Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Dabadabada ?

Où il est question d’un homme et d’une femme, d’une pluie de moules et d’abattoirs.

Une zone de précipitations active traversera la Belgique aujourd’hui, provoquant des rafales de vent allant jusqu’à 135 km/h. Cet ouragan entraînera d’importantes chutes de neige et des giboulées de fruits de mer, particulièrement au sud du sillon Sambre-et-Meuse (1).  » A 9 h 07, ce jeudi matin, à Bruxelles, dans l’Uber qui la ramène au Geyser, une femme moustachue, flanquée d’un bonnet rose à oreilles félines, écoute ce bulletin météo. Féministe militante, elle s’en revient de la troisième Women’s Wave (Vague des femmes) qui les a fait voguer devant la Maison-Blanche. Au même moment, à 250 km de là, dans un taxi, un homme nu, plaquant sur son entre-jambe une photo de moule, écoute le même bulletin météo. Humoriste gaulois souvent taxé de misogynie, il est en tournée pour le spectacle qui doit couronner sa carrière.

A 9 h 10, dans l’Uber, Goliarda entonne Chadabadaba, sans vraiment savoir pourquoi, tout en éprouvant une vindicative envie d’aller quérir fleurs et légumes. Dans le taxi, Jean-Marie B. psalmodie exactement le même air, tout en mettant le cap sur Anderlecht, sans vraiment savoir pourquoi non plus (2). Après l’improbable bulletin météo, tempêtes, orages et tsunamis font valdinguer étoiles de mer et poulpes qui se collent aux joues et bousillent les pare-brise. Partout, la panique, la calamité. Partout, les cabrements, la convulsion, les cris. Des crevettes s’accrochent méchamment aux cheveux. Lustrées comme des souliers du dimanche, des moules rebondies lapident les passants sans chichis. Une vieille dame étranglée par un calamar est même étendue sur la chaussée, gênant le trafic. Un policier apostrophe les automobilistes, en moulinant l’air de son bras droit, exigeant une mise en branle immédiate du bouchon, mollusque assassin ou pas.

A midi, sous l’incongrue et véhémente pluie marine, l’homme du taxi et la femme de l’Uber se font face, sur le toit des abattoirs d’Anderlecht. Entourés de luxuriants jasmins d’hiver parfumés et de beaux potirons mafflus, cet homme et cette femme – épris de cinéma français et mus par un réflexe pavlovien – se mettent à courir l’un vers l’autre. Au ralenti. Les voilà qui trottinent maladroitement entre les choux de Bruxelles, la neige et les moules, en haletant la chanson, sur une musique de Francis Lai et des paroles de Pierre Barouh (3), lorsque retentit la voix de Claude Lelouch :  » Cinquante-trois ans que je me tue à dire que ce n’est pas Chabadabada, mais Dabadabada ! Coupez !  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15…

(1) En juin 2018, les réseaux sociaux se sont emballés, suite à une  » pluie  » de fruits de mer frappant la ville chinoise de Qingdao : une infox.

(2) Avec ses 5 000 m2 de fleurs et autres végétaux, le toit de l’abattoir d’Anderlecht, à Bruxelles, est l’un des plus grands potagers urbains européens.

(3) Claude Lelouch filme le troisième volet d’Un homme et une femme. Les paroles de la BO ne sont pas  » Chabadabada « , mais  » Dabadabada « , un hommage au scat, ce jazz utilisant des onomatopées, que Lelouch adore.

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