Le fil Collins

Le coffret réunit pas moins de 59 collaborations. En quatre CD, Phil Collins Plays Well With Others raconte comment, dès la fin des sixties, le fameux batteur, chanteur et producteur s’est produit chez bien d’autres artistes.

Le terme  » scie  » ne désigne pas seulement l’instrument naturel des bûcherons et menuisiers mais aussi le stade où une chanson, à force d’envahir l’espace public, atteint le degré pathologique de la détestation. In The Air Tonight enfile d’autant mieux la qualification repoussoir que, parue au tout début 1981, elle devient d’emblée la signature de Phil Collins. Et noyaute, quelques mois plus tard, la diffusion de la toute nouvelle chaîne MTV malgré un clip – 166 millions de vues sur YouTube – apparaissant aujourd’hui totalement désuet. Le thème est lugubre – le divorce acrimonieux de Phil et de sa femme Andrea Bertorelli – et c’est donc bien l’enrobage sonore qui pousse le titre dans les charts internationaux. Sur un ton de ballade dramatique, la voix fêlée de Collins dialogue avec une drum machine couplée à une batterie acoustique qui fait mine de se rebeller aux deux tiers du morceau.

Un coffret qui propose une autre lecture de son parcours autrefois plébiscité.

A lui seul, ce break fameux, à haute réverbération, incarne le son des années 1980-1990, que l’artiste exploite jusqu’au paroxysme dans des albums marqués par les textures synthétiques. In The Air Tonight et une paire d’autres tubes en mondovision ( Against All Odds, You Can’t Hurry Love, Sussudio) sont bel et bien à l’origine du triomphe de Collins, 150 millions d’albums vendus et 260 millions de dollars de fortune personnelle à ce jour. Et lorsque Live Aid, mégaconcert de soutien à une Ethiopie affamée, s’affiche en direct des deux côtés de l’Atlantique le 13 juillet 1985, le seul à paraître sur scène au stade de Wembley à Londres, comme au JFK Stadium de Philadelphie, c’est Collins. Ayant dompté le temps en Concorde…

Arty

Logiquement, on a donc depuis un bout de temps remisé Collins à la rubrique faits divers – sa biographie controversée, ses trois mariages et divorces – ainsi qu’au cimetière des éléphants désormais improductifs. Sauf qu’un quadruple CD de 59 titres ( Phil Collins Plays Well With Others) propose, en cet hiver 2018, une autre lecture du parcours autrefois plébiscité. Le disque ne livre, hélas, pas de témoignage de la prestation scénique d’un Phil de 13 ans dans la pièce Oliver ! inspirée de Dickens en 1964, l’année où il fait aussi de la figuration dans A Hard Day’s Night des Beatles. Mais propose, comme toute première contribution musicale, Collins à la batterie et aux choeurs de Flaming Youth : on est en 1969 et voilà du prog rock anglais à plein nez.

Le fil Collins

L’aventure aura un succès proche de zéro, comme les deux contributions de Collins au jazzyfiant Peter Banks en 1973 et au titre d’Eugene Wallace, Don’t You Feel It, l’une des trouvailles du coffret avec sa voix écorchée de Joe Cocker bis. Le premier des quatre CD est d’ailleurs le plus intrigant : Collins entré dans Genesis en 1970, bourreau de travail notoire, multiplie les sessions en dehors de son groupe, livrant son évident talent de batteur à un vaste aréopage. D’une façon qui peut surprendre quatre bonnes décennies plus tard, il contribue dans la première partie des années 1970 à des enregistrements de prime abord arty, underground et peu commerciaux. Parmi ceux-ci, on note pas moins de trois titres de Brian Eno, déjà parti de Roxy Music et pas encore producteur-collaborateur vedette de U2 ou Bowie. Triplé Eno où Collins bat finement la mesure, bouclé entre 1975 et 1978, période où Phil joue aussi sur les compositions de John Cale ( Pablo Picasso) et de Robert Fripp ( North Star). Visitant le temps du morceau Intruder, le répertoire de son ancien compère Peter Gabriel, qu’il a remplacé au chant dans Genesis en 1975.

Béni des dieux

Bizarrement, le succès global de la carrière de Collins dès le mitan des seventies ne ralentit rien, que du contraire. Les contributions prolifèrent, comme si la boulimie tentait d’apaiser les critiques – dures – qui vont bientôt pleuvoir, aux antipodes du public international plébiscitant l’antistar à casquette de plombier, précocement dégarni. Assez curieusement, Collins trouve moins de ressources chez ses héros que chez les autres : les deux titres de Robert Plant où il joue de la batterie en 1982-1983 sont au mieux anecdotiques et quand il accompagne McCartney, c’est sur un Angry inutile de 1986. Heureusement, l’honneur de l’aristocratie rock britannique est sauvé lorsque, convié à partager la scène de George Harrison en 1987, Phil Collins drumme aux côtés de Ringo Starr sur While My Guitar Gently Weeps. Comme on peut le voir sur YouTube, il assiste alors aux sidérantes interventions d’un Eric Clapton visiblement éméché, mais ce soir-là, béni des dieux de la guitare. Clapton revient plusieurs fois sur le coffret, comme d’autres têtes couronnées, toujours dans un éclectisme viscéral : The Bee Gees, Quincy Jones, Annie Lennox et même Tony Bennett. Phil bat la mesure et chante, se met occasionnellement aux claviers et devient aussi producteur de disques a priori étanches à son propre style. Ainsi les deux albums pop-soul de l’américain Philip Bailey avec lequel il balance Walking On The Chinese Wall (sur le coffret), standard des années 1980.

Voilà une discographie où le succès commercial draine aussi des collaborations dispensables (Howard Jones, Stephen Bishop, Four Tops, Bryan Adams). A contrario de quelques moments oubliés méritant la redécouverte : par exemple, Savannah Woman, touchant flamenco de l’américain Tommy Bolin. Au-delà d’autres sessions semblant incongrues, restent aussi les fidélités durables. La plus manifeste est celle entretenue par Collins avec John Martyn dont ce coffret reprend cinq titres parus entre 1980 et 2011. Pendant trois décennies, la superstar a donc joué, chanté et même produit ce folk-rocker anglais gargantuesque. Martyn est à l’opposé de Collins : culte, applaudi par la critique, insulaire dans ses expériences musicales, audaces et dissonances sonores comprises. Peut-être comme si Phil avait besoin de croire à une forme plus radicale de musique, quitte à la pratiquer, avec plaisir et discrétion, par la bande.

Quadruple CD Phil Collins Plays Well With Others, chez Warner.

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