Malgré les incertitudes sur son déroulement, les Congolais ont participé en masse au scrutin (ici, à Kibancha, au Nord-Kivu). © PATRICK MEINHARDT/belgaimage

RDC : Le vote, le comptage… et le changement ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Cafouillages et tripatouillages ont plongé les élections congolaises dans la confusion et l’opacité. Ce qui n’a pas découragé une grande partie des électeurs, impatients de tourner la page du kabilisme.

Noms d’électeurs absents des listes électorales, ouverture tardive ou suppression de bureaux de vote, pannes des  » machines à voter  » sud-coréennes, files d’attente interminables… : l’organisation des élections présidentielle, législatives et provinciales en République démocratique du Congo (RDC) n’aura pas été irréprochable, loin s’en faut, même si les scrutins se sont déroulés sans incidents majeurs. Dès le 30 décembre, jour du vote, les témoignages se sont multipliés sur les réseaux sociaux, dans les médias locaux et les rapports de collectifs citoyens pour énumérer les lacunes et opacités du rendez-vous électoral tant attendu. A de nombreux endroits, les centres de vote n’étaient pas opérationnels ou ont ouvert avec plusieurs heures de retard. Certains ont été délocalisés ou n’étaient pas répertoriés sur la dernière liste de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), ont constaté les responsables de la mission d’observation électorale Symocel. Plus de 800 ont été installés dans des lieux prohibés – camps militaires, débits de boisson, maisons particulières… – a signalé la Cenco, la Conférence épiscopale congolaise. Des électeurs ne retrouvaient pas leur nom sur les listes affichées et se sont rendus en vain dans plusieurs bureaux de vote. Les machines à voter (MaV), ces écrans tactiles dotés d’imprimantes, n’ont pas toujours pu être utilisées : batteries déchargées, manque de papier… Des témoins et observateurs électoraux n’ont pas eu accès aux centres de vote, faute de badge, ou en ont été chassés. Certains ont été arrêtés et frappés par les forces de l’ordre, exactions qui se seraient poursuivies pendant les opérations de dépouillement, selon l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj). Dans plusieurs provinces, des tentatives de fraudes, d’intimidation ou de corruption ont été relevées.

Joseph Kabila pourrait continuer à contrôler le jeu politique après les élections.

Malgré tous ces cafouillages ou tripatouillages et une campagne électorale émaillée de violences, la mobilisation de l’électorat congolais aura été forte sur tout le territoire. Convoquées avec deux ans de retard et après un ultime report d’une semaine (causé par l’incendie de début décembre à Kinshasa qui aurait, selon les autorités, détruit 80 % des machines à voter de la capitale), ces élections marquent, en principe, la fin de l’ère Kabila. L’élection présidentielle à un tour, à laquelle 17 candidats se sont présentés, doit aboutir à la première transmission pacifique du pouvoir au Congo depuis l’indépendance du pays. Toutefois, le régime a refusé toute aide extérieure pour l’organisation du scrutin et tout support logistique de la force des Nations unies, présente depuis vingt ans en RDC. De même, les missions d’observation européenne et américaine n’ont pu se rendre sur place. Autant de décisions du pouvoir qui ouvrent la porte aux contestations postélectorales, alors que la proclamation des résultats provisoires est prévue ce 6 janvier. Résultats  » provisoires « , car sur les 40 millions de Congolais enregistrés, près de 1,3 million n’ont pas été autorisés à se rendre aux urnes. Ces électeurs devront attendre mars pour aller voter. Les habitants de Yumbi, dans la province de Maï-Ndombe (ouest du pays), ont été exclus du processus pour cause d’affrontements interethniques survenus à la mi-décembre. Le report dans la région de Beni- Butembo, au Nord-Kivu (est), suscite plus de controverses : les autorités invoquent l’épidémie du virus Ebola, qui a tué 360 personnes dans la région. Pour l’opposition, cette raison sanitaire est un prétexte destiné à priver de vote des circonscriptions qui lui sont acquises.

Passation de pouvoir

Néanmoins, le président sortant, qui a voté à Kinshasa, a qualifié ces élections de  » libres et crédibles « . Accompagné de son épouse, Marie-Olive Lembe, de sa soeur, l’influente Jaynet Kabila, et de son fils, Laurent-Désiré, Joseph Kabila s’est rendu à l’institut de la Gombe, dans le centre-ville. Un peu plus tard, on y a vu son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary, ex-ministre de l’Intérieur sous sanctions de l’Union européenne. A la sortie du bureau de vote, il a assuré avec aplomb :  » J’ai déjà gagné… Je serai élu, c’est moi le président à partir de ce soir.  » Des propos qui ont alimenté les supputations d’une élection présidentielle gagnée d’avance par le champion du pouvoir kabiliste. Martin Fayulu, le candidat de la coalition d’opposition Lamuka, qui a fait son devoir électoral dans le même bureau, est pourtant donné largement en tête des intentions de vote et les premiers comptages manuels de voix semblent confirmer la tendance. Fayulu a dénoncé  » de graves irrégularités  » dans le déroulement des opérations de vote, mais prédit  » la fin de la dictature, de l’arbitraire, de la misère du peuple congolais « . Plus dubitatif, Félix Tshisekedi, l’autre principal candidat de l’opposition, s’est inquiété du  » désordre organisé  » qui pourrait conduire la Cour constitutionnelle à invalider les élections. La veille du scrutin, Fayulu et Tshisekedi ont tous deux refusé de signer l' » acte d’engagement pour la paix « , un document dans lequel les candidats se seraient engagés à rejeter toute violence postélectorale. Les deux hommes estiment que le texte, accepté par leur rival de la majorité présidentielle, ne tenait pas compte de leurs demandes de garanties liées notamment à la présence d’observateurs à tous les stades du dépouillement.

En août dernier, Joseph Kabila a fini par accepter, sous pressions africaines et américaine, de ne pas briguer par la force un troisième mandat consécutif. Certains lui prêtent l’intention de se représenter en 2023. Dans l’immédiat, la Constitution prévoit qu’il restera en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu. Au-delà de la passation de pouvoir, l’ancien président sera sénateur à vie. Fort de son statut d' » autorité morale  » de sa coalition et du poids de son clan familial dans l’économie congolaise, il pourrait continuer à contrôler le jeu politique et à garder la haute main sur l’armée et l’appareil sécuritaire, pivots de l’Etat. Kabila a placé des fidèles à la tête du nouvel état-major et a promu John Numbi au poste d’inspecteur général des armées, un Katangais soupçonné d’être responsable de la mort du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur en 2010. Un groupe d’experts de l’ONU a révélé ces jours-ci que le gouvernement congolais a acheté à des firmes chinoise, émirati, suisse et néo-zélandaise du matériel militaire sans en informer les Nations unies, ce qu’il aurait dû faire en principe.

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