Zahi Hawass : " Je suis révolté par le fait que certains pays n'ont plus de patrimoine à montrer à leurs citoyens. " © VALENTIN BIANCHI/HANS LUCAS POUR LE VIF/L'EXPRESS

Archéologie : « On ne peut jamais savoir de quoi hier sera fait »

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Archéologue, Zahi Hawass a été pendant près de dix ans le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités d’Egypte. Il évoque ici l’épineuse question de la restitution des patrimoines artistiques à leurs pays d’origine.

Depuis que le président français, Emmanuel Macron, a commandé un rapport aux experts Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, l’an dernier, la question de la restitution des patrimoines africains à leurs pays d’origine est d’une brûlante actualité. Comment vous positionnez-vous sur la question ?

Jusqu’en 2011, je n’ai eu de cesse de demander aux gouvernements occidentaux la restitution d’objets d’art ayant été volés à mon pays. Je pense en particulier au buste de Néfertiti du Neues Museum à Berlin, au Zodiaque de Dendérah du Louvre à Paris ou à la pierre de Rosette qui se trouve au British Museum. Il me semble avoir été l’un des premiers à oeuvrer en ce sens. La révolution égyptienne a mis fin à ces démarches. Vous ne pouvez donc pas imaginer quelle joie j’éprouve à voir des nations telles que la Chine, la Grèce ou le Congo-Kinshasa réclamer le retour d’oeuvres d’art qui leur appartiennent de plein droit. Maintenant que la situation est à nouveau stable en Egypte, cet exemple et l’attitude du président Macron m’incitent à reprendre du service. J’ambitionne de mettre une équipe sur pied pour aller jusqu’au bout de ce combat juste et nécessaire.

Au point de réclamer la restitution de la totalité des pièces détenues par les musées ?

Non, absolument pas. Je n’exige que le retour des objets qui ont été volés, à l’instar des oeuvres que je viens de citer.

Souvent, c’est difficile de suivre la trajectoire des oeuvres et de dire si elles ont été subtilisées ou non…

Pas du tout. La restitution que j’imagine doit s’appuyer sur des preuves formelles indiscutables, comme c’est le cas pour le buste de Néfertiti qui a été sorti d’Egypte de manière illégale, en 1912. Il incombe aux nations concernées de constituer des dossiers en béton pour récupérer leur patrimoine. Du côté occidental, il est absolument nécessaire que les musées cessent d’acquérir des oeuvres volées, ce qui se produit aujourd’hui encore. Ce type de comportements impérialistes doit finir sans délai. Le temps où la France et l’Angleterre régnaient sur l’Afrique est définitivement révolu.

En Belgique, sans pour autant restituer les objets d’art au Congo, le nouveau musée de Tervuren a misé sur la pédagogie pour contextualiser les pièces en question… L’approche se veut postcoloniale. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose. Mais la priorité reste qu’à l’heure où nous parlons, des voleurs profanent des tombes pour en vendre les richesses à des musées et des collectionneurs occidentaux. Je suis également révolté par le fait que certains pays n’ont plus de patrimoine à montrer à leurs citoyens. Ceux-ci sont coupés de leur culture et de leur histoire, c’est insupportable. Il faut faire marche arrière de toute urgence.

L’attentat qui a eu lieu près des pyramides de Gizeh, le 28 décembre dernier, qui a tué trois touristes vietnamiens et un guide égyptien est-il le signe d’une recrudescence du terrorisme ? La situation était sous contrôle depuis 2017…

Cet attentat, dont le modus operandi révèle la faiblesse des terroristes ( NDLR : un engin explosif rudimentaire) est de ceux qui peuvent se produire à n’importe quel endroit du monde. De plus, la riposte a été fulgurante, le gouvernement n’est pas resté les bras croisés (NDLR : une quarantaine de  » terroristes  » ont été tués). En Egypte, tout le monde trouve son intérêt dans le tourisme. Le pays entier soutient la venue de visiteurs étrangers car ce sont eux qui permettent de remplir les assiettes. Je peux assurer la totale sécurité aux voyageurs belges qui voudraient venir dans notre pays.

