Compositeur français le plus connu aux Etats-Unis, Michel Legrand y a, entre autres, remporté trois Oscars. © Cyril Dodergny/BELGAIMAGE

Michel Legrand, une vie en musique

Pianiste, compositeur de musiques de film et de chansons, chef d’orchestre, arrangeur, chanteur atypique, Michel Legrand a vécu plusieurs vies musicales que traversèrent Miles Davis, Jacques Demy et Orson Welles, la Nouvelle Vague et Hollywood. A l’heure de sa disparition à l’âge de 86 ans, on replonge dans un coffret thématique tout récemment sorti rassemblant son oeuvre protéiforme.

Sorti peu avant les fêtes de fin d’année, le coffret Les Moulins de son coeur couvre, en 20 CD, tous les aspects de la carrière musicale de ce touche-à-tout de génie qu’était Michel Legrand. Fils du compositeur et chef d’orchestre Raymond Legrand (un élève de Gabriel Fauré), frère cadet de la chanteuse Christiane Legrand (les Double Six, les Swingle Singers, la voix d’Anne Vernon dans Les Parapluies de Cherbourg et celle de Delphine Seyrig dans Peau d’âne), Michel Legrand fut avant tout un passionné de musique noire américaine.

Leader d’un trio dans les années 1950, il écume les clubs de jazz. A la demande du producteur Jacques Canetti, il jazzifie, en 1954, quelques rengaines de la chanson française. I Love Paris connaît un succès si inattendu (il s’en vendra huit millions d’exemplaires) que Philips et la Columbia accèdent à son voeu le plus cher : enregistrer un disque à New York avec les plus grandes stars de jazz. Avec Legrand Jazz qui ouvre le coffret, il réunit alors les héros de sa jeunesse. Les titres interprétés pendant ces sessions ( ‘Round Midnight, A Night In Tunisia, Blue and Sentimental, Nuages et bien d’autres) seront choisis avec Boris Vian peu avant son départ aux Etats-Unis. La première session est construite autour du quintette de Miles Davis – lequel attendra de voir le petit Français au travail pour décider, au dernier moment, s’il se joint ou non à l’orchestre. En trois séances qui se succèdent à deux ou trois jours d’intervalle, Legrand va réunir outre Miles, John Coltrane, Phil Woods, Ben Webster, Paul Chambers, Bill Evans, Herbie Mann, Hank Jones, Art Farmer et bien d’autres, devenant ainsi le jazzman français le plus respecté aux Etats-Unis depuis Django Reinhardt. Musicien accompli (il est alors âgé de 26 ans), il étonne ses producteurs américains en leur annonçant qu’il sera aussi l’arrangeur de tous les titres de l’album. Par la suite, plusieurs de ses compositions deviendront des standards de jazz popularisés par Bill Evans et Chet Baker, à l’image de Y ou Must Believe in Spring ( Chanson de Maxence) ou The Summer Knows (thème d’ Un été 42), mais aussi Louis Armstrong ( I Will Wait For You) ou Ray Charles ( Love Makes the Changes).

Avec Barbra Streisand, dont il devient l'arrangeur dans les années soixante.
Avec Barbra Streisand, dont il devient l’arrangeur dans les années soixante.© COLLECTION CHRISTOPHEL/BELGAIMAGE

Nouvelle Vague

Sa rencontre en 1959 avec François Reichenbach ( L’Amérique insolite) et son étroite collaboration avec Jacques Demy ( Lola, Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Peau d’âne…) le conduisent à composer pour d’autres cinéastes de la Nouvelle Vague comme Agnès Varda ( Cléo de 5 à 7) ou Jean-Luc Godard ( Une femme est une femme, Vivre sa vie, Bande à part). En 1966, il s’installe à Los Angeles avec le désir de travailler à Hollywood. Un pari loin d’être gagné mais qui, grâce à ses amis et admirateurs que sont Quincy Jones et Henry Mancini, lui permet de devenir arrangeur pour Barbra Streisand. Il ne lui faut pourtant que deux ans pour remporter, avec la chanson The Windmills of Your Mind ( Les Moulins de mon coeur) figurant sur la BO de L’Affaire Thomas Crown, son premier Oscar. On lui en décernera deux autres pour les musiques de A Summer Of 42 (Un été 42) et Yentl, ces derniers respectivement en 1976 et 1985. Parallèlement, il est nommé 27 fois aux Grammy Awards entre 1971 et 1975 et s’en verra décerner cinq. Sa carrière hollywoodienne s’enrichira encore, en 1971 et 1985, des musiques originales des films Le Mans (Lee Katzin) et The Hunter (Buzz Kulik), tous deux interprétés par Steve McQueen avec lequel il avait tissé un lien professionnel.

En France, auteur de la bande originale de La Piscine (1968) de Jacques Deray, Michel Legrand a composé pour Jean-Paul Rappeneau, La Vie de Château (1965), Les Mariés de l’an II (1970) et Le Sauvage (1975) et, pour Orson Welles, les musiques de F For Fake ( Vérités et mensonge, 1974) ainsi que, bien plus tard, celle du posthume The Other Side of the Wind (1970/2018).

Michel Legrand : Les Moulins de son coeur (Decca/ Universal).
Michel Legrand : Les Moulins de son coeur (Decca/ Universal).

Outre son travail pour des artistes des deux côtés de l’Atlantique (aux Etats-Unis, ses paroliers seront le couple Alan et Marilyn Bergman), Barbra Streisand en tête, Michel Legrand abordera aussi (comment pouvait-il en être autrement ? ) la comédie musicale. En dehors des adaptations des films de Demy pour la scène, il en écrira essentiellement deux. Si la seconde, Bistrot, est restée inédite (mais sa maquette figure dans le coffret), la première, Monte-Cristo, adaptée d’Alexandre Dumas (bien sûr) sur un livret de Jean Cosmos et les paroles d’Eddy Marnay sera créée à Bruxelles au théâtre de La Monnaie en septembre 1975, avant de rejoindre Paris et le théâtre des Champs-Elysées.

Chanteur pour Brel

Le présent coffret détaille bien d’autres aspects de ses aventures musicales, à l’image de sa carrière de chanteur que documentent deux CD et qui, à l’en croire, aurait été provoquée par Jacques Brel, lequel voulait, à une époque non précisée, voir Michel Legrand assurer la première partie de ses tours de chant. Il met aussi en avant un aspect du compositeur resté méconnu et qui concerne son oeuvre symphonique. Celle-ci comprend un concerto pour piano (dont il est le soliste), un Saut d’octave écrit pour le trompettiste Maurice André, des Pastorales de Noël interprétées par Alexandre Lagoya et Jean-Pierre Rampal, ou encore une Suite symphonique tirée de la musique de Yentl.

Somme musicale impressionnante, Les Moulins de son coeur est sans doute le plus beau monument que se sera élevé un musicien à lui-même, tant on y devine sa présence active et son perfectionnisme sans faille. Peut-être savait-il, déjà à ce moment, que son temps serait… conté ?

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