" Faire descendre le Flamand dans la rue : très compliqué ", selon Peeter Reekmans (Lijst Dedecker). © BOB VAN MOL/ID PHOTO AGENCY

« La gouvernance wallonne devrait inspirer la Flandre »… Et c’est un élu flamand qui le dit

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Provinces, intercommunales, gestion des finances locales : la Wallonie se bonifie, c’est un mayeur flamand qui le dit avec une pointe d’envie. Peter Reekmans (Lijst Dedecker) peste : qu’attend la Flandre pour en faire autant ?

Il pose un regard courroucé sur une Flandre qui stagne, jette un oeil admiratif sur une Wallonie qui se remue. La gouvernance publique rend volubile Peter Reekmans, 43 ans, mayeur de Glabbeek, entité brabançonne de 5 000 âmes. Ces errements en Flandre ont le don d’ulcérer l’ex-député régional et vice-président de la Lijst Dedecker (LDD), qui leur a déjà consacré deux  » livres noirs  » à succès (1). Voilà que l’entrepreneur à la fibre éminemment libérale tombe sous le charme de ce qu’il perçoit comme une révolution tranquille en cours en bord de Meuse.

La gouvernance politique se porte bien mieux en Wallonie qu’en Flandre, dites-vous. Où allez-vous chercher ça ?

Dans plusieurs décisions politiques fortes : la suppression programmée des Provinces après transfert de compétences à la Région, la réforme en profondeur des intercommunales avec, à la clé, la disparition annoncée d’une vingtaine d’entre elles. Et puis, l’existence d’un vrai contrôle de la politique financière des communes depuis la création, en 2012, d’un Conseil de la fiscalité et des finances de Wallonie. Tout ce à quoi la Flandre ne peut encore que rêver.

A quoi attribuer ce « miracle » wallon ?

A l’avènement d’une coalition MR – CDH et au renvoi du PS dans l’opposition. Je trouve l’accord de l’actuel gouvernement wallon révolutionnaire. La Wallonie a compris que ses finances publiques couraient à la faillite. Il était minuit en Wallonie, il est minuit moins cinq en Flandre.

« Proficiaat, mijnheer Lutgen » pour avoir largué en 2017 le PS ?

Le geste était politiquement opportuniste mais il fait beaucoup de bien à la gouvernance wallonne. Le CDH pose même un geste fort en annonçant qu’il ne siégera plus dans les organes de la galaxie Nethys – Publifin parce qu’il les juge trop coûteux et inutiles. Ce signal va rendre plus difficile le maintien par les autres partis de leurs mandats dans les intercommunales. Mais il ne recueille qu’un silence assourdissant parmi les partis traditionnels flamands, le CD&V en tête. Il faut dire qu’il fait exactement l’inverse de son  » parti frère  » francophone : lui, il s’accroche aux 36,6 % des mandats qu’il détient dans les intercommunales.

Où en est la Flandre, ce pays autoproclamé de la  » goed bestuur  » ?

Elle en est à une réforme partielle et imparfaite de ses Provinces. Aucun grand débat n’est lancé sur l’avenir de ses intercommunales. Elle n’a toujours pas d’instance capable d’imposer une discipline budgétaire aux gestionnaires locaux qui vont donc entamer une nouvelle mandature sans vision pluriannuelle. Alors que nombre de communes flamandes sont dans une situation financière malsaine : 54 % d’entre elles dépensent plus qu’elles ne reçoivent et durant la période 2012 – 2019, 14 % d’entre elles ont été chaque année dans le rouge. Résultat : une dette accumulée de dix milliards d’euros à la fin 2014. Gigantesque !  » Nous devrons prouver que ce que nous faisons nous-mêmes en Flandre, nous le faisons mieux « , disait Gaston Geens (CVP), le premier ministre-président flamand. On oublie toujours de rappeler le début de sa déclaration…

Le CDu0026V est ce qu’était le PS : l’obstacle.

