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Nemmouche : l’ouverture du procès d’un antisémite viscéral

Le 10 janvier, les victimes de la folie djihadiste regarderont vers Bruxelles où débute le procès historique de Mehdi Nemmouche, auteur présumé de l’attentat contre le musée juif de Belgique, le 24 mai 2014.

Tuer quatre personnes lui a pris quatre-vingt-deux secondes. Les caméras de surveillance d’une galerie d’art de la rue des Minimes enregistrent son arrivée au musée juif de Belgique à 15 heures 47 minutes et 27 secondes. Il en ressort à 15 heures 48 minutes et 49 secondes. Calmement, puis, à petites foulées, il prend la direction du palais de justice de Bruxelles. Sa trace se perd. C’était le samedi 24 mai 2014. Les caméras du musée, elles, le montrent abattant à bout presque touchant un touriste israélien, Emanuel Riva, 54 ans, et son épouse, Miriam, 53 ans, absorbés par les présentoirs du couloir d’accès au musée, parents de deux adolescentes. L’assassin pénètre ensuite dans le local d’accueil resté ouvert, tire sur Alexandre Strens, un employé de 26 ans à la biographie complexe (il sera enterré au Maroc selon le rite musulman) et sur la Française Dominique Chabrier, 66 ans, une dame distinguée dont la famille vit en Suisse, bénévole à l’accueil. Le temps que l’agresseur plonge dans un de ses sacs et en retire un fusil d’assaut, la porte du local d’accueil se referme automatiquement sur lui. Il rafale pour l’ouvrir en la poussant du pied et achève Dominique Chabrier qui cherchait désespérément à atteindre quelque chose derrière son bureau. En état de mort cérébrale, Alexandre Strens décédera quelques jours plus tard. Obscénité des images en forme de film d’action, inlassablement reproduites.

L’homme est vantard, fasciné par les médias, obsédé par son image.

Au moment de rédiger l’acte d’accusation du procès qui démarre le 10 janvier, le ministère public a demandé une dernière analyse de la vidéosurveillance du 24 avril au 24 mai 2014. Les enquêteurs ont ainsi découvert qu’un inconnu s’était présenté au musée à 15 h 30, la veille de l’attentat, et qu’il avait échangé quelques mots avec Alexandre Strens. Sa silhouette, sa physionomie, sa vêture, tout y est. Mehdi Nemmouche, Français de 29 ans, né à Roubaix en 1985, portait le même costume sombre, les mêmes chaussures de marque que lors de son arrestation par la brigade de surveillance intérieure des douanes de Marseille, le 30 mai 2014, gare Saint-Charles, au terminus des bus Eurolines. Dans ses bagages se trouvaient des indices absurdement confondants, vont dire les complotistes : l’arme de type Kalachnikov qui  » a servi  » au musée juif, enveloppée dans un drap à la gloire de l’Etat islamique, 261 munitions pour le fusil d’assaut et 51 pour le revolver, la casquette noire Nike et la caméra GoPro accrochée à la veste en nylon bleu bien visible sur les images de l’attentat, de nombreux journaux belges relatant celui-ci, des empreintes digitales et de l’ADN à volonté. Interrogé en France, le suspect dit avoir volé cet attirail dans une voiture à Bruxelles. Il plaide l’innocence. Encore et toujours.

Froid et professionnel pendant l’acte, l’inconnu du musée juif a laissé tellement de traces de sa coïncidence avec la personne de Mehdi Nemmouche que son procès semble couru d’avance. Peu importe qu’il continue de faire usage de son droit au silence : il a déjà tellement parlé. A Alep, il a été le geôlier fantasque et cruel de quatre journalistes français capturés par Daech en 2013 et libérés contre une rançon de 13 millions d’euros. L’un des otages, Nicolas Hénin, l’a reconnu. Il en a dressé un portrait glaçant :  » Quand Nemmouche ne chantait pas, il torturait. Il était membre d’un petit groupe de Français dont la venue terrorisait la cinquantaine de prisonniers syriens détenus dans les cellules voisines. Chaque soir, les coups commençaient à pleuvoir dans la salle dans laquelle j’avais moi-même été interrogé. La torture durait toute la nuit, jusqu’à la prière de l’aube. Aux hurlements des prisonniers répondaient parfois des glapissements en français  » (Lepoint.fr du 6 septembre 2014). Les journalistes Didier François et Edouard Elias se rappellent les divagations antisémites de leur compatriote, fan de Charles Aznavour et de l’émission Faites entrer l’accusé (France 2),  » un criminel devenu nettoyeur ethnique « , selon sa propre définition, estimant que  » le plus grand mec que la France ait produit était Mohamed Merah  » et que, lui, il avait  » envie de fumer une petite juive de 4 ans et c’est ce qu’il fallait faire « . Et de prédire qu’un jour, il serait au centre d’un grand procès d’assises. Mis en examen par la justice française, il n’a pas encore été jugé pour ces faits.

