Véronique Clette-Gakuba

« La restitution des oeuvres permet d’interroger le ‘passif colonial' »

Véronique Clette-Gakuba Chercheuse à l'Institut de sociologie de l'ULB

La réouverture du Musée royal de l’Afrique centrale relance le débat sur la restitution du patrimoine culturel africain. Véronique Clette-Gakuba, chercheuse à l’Institut de sociologie de l’ULB, estime que cette question pose l’enjeu des rapports hégémoniques en matière de savoirs.

La présence des diasporas africaines dans le Musée royal de l’Afrique centrale (1) a engendré une critique postcoloniale nécessaire mais cela, sans rien changer de la colonialité caractérisant les rapports de la Belgique à ses anciens colonies/protectorats. Le message institutionnel est: « Nous impliquons bel et bien les populations originaires des pays d’où viennent les collections. » L’implication des diasporas leur permettrait ainsi de se réapproprier un patrimoine culturel présenté comme partagé. Multipliant ce type de collaborations, le musée a scellé le sort de la restitution: il troque une restitution physique et politique contre une restitution virtuelle et symbolique. Je soutiens l’idée que la participation des diasporas au sein du musée cessera de se voir instrumentalisée le jour où elle arrêtera de servir les intérêts d’une politique de non-restitution. Mais quels sont, au juste, les freins à cette restitution?

A la période où le musée du Congo voit le jour (entre 1897 et 1910), sont en train de se constituer les collections d’art visuels qui vont asseoir une identité forte à la Belgique. Les peintures des primitifs flamands vont intégrer l’histoire de l’art moderne belge et le Musée royal des beaux-arts devenir un joyau national. Dans cet essor d’une identité nationale via l’art, le musée du Congo – son architecture néoclassique, son style intérieur Art nouveau et sa collection d’objets ethnographiques grandissante – va consolider le patrimoine visuel de la Belgique. Les pièces ramenées de l’Afrique centrale, y compris les restes humains, sont dispatchées: des restes humains sont déplacés vers l’Institut des sciences naturelles (2), les artefacts qualifiés d’oeuvres vers le Musée d’art et d’histoire et les artefacts davantage qualifiés d’objets ethnographiques vont au Musée royal de l’Afrique centrale. L’enjeu de la restitution exige de bien vouloir interroger le « passif colonial » belge dormant sous le réseau d’oeuvres.

L’expertise belge au coeur des enjeux

Le Musée royal de l’Afrique centrale est avant tout un institut d’expertises pour lequel le continent africain représente un vaste champ de connaissances scientifiques. Outre sa fonction muséale, la collection d’objets ethnographiques sert d’atout scientifique et diplomatique à la Belgique. Or, la question de la restitution, au-delà à nouveau du simple fait de rendre, signifie que l’on puisse remettre en cause les savoirs eurocentrés produits jusqu’ici à partir de ces artefacts et objets (comprenant également insectes, plantes médicinales, etc.). Autrement dit, sous la restitution se loge l’enjeu des rapports hégémoniques en matière de savoirs, d’épistémologies et des finalités attribuées aux savoirs produits. Se pose la question politique: « qui » produit des savoirs, sur « qui » et pour « qui »?

Le musée de Tervuren a fait glisser l’enjeu politique de la restitution vers le registre de la coopération culturelle (3). Cela en brandissant des arguments remettant en cause la capacité des nouveaux Etats indépendants à conserver leurs objets. Une manière, dès lors, de ne pas qualifier plus avant les conditions d’acquisition de ces objets. Si l’Unesco a bien établi une convention de restitution en 1970, celle-ci n’est pas rétroactive. En 2002, un autre élément va jouer en faveur de cette politique de non- restitution: dix-huit directions des plus grands musées mondiaux signent une déclaration décrétant l’importance de leur rôle de garants envers un patrimoine dit universel; déclaration à laquelle le Musée royal de l’Afrique centrale adhère. L’idéologie de la coopération, la prétendue objectivité scientifique comme valeur supérieure et l’absence d’études systématiques sur les modalités d’acquisition sont autant de facteurs détournant l’attention d’une réflexion critique sur les enjeux politiques de la restitution.

Les diasporas dans tout cela…

L’implication des diasporas est presque une obligation institutionnelle depuis que l’objet social des musées ethno- graphiques est en crise: le discours sur l’Afrique sans les Africains n’est politiquement plus tenable et, par ailleurs, des organismes comme l’Icom (4) veillent à la protection des droits sur les héritages culturels. Impliquer les diasporas dans les choix scénographiques permet aux musées de se redéfinir une approche plus inclusive, valorisant la multiculturalité des villes et participant à faire reconnaître la nécessité d’un point de vue africain sur les collections. Mais en aucun cas cette muséologie participative ne résout la question de la restitution. En revanche, elle permet une réouverture du Musée royal de l’Afrique centrale en toute légitimité. Certains auteurs vont jusqu’à suggérer que cette participation des diasporas rouvrirait de nouveaux cycles de prédation.

Plutôt que de continuer à faire dépendre la survie d’une institution d’une instrumentalisation des diasporas, je propose que celles-ci servent sur un mode participatif à faire revivre une institution avec les vrais problèmes que pose la question de la restitution, notamment celle des intrications entre patrimoine belge et colonisation. La participation des diasporas pourrait servir précisément à travailler les questions éminemment complexes si l’on veut éviter une restitution superficielle: à qui rendre ces objets? À quels pays? À quels groupes? Avec quelles alliances? Et avec quels effets recherchés?

(1) Le Comraf (Conseil de consultation entre le musée et les diasporas africaines) existe depuis 2003 et le G6 (experts des diasporas africaines) a suivi le processus de rénovation depuis 2014.

(2) Voir Paris Match, mai 2018.

(3) Voir les travaux de Sarah Van Beurden.

(4) Conseil international des musées.

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