grana

La rue s’agite, le climat est à la bronca : « Pour un droit constitutionnel du citoyen à dire non »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le constitutionnaliste Marc Verdussen (UCLouvain) ose le débat : sur la reconnaissance d’un droit fondamental de contester pour renforcer la liberté de manifester. Sur l’instauration d’un droit à désobéir pour résister à un Etat belge qui serait livré au populisme.

Glisser un droit à désobéir dans la Constitution, c’est y insuffler un esprit de révolution ?

Il y a de cela. C’est admettre l’idée qu’un citoyen pourrait ne pas accepter une règle de droit adoptée de manière parfaitement légitime par les institutions compétentes pour le faire. C’est un affront à l’Etat de droit qui se voit ainsi remis en cause. D’emblée, je précise : je ne plaide pas coûte que coûte pour l’introduction d’un droit à la désobéissance, je ne suis d’ailleurs pas sûr que la démarche relève du possible mais la piste mérite à mes yeux d’être creusée et débattue. J’ouvre le chantier.

Pouvoir désobéir, mais à qui ? Quelle serait la cible ?

Ma réflexion part de la situation en Hongrie. Je suis étonné de voir à quelle vitesse une démocratie libérale peut verser dans le populisme et l’autoritarisme. On pourrait aussi parler de la Pologne, de la Turquie et d’une certaine manière de l’Italie. La Belgique n’est absolument pas à l’abri d’une telle dérive.

Il serait donc sage de lui appliquer le principe de précaution ?

Effectivement. Ces régimes populistes sont dangereux : ils s’abritent derrière la démocratie pour prétendre que seule compte la voix de la majorité du peuple. Les contre-pouvoirs y sont niés et les droits fondamentaux malmenés parce qu’ils sont une façon de mettre des bâtons dans les roues de la majorité au pouvoir. La partie opprimée du peuple se retrouve dès lors acculée et finit par ne plus pouvoir faire autrement que résister et désobéir.

Cette idée audacieuse surgit de nulle part ?

Non, elle n’est pas complètement saugrenue. Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule :  » Il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.  » La Constitution portugaise, adoptée après la chute du régime de Salazar (NDLR : régime autoritaire renversé par la révolution des OEillets en 1974) reconnaît le droit à l’insurrection contre toutes les formes d’oppression et un droit de résister à un ordre qui porte atteinte à ses droits, ses libertés et ses garanties fondamentales. La Loi fondamentale allemande dit aussi que tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser l’ordre constitutionnel s’il n’y a pas d’autres remèdes possibles. J’insiste : ma démarche se situe bien dans le contexte de l’avènement d’un régime populiste coupable de violations massives de droits fondamentaux, et non dans le cadre d’une contestation en Belgique de la politique de la suédoise…

Il faut éviter que les débordements de manifestants, condamnables, ne donnent l’occasion au pouvoir de restreindre le droit de manifester.

Mais comment donner vie et forme à un droit à désobéir ?

Même si résister c’est désobéir, je préfère parler d’un droit de résistance, moins subversif qu’un droit de désobéissance. Ce droit doit être évidemment encadré. Une résistance doit être conçue comme collective mais pourrait être déclenchée par un acte individuel qui mènerait à un boycott par exemple. Elle devrait être manifestée publiquement puisqu’elle tend vers un monde meilleur. Et, bien entendu, elle ne pourrait être légitime que si elle ne s’incarne dans aucune forme de violence.

Il faudrait donc de très bonnes raisons pour se déclarer à bon droit en résistance ?

Un droit de désobéir ou de résister ne pourrait être envisagé que comme un ultime recours. S’il peut paraître normal que le peuple s’oppose à un gouvernement qui n’agit plus pour le bien des gouvernés, cela à mes yeux ne suffit pas à légitimer un droit à la résistance. Il faudrait que l’autorité publique commette une violation manifeste, systématique, généralisée et grave des droits fondamentaux pour admettre qu’il y a rupture du contrat social et que porter atteinte à l’Etat de droit devient dès lors légitime.

Qui serait habilité à donner le signal, à décréter l’état de résistance ou de désobéissance ?

C’est le noeud du problème. En fait, il n’y a pas d’issue à partir du moment où plus aucun organe de l’Etat de droit ne serait en mesure de dire, de manière impartiale et indépendante, que la limite est dépassée. Une fois la ligne rouge franchie, un citoyen pourra brandir le droit de résister et de désobéir, mais il le fera dans un régime qui lui contestera évidemment ce droit.

Il ne peut donc s’agir que d’un voeu pieux ?

La démarche aurait une portée symbolique et le symbolique dans une Constitution, ça compte. Mais à ce stade, dans un régime politique comme le nôtre qui n’est en rien populiste ou autoritaire, consacrer un droit de désobéir paraîtrait effectivement oiseux, et un passage à l’acte serait impossible à justifier. Néanmoins, ne serait-il pas intéressant que la Constitution belge reconnaisse formellement à tous les citoyens un droit à la contestation ? Cela va de soi, me dira-t-on : il y a déjà la liberté de s’exprimer, de se réunir, de manifester.

Marc Verdussen, constitutionnaliste, professeur à l'UCLouvain.
Marc Verdussen, constitutionnaliste, professeur à l’UCLouvain.© FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA

Un droit constitutionnel de contester : où serait la plus-value ?

Il légitimerait la contre-démocratie, cette idée développée par le sociologue français Pierre Rosanvallon selon laquelle le citoyen doit pouvoir participer plus activement à la démocratie, y compris dans son complément négatif en lui donnant la possibilité de dire  » non « ,  » non  » à certaines décisions. Il aura aussi un effet d’incitation : son inscription dans la Constitution pourrait influencer l’attitude des autorités publiques mais, surtout, encourager les citoyens à se mobiliser. Ce serait une façon de légitimer aujourd’hui les actions non violentes des gilets jaunes ou des jeunes qui manifestent pour la sauvegarde du climat. Enfin, et c’est important, un tel droit pourrait influencer le juge dans l’interprétation des libertés de s’exprimer, de se réunir et de manifester. Si ces libertés fondamentales s’accompagnent d’un droit de contester également inscrit dans la Constitution, le juge sera amené à resserrer et à rendre plus strict le contrôle sur des ingérences du pouvoir dans la liberté de manifester.

Une prime à se faire mieux entendre et respecter du pouvoir, en somme ?

Les gens descendent plus facilement dans la rue, il faut pouvoir faciliter leur démarche. Il faut aussi et surtout pouvoir éviter que les débordements de manifestants, évidemment condamnables, ne donnent l’occasion au pouvoir de restreindre le droit de manifester.

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