Nemmouche : l'ouverture du procès d'un antisémite viscéral
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« 24 minutes avec Abaaoud »

Avant d’être remis aux autorités belges, Mehdi Nemmouche s’est confié à un détenu de la prison de Bois-d’Arcy, sans se douter qu’il était écouté. Outre ses habituels délires antijuifs, il se réjouit qu’une  » filière  » n’ait pas été  » démantelée  » et qu’un  » frère  » rencontré en Syrie veuille  » se faire exploser en voiture « . Ses fantasmes d’attentat remontent à loin, lors de son séjour en prison dans le sud de la France, entre 2007 et 2012. Il promettait qu’à sa sortie, il irait poser des bombes dans le métro.

D’après Matthieu Suc, auteur des Espions de la terreur (HarperCollins, novembre 2018) et journaliste à Mediapart, Nemmouche aurait été missionné, dès juillet 2013, par l’Amniyat, le service d’action, de renseignement et de contre- espionnage de l’Etat islamique. Pour ce faire, il a bénéficié de moyens financiers qui lui ont permis de quitter la Syrie en passant par la Turquie, la Malaisie, Hong Kong, Singapour et la Thaïlande. Il est rentré en Europe, le 18 mars 2014, par l’aéroport de Francfort. Avant d’entamer son périple asiatique, écrit Matthieu Suc,  » Nemmouche a téléphoné durant vingt-quatre minutes à Abaaoud, comme le feront plus tard les membres de la cellule de Verviers ( NDLR : Abdelhamid Abaaoud est accusé d’être le commandant opérationnel des attentats de Paris, le 13 novembre 2015. Il meurt le 18 novembre, durant l’assaut policier de sa planque, à Saint-Denis) « . Nemmouche a vécu à Molenbeek au moins à partir du 30 mars et s’est fait livrer des armes par Nacer Brender, un délinquant marseillais rencontré en prison, 26 ans alors, son coaccusé devant les assises de Bruxelles.

Complotisme ! », a tonné le procureur fédéral, Bernard Michel.

Chez Nemmouche, le déni est souvent proche de l’aveu. Lors de sa confrontation du 25 juin 2016 avec Nacer Brender, il déclare celui-ci  » innocent « . Comme s’il en savait. Les enquêteurs relèvent la contradiction, il s’énerve, réclame leurs noms :  » Est-ce que vous me prenez pour un débile, vous le savez très bien que j’ai à voir dans cette affaire, ce n’est pas un ange qui est venu devant chez moi déposer les armes et me dire va te faire des juifetons. Les armes, on me les a données. Je ne suis pas un assassin, je n’ai tué personne. J’en sais suffisamment sur cette affaire que pour savoir que Nacer n’a rien à voir.  » Le procès-verbal mentionne cette menace :  » Quand il s’évade, il sait à qui il pourra rendre une petite visite.  »

Sa parole, si rare pendant l’instruction, est en réalité abondante. Car l’homme est vantard, fasciné par les médias, obsédé par son image. Les enquêteurs ont trouvé dans son appareil photo et son ordinateur portable sept versions de la vidéo de revendication mise en scène les 26 et 28 mai dans son appartement de la rue Saint-Joseph, à Molenbeek. Bien qu’il ait refusé de se soumettre à un  » prélèvement de sa voix « , un expert français a identifié comme étant la sienne la voix off des vidéos,  » impérieuse et gutturale « , sur la base de ses interrogatoires français, enregistrés. Les quatre otages de Syrie l’ont également reconnu. D’où leur convocation comme témoins.

Selon Adrien Masset, avocat du musée juif de Belgique,
Selon Adrien Masset, avocat du musée juif de Belgique, « il n’y a pas de place pour une once de doute ».© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Les théories du complot

Y a-t-il seulement un espace pour le doute ? Les charges qui découlent de l’instruction des juges bruxelloises Berta Bernardo-Mendez et Claire Bruyneel sont  » accablantes « , selon Adrien Masset, avocat du musée juif de Belgique et professeur de procédure pénale (ULiège), qui a consacré sa thèse de doctorat à la répression du terrorisme.  » Il n’y a pas de place pour une once de doute, déclare-t-il au Vif/L’Express. Nemmouche est le seul à tirer. Le musée était triplement visé : d’abord, en tant que lieu d’histoire et de mémoire ; ensuite, parce que juif, et l’on peut se faire plusieurs réflexions sur sa haine viscérale des juifs ; enfin, parce que c’était une institution belge, car la Belgique est engagée dans la coalition internationale contre l’Etat islamique.  »

Outre les familles des victimes, Unia, Centre interfédéral pour l’égalité des chances, s’est constitué partie civile (l’attentat est l’aveuglante illustration d’une discrimination), ainsi que l’Association française des victimes de terrorisme, si elle franchit le cap de la recevabilité à l’entame du procès. Le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) est également engagé par l’intermédiaire de Me Michèle Hirsch. Dans Le Vif/L’Express du 6 décembre dernier, Yohan Benizri, le président du CCOJB, mettait en garde :  » Tout le monde attend ce procès pour entendre Mehdi Nemmouche, mais il n’a rien d’intéressant à dire sinon déverser sa haine antisémite ! Qu’on ne lui donne surtout pas le statut de prophète ou de gourou ! Cette personne n’a aucune importance, elle a cherché à devenir une star en tuant des gens.  »

