Chaque année, le Belge dépense, en moyenne, 150 euros en médicaments aux caisses des pharmacies. Mais ce n'est pas tout... © Sierakowski/Closon/Isopix

Pourquoi vous payez en réalité deux fois vos médicaments

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Un médicament ne se paie pas seulement qu’à la pharmacie. Une partie des impôts sert à le financer en amont, durant la phase de recherche et développement. Coût annuel par citoyen : 684 euros, selon un calcul de Test-Achats. Qui estime que ce montant pourrait être mieux utilisé.

Que faire avec 684 euros ? Partir en city trip ? Tenter un (très) bon resto ? Offrir un beau bijou ? Ou bien acheter des médicaments ? Pas la peine : ça, l’Etat le dépense chaque année pour le compte de chaque citoyen. Et le calcul, c’est cadeau ! De la part de Test-Achats. Dans le nouveau numéro de son magazine Test Santé, l’association de défense des consommateurs a voulu savoir quel montant les Belges consacraient au poste  » pilules et comprimés « . Pas seulement aux caisses des pharmacies, soit 150 euros en moyenne par an, selon la plus récente enquête sur le budget des ménages réalisée en 2016 par Statbel (direction générale statistique du SPF Economie). Mais surtout via les impôts et les cotisations sociales, qui servent à financer la part moins visible de l’iceberg médicamenteux.

Première strate : l’Inami et le remboursement des médicaments. L’Institut national d’assurance maladie-invalidité y a consacré 4,32 milliards en 2017. Une moyenne de 400 euros par habitant. Qui gonfle, qui gonfle, qui gonfle. Un an plus tôt, ce montant atteignait 4,1 milliards. Il ne devrait pas diminuer de sitôt, puisque les firmes pharmaceutiques ont tendance à fixer des tarifs toujours plus élevés pour leurs nouveaux produits, pointe Test-Achats, citant l’exemple des traitements innovants contre le cancer. A eux seuls, ils ont coûté 600 millions à l’Inami, quatre fois plus qu’il y a dix ans. Un patient en quête de rémission devra parfois débourser… 100 000 euros pour se soigner.

La faute au coût de la recherche et développement, comme l’assurent les firmes pharmaceutiques ? Test-Achats n’en est pas convaincue. Et souligne que cette R&D est elle-même financée par des fonds publics. Chaque citoyen paierait donc ses médicaments deux fois, en quelque sorte. En 2015, selon les calculs de l’association, 575 millions d’euros provenant des impôts ont été alloués à la recherche biomédicale en Belgique, à destination des universités, des centres de recherche ou directement des entreprises. Soit 53 euros par habitant.

Une recherche pas toujours utile

Le secteur pharmaceutique bénéficie par ailleurs de plusieurs mécanismes de réductions d’impôts, censés booster la recherche. Exonération fiscale de 80 % des revenus des brevets (qui représenteraient une perte de 606 millions pour l’Etat), crédit d’impôt pour les investissements en R&D (143 millions) et 80 % de réduction du précompte professionnel sur le salaire des chercheurs employés (112 millions en 2016). Verdict : 81 euros par contribuable.

150 euros (pharmacie) + 400 (Inami) + 53 (recherche médicale) + 81 (avantages fiscaux) = 684 euros, le compte est bon. Un montant indicatif, puisque tous ces chiffres ne datent pas de la même année. Mais un montant qui, selon Test-Achats, pourrait être utilisé à meilleur escient. Se basant sur une analyse du Bureau du plan, l’association estime que le crédit d’impôt, comme la déduction fiscale des revenus des brevets (remplacée depuis 2016 par une déduction pour revenus d’innovation), ne serviraient pas tant à stimuler la recherche qu’à minimaliser les impôts.

De nombreuses u0022nouveautésu0022 ne seraient rien de plus qu’un copier-coller de produits existants.

Dans une analyse publiée en septembre dernier, l’ONG Oxfam cite un exemple concret. Entre 2012 et 2017, Janssen Pharmaceutica (filiale du géant américain Johnson & Johnson) a reçu 51 millions d’euros de subsides publics. Entre 2013 et 2017, cette même entreprise a pu déduire cinq milliards de sa base imposable grâce à l’exonération des brevets. La firme n’aurait payé que 1 à 2 % d’impôts entre 2013 et 2015.

Test-Achats considère également que tout cet argent public ne contribue pas toujours à une recherche utile. Tous les traitements mis sur le marché ne se révèlent pas révolutionnaires. Selon le magazine français Prescrire, sur 92 nouveaux médicaments apparus en 2017, seuls dix présentaient un réel progrès par rapport aux  » anciens  » déjà sur le marché.  » Les fabricants ne doivent pas démontrer que le nouveau produit est plus efficace qu’un existant. Il lui suffit d’exercer plus d’effet qu’un placebo « , épingle l’association. Qui ajoute que de nombreuses  » nouveautés  » ne seraient  » rien de plus qu’un copier-coller de produits existants. Grâce à une petite adaptation sans plus-value démontrée, le producteur profite d’un nouveau brevet et d’un monopole total pendant plusieurs années. La seule chose qu’il lui reste à faire, c’est de convaincre les médecins. Et il utilise tous les moyens marketing possibles.  »

Autre reproche : trop d’argent serait gaspillé faute de collaborations. Des études similaires seraient inutilement répétées car les firmes ne se partageraient guère leurs données. Trop d’études seraient réalisées dans certains domaines, tandis que d’autres – moins attractifs financièrement – seraient sous-explorés.  » Pour certaines maladies, quasiment aucun médicament n’est développé, alors qu’il y a un besoin énorme « , regrette l’association, qui cite les nouveaux antibiotiques pour lutter contre les bactéries ultrarésistantes ou les traitements contre la maladie d’Alzheimer.

Que peuvent les politiques ?

Depuis le début de sa croisade pour des médicaments moins chers, en 2016 (sa pétition avait réuni 43 000 signatures), Test-Achats a formulé une série de recommandations à l’attention des responsables politiques. Par exemple, que les pouvoirs publics ne débloquent des subsides qu’en fonction des besoins médicaux les plus importants, en exigeant en contrepartie que les résultats soient publiés et que les traitements soient in fine vendus à des tarifs abordables. En novembre dernier, lors d’un symposium organisé au Parlement fédéral, huit partis politiques marquaient leur accord sur ces propositions, sauf le CDH et la N-VA concernant l’obligation de tarifs abordables (le MR n’avait pas répondu).

Il n’y aurait plus qu’à ? Peut-être serait-il plus simple de contraindre le secteur pharmaceutique si celui-ci ne représentait pas, en 2017, 35 711 travailleurs (dont 5 098 chercheurs, soit 1 000 de plus qu’en 2014) et 40,5 milliards d’euros d’exportations. Selon pharma.be, l’association générale de l’industrie du médicament, la Belgique se situe à la deuxième place en Europe en matière d’investissements en recherche et développement, derrière le Danemark. Douze pour cent des études cliniques européennes sont réalisées chez nous. Alors, 684 euros, cher payé, ou pas ?

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