Gérald Papy

Pourquoi tant de violences ?

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La dernière mobilisation des gilets jaunes a mis en lumière une transgression inédite : s’en prendre aux institutions est devenu une finalité en soi.

Thomas d’Ansembourg peut voir l’avenir en rose. Le psychothérapeute belge aura rarement été aussi sollicité qu’en cette entame de 2019 : porté en couverture d’un hebdomadaire français, invité d’honneur de la réception de Nouvel An de l’Union wallonne des entreprises, conférencier du Comité de coordination des organisations juives de Belgique… Ce regain d’intérêt (1) autorise une lecture double. Ses conseils en communication non violente percolent de plus en plus dans la société, hypothèse optimiste. Ou c’est précisément la société qui se révèle de plus en plus violente et requiert davantage de soins.

L’actualité incline à privilégier la seconde réponse. Sa dernière mobilisation, le samedi 5 janvier en France, a montré non seulement que le mouvement des gilets jaunes n’avait pas  » cédé  » aux concessions en matière sociale d’Emmanuel Macron mais qu’il prenait de surcroît une orientation plus radicale. Et ce n’est même plus la responsabilité de groupuscules extérieurs qui peut cette fois-ci être questionnée.

Ce constat d’un accroissement des passages à l’acte violent ne se limite pas en France aux seuls gilets jaunes. Des indices en ont été donnés en marge des traditionnels défilés syndicaux du 1er mai et lors de la poussée de fièvre des lycéens à l’automne dernier. Il pourrait donc être, somme toute, le symptôme d’une désespérance sociale déjà observée par le passé dans les démocraties occidentales. Il est révélateur que le gouvernement français, dans l’arsenal des mesures de sécurité annoncées, étudie la mise en place d’un fichier des casseurs sur le modèle de celui qui cibla, avec une certaine efficacité, les supporters dans les années 1980, au paroxysme des violences dans le football. Un hooliganisme… qui semble précisément renaître, comme en témoignent une résurgence des heurts entre supporters et la recrudescence des expressions racistes et antisémites, de Milan à Bruges.

La dernière mobilisation des gilets jaunes a mis en lumière une transgression inédite : s’en prendre aux institutions est devenu une finalité en soi.

La dégradation du contexte social n’est pourtant pas seule en cause désormais. La dernière mobilisation des gilets jaunes a mis en lumière une transgression inédite. Entre l’attaque à l’engin de chantier d’un ministère et le tabassage en règle d’un policier, s’en prendre aux institutions de l’Etat semble être devenu une finalité en soi. Cette propension traduirait au-delà de la défiance du politique observée depuis quelques années, une véritable haine du pouvoir représentatif, pourtant socle de la démocratie. C’est particulièrement inquiétant.

Cette dérive s’explique-t-elle par les tentatives d’instrumentalisation, par l’extrême droite ou par l’extrême gauche, d’un mouvement sans autre ligne directrice que des revendications de revalorisation du pouvoir d’achat ? Celui-ci ne se résume pourtant pas à cette récupération. Car il porte une critique légitime d’un monde politique qui a trop souvent privilégié des  » intérêts supérieurs  » au bien commun et préféré, pour justifier pareil choix, l’arrogance du monarque convaincu à l’écoute du citoyen sceptique. Ce diagnostic doit interroger le responsable politique sur son rôle. Dans cette optique, l' » éthique de l’humilité « , promue par l’ancien ministre socialiste Benoît Hamon dans une tribune au Monde, est revigorante et salutaire quand  » elle prend acte de l’incapacité des élus à transformer le réel sans l’engagement de la société  » et quand  » elle assume l’efficacité d’un partage démocratique du pouvoir face à ceux qui le concentrent ou le confisquent à leur profit « .

(1) Le Vif/L’Express lui a consacré un grand entretien le 3 mars 2017.

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