Le 2 février, le ministre égyptien des Antiquités Khaled el-Enani a annoncé la découverte de 40 momies vieilles de plus de 2 000 ans dans des catacombes sur le site archéologique de Touna el-Gebel, au centre du pays.
Le 2 février, le ministre égyptien des Antiquités Khaled el-Enani a annoncé la découverte de 40 momies vieilles de plus de 2 000 ans dans des catacombes sur le site archéologique de Touna el-Gebel, au centre du pays.© AMR ABDALLAH DALSH/REUTERS

N’existe-t-il pas une contradiction profonde entre la préservation du patrimoine et sa présentation au grand public ?

Le tourisme est l’ennemi de l’archéologie parce qu’il endommage les monuments. Les flashs, les sacs encombrants… tout ça porte préjudice au patrimoine. Mais comme je vous l’ai expliqué, il est crucial pour l’Egypte de pouvoir bénéficier des revenus liés aux visiteurs étrangers. Pour trouver un équilibre, je crois en un système de rotation : comme fermer une pyramide pendant une période déterminée et puis la rouvrir. Cette approche devrait être pratiquée partout dans le monde.

D’importantes découvertes archéologiques ont été récemment exhumées dans la région de Louxor. Y a-t-il encore beaucoup de trésors de l’Antiquité à sortir de terre ?

La découverte de trois tombes inédites sur la rive ouest du Nil a apporté un nombre considérable de nouveaux objets ainsi que des momies. Je poursuis aussi une série d’excavations dans la partie occidentale de la Vallée des Rois, où se trouve le tombeau d’Amenhotep III, et du côté oriental qui fait place à soixante monuments funéraires dont celui de Toutankhamon. Je compte bien trouver la sépulture de Néfertiti mais aussi celles de Thoutmôsis II et de Ramsès VIII. En avril prochain, nous allons annoncer une découverte majeure sur Discovery Channel, en live, depuis l’endroit en question. En dépit de toutes ces recherches et trouvailles, j’ai coutume de dire que nous n’avons révélé que 30 % de cet incroyable patrimoine ; 70 % reposent encore sous le sol (NDLR : le 2 février, le ministre égyptien des Antiquités Khaled el-Enani a annoncé la découverte de 40 momies vieilles de plus de 2 000 ans dans des catacombes sur le site archéologique de Touna el-Gebel, au centre du pays).

En toute logique, notre connaissance de l’Egypte ancienne va évoluer de manière significative…

Incontestablement. Chaque année des découvertes essentielles sont faites. Il faut ajouter le développement des technologies : il y a trois ans, notre regard sur la pyramide de Khéops a complètement changé en raison de la découverte de deux cavités ignorées jusque-là. Nous avons été aidés par les détecteurs infrarouges, la radiographie par muons ( NDLR : des sortes d’électrons lourds pouvant traverser très facilement des roches de grande épaisseur et permettre ainsi de discerner zones vides et zones plus denses) et la modélisation 3D. En égyptologie, il faut comprendre une bonne fois pour toutes qu’on ne peut jamais savoir de quoi hier sera fait.

Pendant près de dix ans vous avez eu entre vos mains les clés de l’archéologie dans votre pays. Quel regard jetez-vous sur cette période ?

Beaucoup d’observateurs, tant égyptiens qu’étrangers, vous diront que, jusqu’en 2011, mon pays a vécu l’âge d’or de l’archéologie. A l’époque, j’étais ferme mais juste avec tout le monde. Pour moi, les farfelus qui élaboraient des théories fumeuses sur les pyramides n’avaient pas leur place en Egypte. En revanche, les portes étaient largement ouvertes aux scientifiques.

Craignez-vous pour la préservation du patrimoine culturel syrien ?

En 2017, j’ai exercé le rôle d’ambassadeur pour le patrimoine culturel à la demande des Nations unies. Je n’ai jamais caché mes craintes quant à ce qui se passait en Irak, au Yémen, en Libye ou en Syrie. Les terroristes détruisent notre histoire commune. Si la reine Zénobie ( NDLR : qui a régné entre 267 et 273) devait revenir à Palmyre maintenant, elle serait inconsolable. C’est une honte de voir un tel joyau détruit.

Quel est le site archéologique égyptien qui est le plus injustement méconnu ?

Il ne faut pas aller chercher très loin. La plupart des visiteurs n’en ont que pour la pyramide de Khéops alors que celle de Khéphren est négligée. C’est une grave erreur car sa configuration permet de comprendre comment ce genre d’édifice était construit. C’est un site fantastique.

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