Violette Morris avait tout pour déplaire aux moeurs de son temps. © Getty Images

Un esprit libre dans un corps d’athlète

Dans Femme qui court, Gérard de Cortanze réhabilite Violette Morris, championne pluridisciplinaire inouïe, à la colle avec le Tout-Paris, bisexuelle revendiquée et si émancipée pour son temps qu’on l’accusa de collusion avec la Gestapo.

« Sa vie est presque un chemin de croix. Avec une sorte de rédemption finale. C’est un personnage toujours en marge, mais c’est la différence qui fait avancer la société.  » Au-delà de son goût pour les bolides et de son intérêt marqué pour l’évolution de la place de la femme, voici ce qui intrigua Gérard de Cortanze lorsqu’il fut confronté à la personnalité qui habite son nouveau roman. Fille du baron Pierre Jacques Morris et d’Elisabeth Sakakini, Violette Morris (1893 – 1944) fut durant l’adolescence pensionnaire du couvent de l’Assomption à Huy. Un établissement pour filles de la haute bourgeoisie européenne, qui les encouragea, bien au-delà des normes hygiénistes de l’époque, à faire de l’exercice. Violette goûtera donc tôt à la compétition, qu’elle embrassera avec appétit, réussite mais aussi individualisme.  » C’est une sportive qui fume, jure et va casser la figure des spectateurs quand on l’insulte pendant un match « , s’amuse le romancier.  » Au début de sa carrière, le sport n’est accepté pour les femmes que parce que leur corps doit être harmonieux pour porter de beaux enfants. Violette refuse ce destin : elle veut battre des records. Pour l’époque, c’est inadmissible ! Cette position revendicatrice sera celle qui, après la Première Guerre mondiale, recoupera tous les grands mouvements féministes : les garçonnes, le droit à l’avortement, le droit de vote.  »

Gérard  de Cortanze :
Gérard de Cortanze :  » Si j’avais été intimement convaincu que c’était une tortionnaire, je n’aurais jamais écrit ce livre. « © Witi De TERA/Opale/Leemage/ Éditions Albin Michel

Son puissant corps de jeune femme empochera jusqu’à 50 médailles, boxera alors qu’on l’interdit à son sexe, lancera le poids, jouera au football, enfourchera une moto, se placera derrière un volant, battant les hommes à leur propre jeu. Non contente de ses exploits, Violette subira une double mastectomie pour être encore plus performante. Fera un mariage bref avec un homme mais, vêtue d’un costume et d’un noeud papillon, aura quantité d’amantes, depuis celle avec qui le photographe Brassaï l’immortalise au Monocle, boîte de nuit lesbienne à Paris, à Yvonne de Bray, proche de Jean Cocteau. C’est une nature plurielle et complexe qui chantera au cabaret, fréquentera Joséphine Baker et se verra interdire de porter le pantalon en compétition. Autres temps, autres moeurs ? Il y a peu, Serena Williams, préférant la combinaison à la jupette, a dû, elle aussi, se montrer obstinée pour faire admettre ses choix .

Femme qui court. Violette Morris, la scandaleuse, par Gérard de Cortanze, Albin Michel, 416 p.
Femme qui court. Violette Morris, la scandaleuse, par Gérard de Cortanze, Albin Michel, 416 p.

Reste un trou noir dans cette trajectoire : en 1944, Violette Morris aurait été exécutée par le groupe résistant Surcouf, pour collaboration et faits d’espionnage, après un rapprochement qui aurait eu lieu aux Jeux de Berlin en 1936. C’est ce qu’affirme l’historien et romancier Raymond Ruffin, qui a consacré plusieurs livres à celle qu’il nomme la Hyène de la Gestapo. A la suite de Marie-Jo Bonnet, spécialiste de l’histoire des femmes, Gérard de Cortanze nous dit s’opposer fermement à cette théorie qu’il juge non étayée :  » Si j’avais été intimement convaincu que c’était une tortionnaire, je n’aurais jamais écrit ce livre. Violette Morris avait tout pour déplaire parce qu’elle était sportive, femme et lesbienne. Un bouc émissaire parfait.  »

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