D’exhibitionnisme, il sera aussi question avec Sébastien Courtoy, Henri Laquay et Virginie Taelman, les avocats de Nemmouche. Rompus aux procès islamistes en correctionnelle, ils risquent de faire dévier le procès de son enjeu basique qui se résume à la question de la culpabilité ou de l’innocence. Pour défendre leur client, les avocats ont tous les droits, comme distordre les faits, leur donner des couleurs psychédéliques, suggérer la main du Mossad. Plus qu’une tentation pour Sébastien Courtoy : il est l’auteur d’une quenelle, un geste de provocation assimilé au soutien aux thèses conspirationnistes et antisémites de Dieudonné, qu’il défendait avec Henri Laquay en 2013. Nul doute qu’ils vont créer le buzz. Et tenter de semer le doute dans l’esprit du jury : 12 citoyens bruxellois, hommes et femmes de 28 à 65 ans, et autant de suppléants.

Pour les victimes des attentats, c’est le premier procès d’une douloureuse série.

Le 20 décembre dernier, les avocats de Nemmouche ont demandé à la présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, de convoquer comme témoins le patron du service de renseignement israélien et les ambassadeurs d’Israël à Berlin et à Bruxelles. Demande rejetée. Au cours de l’enquête, ils avaient suggéré qu’Emanuel et Miriam Riva, experts-comptables de profession, parce qu’ils ont travaillé pour des  » agences gouvernementales israéliennes « , auraient été les victimes d’un règlement de compte entre juifs.  » Complotisme ! « , a tonné le procureur fédéral, Bernard Michel. Celui-ci sera épaulé par Yves Moreau, avocat général près la cour d’appel de Bruxelles.

Le second accusé, Nacer Brender, est défendu par Paul Delbouille, expert ès pègre au barreau de Liège. Le dossier pénal montre cependant que le voyou, arrêté chez lui au milieu d’un véritable arsenal, était radicalisé. En revanche, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a prononcé un non-lieu au bénéfice du Marseillais Mounir Attalah, qui avait donné à Nemmouche le numéro de téléphone de Brender. Les enquêteurs n’ont pas retrouvé l’inconnu  » au crâne dégarni  » filmé en compagnie du tueur présumé sur un trottoir proche du bureau d’Eurolines où, selon les caméras de surveillance, ils se sont rencontrés, le 28 mai 2014. Selon l’acte d’accusation,  » aucun élément de l’enquête ne permet de confirmer le fait que l’homme en question connaissait Mehdi Nemmouche « .

Avocats de Nemmouche, Henri Laquay (à g.) et Sébastien Courtoy sont rompus aux procès islamistes.
Avocats de Nemmouche, Henri Laquay (à g.) et Sébastien Courtoy sont rompus aux procès islamistes.© THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Un verdict à valeur symbolique

Le verdict de la cour d’assises de Bruxelles aura une double valeur symbolique, rendu par des citoyens de cette capitale belge qui a servi de base arrière aux pires attentats de l’après-guerre en France et en Belgique, si l’on fait abstraction du mystère non résolu des tueurs du Brabant. Pour les victimes des attentats de Paris et de Bruxelles, c’est le premier d’une douloureuse série. Mehdi Nemmouche connaissait bien le Bruxellois Najim Laachraoui pour avoir gardé ensemble les otages européens de l’Etat islamique à Alep : c’est lui qui a préparé les explosifs des attentats de Paris et de Bruxelles et qui s’est fait sauter à Zaventem, le 22 mars 2016. Cela n’a pas surpris Nemmouche, alors incarcéré à la prison de haute sécurité de Bruges. Après avoir vu les journaux télévisés, il a crié de sa cellule pour alerter Salah Abdeslam, à l’isolement dans la même prison :  » Brahim et Sofiane sont morts !  » Ibrahim el-Bakraoui et Najim Sofiane Laachraoui, dont les identités n’avaient pas encore été rendues publiques. Selon Matthieu Suc, Nemmouche a ajouté qu’une troisième bombe avait été retrouvée intacte à l’aéroport.  » Maintenant il reste Abrini !  » L' » homme au chapeau  » n’avait pas encore été identifié mais Nemmouche, détenu depuis deux ans, l’avait reconnu.

Bizarrement, l’attentat du musée juif n’a pas été revendiqué par Daech, même si des djihadistes ont crié leur joie sur les réseaux sociaux. S’ils comptaient affaiblir la communauté juive, symbole de cet Occident qu’ils haïssent, c’est raté. Le procès de Bruxelles se veut aussi celui de la résilience.  » Après quelques mois de fermeture, le musée a rouvert ses portes, multipliant les expositions, pas nécessairement sur des sujets juifs, conclut Adrien Masset. Il se définit plus que jamais comme un lieu de multiculturalité et de valeurs universelles. « 

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