ROSANNE MATHOT

La première fois du roi

Où il est question d’un roi angoissé qui s’offre une consultation au Geyser.

A quoi pense la Belgique ? Alors que les centrales nucléaires répandent leurs entrailles métastasées sur nos sols verglacés, les sans-dents, les sans-papiers, les sans-boulot, les sans-rien se préparent à assaillir janvier de leurs cris et de leurs frigos vides. De son côté, en mourant, la suédoise a éteint les dernières guirlandes qui lançaient dans le ciel belge de divertissantes arabesques. C’est l’obscurité. Mensonges, mirages, promesses électorales et scandales se déposent au fond de la bouteille que le peuple boit jusqu’à la lie. En janvier, mois des soldes, tout doit disparaître. Le royaume aussi ? La foule, aveuglée de réclames crépitantes, n’en sait rien. Elle piste la bonne affaire dans le labyrinthe où elle s’égare, bouteille à la main.

Dans les ténèbres orangées des souterrains bruxellois, désorienté, le roi Philippe cherche, lui aussi, son chemin. Il a fui son palais où, depuis des semaines, l’esprit de la suédoise brise les fenêtres, le caillasse au souper et le pelote même dans son bain (1) (2). Parvenu dans la cave du Geyser, le roi, en sueur, entreprend l’ascension de l’escalier qu’il espère salvateur, comme un Frison-Roche pris de vertiges. Il n’a pas remarqué la robuste serveuse qui, dans l’ombre, trifouille des fromages. Sans sommation, Paula assomme le monarque grimpeur avec un vieux Corsendonk.

Lorsque Philippe revient à lui, allongé sur une banquette du café, des costumes-cravates sont à son chevet.  » On nous a appelés pour une crise de régime « , disent les soignants aux attachés-cases ornés d’une croix blanche sur fond rouge (3). Chacun y va de son diagnostic :

–  » Sire, votre taux d’intérêt est trop bas.  »

–  » Vous êtes aussi moribond que le BEL20.  »

–  » On va vous faire un cataplasme de billets de banque.  »

Avachi dans ses vapeurs, Philippe avise soudain la statue en cire d’Albert II, abandonnée au Geyser depuis un mois. Elle a, dans le regard, cette statue, une expression insistante, une supplication déçue, presque freudienne et cet air qui semble dire :  » T’as rien compris, mon petit gars, mais vas-y, raconte.  »

–  » J’en ai marre de la politique, père. Elle est ingrate. A peine a-t-on suturé une plaie, que la politique se hâte de déchiqueter mille autres peaux.  »

–  » Je vois, dit la statue. Avec Leterme, c’était l’hémorragie permanente.  »

–  » Et le mien, de Premier ministre ! Un petit monstre, un diablotin que les gars de la N-VA ont façonné comme des savants déments.  »

–  » La crise, quoi.  »

 » A vrai dire, je n’ai pas senti grand-chose. Tout s’est passé très vite.  »

–  » Tu sais, c’est souvent comme ça, la première fois… « 

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20 h 15…

(1) En 2017, le chef d’Etat brésilien a fui son palais, affirmant qu’il était hanté. En Suède, la reine Silvia pense, elle aussi, que son palais regorge d’esprits.

(2) Un bout de ville court sous la place royale, à Bruxelles : les souterrains de Coudenberg.

(3) Le besoin de banquiers diminue, les métiers de la santé peinent à recruter. Un accord va faciliter les transferts entre les deux secteurs : des formations d’infirmier ou d’aide-soignant seront proposées aux banquiers.

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