Jair Bolsonaro (premier à g.) et Wilson Witzel (avec des lunettes), le nouveau gouverneur de Rio : deux adeptes de la manière forte. © F. SOUZA/AFP

Au Brésil, ces extravagants nouveaux élus

Le Vif

Le président Jair Bolsonaro n’est pas le seul candidat fantasque plébiscité à l’automne. Passage en revue.

Des policiers, des YouTubeurs, quelques pasteurs, un ex-acteur porno… Jair Bolsonaro, qui a pris ses fonctions de président de la République le 1er janvier 2019, a ébranlé le paysage politique du Brésil. L’élection, à l’automne, du candidat célèbre pour ses diatribes sexistes, racistes et homophobes, est pourtant loin d’être une exception : 47 % des députés ont été renouvelés les 7 et 28 octobre derniers. Une myriade de candidats extravagants ont été élus député fédéral, député d’Etat ou encore gouverneur.

Pas ou peu connues des Brésiliens avant la campagne électorale, bon nombre de ces personnalités, atypiques, ont été portées par la vague de  » dégagisme  » qui a mené l’ex-capitaine de l’armée à la tête du Brésil, après un vaste scandale de corruption et plusieurs années de panne économique. C’est le cas du nouveau gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro, Wilson Witzel. L’obscur petit juge a balayé le favori, l’ancien maire de la deuxième ville du pays, Eduardo Paez. Adepte de la manière forte dans cette ville rongée par la violence, Witzel a suggéré de déployer des snipers – voire des drones – pour abattre les criminels armés des favelas.  » Ce qu’il faut, c’est tuer le délinquant. La police fera ce qui est juste. Viser la tête et feu !  » a-t-il déclaré au lendemain de son élection au journal Estadao.

Parmi les nouveaux députés : la chanteuse de gospel évangélique Flordelis.
Parmi les nouveaux députés : la chanteuse de gospel évangélique Flordelis.© MK MUSIC

Le Parti social-libéral (PSL) de Bolsonaro, passé d’un parlementaire lors du précédent scrutin à 52, est désormais le deuxième parti de la Chambre des députés et compte plusieurs élus hauts en couleur. Couleur kaki pour vingt d’entre eux, militaires ou policiers. Comme Daniel Silveira qui, pendant la campagne électorale, s’est fièrement fait photographier tenant dans les mains la plaque brisée à la mémoire de Marielle Franco, conseillère municipale et militante des droits de l’homme assassinée en mars dernier.

Plus encore que lors des précédents scrutins, les réseaux sociaux ont été le terrain de jeu de fans de la gâchette. Parfois de manière accidentelle, comme dans le cas de Katia Sastre, policière de Sao Paulo célèbre pour avoir abattu un braqueur devant le lycée de son fils. Les images tournées par une caméra de sécurité ont fait un tabac en ligne. Elle est devenue la 15e députée fédérale la mieux élue du Brésil.  » J’ai tiré et je le referai « , se félicite la mère de famille de 42 ans.

Internet a aussi servi de rampe de lancement au YouTubeur Marcio Labre, député élu de l’Etat de Rio désireux de modifier la Constitution pour interdire les  » partis et mouvements communistes  » et instaurer le  » travail forcé  » pour les prisonniers. Ou encore au sergent Fahur, policier de l’Etat du Paraná, qui, sur sa page Facebook aux 3,2 millions d’abonnés, fustige les pauvres, ces  » vagabonds  » qui ne méritent qu’une  » balle dans le cul « .

Parmi les nouveaux députés : la policière Katia Sastre, célèbre pour avoir abattu un braqueur.
Parmi les nouveaux députés : la policière Katia Sastre, célèbre pour avoir abattu un braqueur.© N. ALMEIDA/AFP

Boeufs, bible et balles

Le coup de balai de l’automne a aussi vu émerger la jeune génération de la nouvelle droite brésilienne. Figure de proue : Kim Kataguiri, 22 ans, l’un des fondateurs de l’ultralibéral Movimento Brasil Livre (Mouvement du Brésil libre), qui, en 2016, a mené une farouche campagne, en ligne d’abord, puis dans la rue, pour faire tomber la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs). Ce Brésilien d’ascendance japonaise a puisé son inspiration dans Breitbart, le site d’extrême droite de Steve Bannon, aux Etats-Unis. Au printemps dernier, Facebook a désactivé plusieurs dizaines de comptes liés au MBL pour désinformation. Kataguiri est l’un des députés les mieux élus de la Chambre.

La nouvelle Assemblée accueillera encore Luiz Philippe de Orléans e Bragança, arrière-petit-fils de l’empereur Pierre II du Brésil, et l’ex-acteur porno et de téléréalité Alexandre Frota. L’engouement pour le nouveau président a profité à ses enfants : l’aîné, Flavio, auparavant député, admirateur de la dictature militaire (1964-1985) comme son père, entre au Sénat ; Eduardo, chaud partisan de la peine de mort, est le député le mieux élu de l’histoire du pays avec 1,84 million de voix, tandis que Carlos, stratège de la campagne de son père, conserve sa place de conseiller municipal de Rio.

La chanteuse de gospel évangélique Flordelis, élue députée fédérale de l’Etat de Rio, est l’une des figures du  » BBB « , surnom donné au réseau parlementaire qui défend les intérêts de l’agrobusiness (boeufs), ceux des Eglises évangéliques (Bible) et la légalisation du port d’armes (balles). Déjà bien représentés dans la précédente législature, les pasteurs, missionnaires, évêques ou prêtres représentants de la  » bancada evangelica « , le lobby évangélique, sont passés de 75 à 84 élus au Congrès. Ils ont rapidement présenté la facture de leur soutien à Bolsonaro, en faisant pression sur le choix du prochain ministre de l’Education.

Parmi les nouveaux députés : Kim Kataguiri, un admirateur de Steve Bannon.
Parmi les nouveaux députés : Kim Kataguiri, un admirateur de Steve Bannon.© E. SA/AFP

Clown analphabète

Si les candidatures d’outsiders ont été particulièrement nombreuses cette année, elles ne sont pas inédites au Brésil, où le vote est obligatoire. Ainsi, le clown analphabète Tiririca entamera cette année son troisième mandat. Le système électoral brésilien favorise ces candidatures folkloriques : il permet aux partis d’engranger des voix grâce au transfert de suffrages des candidats largement élus, qui sont réattribués à leurs colistiers.

Que pèsent ces curieux candidats au Congrès ?  » Pas lourd, en définitive, estime Adriano Codato, professeur de science politique à l’Université fédérale du Paraná. Ce sont les professionnels de la politique, au fait des règles écrites et non écrites du Congrès, qui contrôlent la vie parlementaire.  » Bolsonaro a d’ailleurs longtemps été l’un de ces élus marginaux. En vingt-huit ans passés à Brasilia, il a beaucoup éructé dans les couloirs de la Chambre des députés, mais seules deux lois qu’il a présentées ont été approuvées, relève le chercheur. En outre,  » si les questions sécuritaires ou de moeurs mises en avant par l’ex-capitaine et ce bouquet d’ultraconservateurs sont assurées de faire les gros titres des médias brésiliens, l’avenir politique du nouveau président se jouera sur l’économie, pronostique Adriano Codato. Le vote en faveur de Bolsonaro et de ces candidats farfelus est plus un vote antisystème qu’un vote idéologique.  » Dans un contexte de chômage à la hausse et de salaires en berne, sa popularité dépendra de sa capacité à relancer l’économie, à régler la question des retraites et de l’assurance santé.

Par Catherine Gouëset.

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