A qui la faute de cet immobilisme ?

Tous les partis politiques profitent de ce système, y compris les écolos de Groen. Mais le coeur du problème de la gouvernance en Flandre, c’est le CD&V au pouvoir. Il est le seul parti qui s’oppose à la disparition des Provinces, le seul qui freine toute réforme des intercommunales. Parce que son ADN, c’est l’occupation du pouvoir et surtout la préservation de ses bastions locaux depuis qu’il ne joue plus les premiers rôles rue de la Loi, au niveau fédéral. Partout, le CD&V fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir ses tentacules sur un maximum de mandats politiques. Ce parti est en Flandre ce que le PS était en Wallonie : l’obstacle majeur à toute réforme de la gouvernance. La solution, c’est donc son éviction du pouvoir régional. Tout est plus simple en Wallonie depuis que le gouvernement est sans le PS et tout deviendra plus simple en Flandre avec une coalition sans le CD&V.

Votre croisade est-elle audible et porteuse en Flandre ?

Je suis le premier à avoir mis à plat le thème de la gouvernance flamande dans deux livres, chiffres et exemples à l’appui. Beaucoup de mandataires politiques me confient être d’accord avec mes constats sans oser le reconnaître ouvertement. Le monde politique flamand, y compris au sein de la N-VA, a sous-estimé le problème des intercommunales.  » Oh, des scandales à la Publifin sont une maladie typiquement wallonne, de telles dérives n’existent pas chez nous « , a-t-on prétendu non sans hypocrisie. Une intercommunale qui achète un journal comme L’Avenir ? Impensable en Flandre, assurait sur un plateau de télévision la ministre N-VA Liesbeth Homans. N’était-elle donc pas au courant de cette intercommunale flamande d’énergie qui s’occupe d’investir dans des parcs éoliens à… Curaçao, dans la mer des Caraïbes ? Savez-vous qu’entre 2009 et 2014, le seul coût de distribution de l’énergie a augmenté en Flandre de 152 %, en Wallonie de 40 % et à Bruxelles de 20 % ?

C’est la Belgique à l’envers, non ?

Bart De Wever n’a pas tort quand il parle de deux démocraties : la wallonne, qui tend vers la gauche, et la flamande, qui tend vers la droite. Mais ces démocraties sont à deux vitesses et, aujourd’hui, c’est la Flandre qui est à la traîne en matière de gouvernance. Le manque d’éthique en politique n’est pas un monopole wallon mais une maladie belge qui n’a jamais été soignée en Flandre.

Faut-il un remède de cheval pour venir à bout de cette mal-gouvernance ?

Jean-Marie Dedecker (NDLR : président de la LDD), nouveau bourgmestre de Middelkerke, et moi-même à la tête de Glabbeek, après analyse, nous sortirons de toute intercommunale qui n’apporte pas de valeur ajoutée à nos communes et nous prouverons ainsi que nous pouvons diminuer la facture de nos concitoyens. On nous accuse de populisme ? Difficile pourtant de taxer de populiste le CDH, ce parti au gouvernement wallon qui décide lui aussi de sortir de certaines intercommunales.

Le Flamand sait souffrir et grogner en silence. On ne le voit pas enfiler de gilet jaune face à la vie chère…

Le mouvement de contestation est né en Wallonie de la focalisation des médias sur ce qui se passe en France. Quand Paris s’enrhume, on éternue à Bruxelles, à Liège et à Charleroi. Le Wallon, par nature, descend beaucoup plus vite dans la rue pour manifester son mécontentement. Convaincre le Flamand de sortir de chez lui est nettement plus compliqué. Mais attention : lorsqu’il finit par se mettre en colère, alors, c’est qu’il l’est vraiment.

(1) De Vlaamse ziekte. Het web van de intercommunales (2017) et Dorpstraat/Wetstraat. Pleidooi voor beter beleid (2016), par Peter Reekmans, Doorbraak.

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