José Happart, ex-président PS du parlement wallon. Ses plantureuses indemnités de sortie ont mené à une réduction drastique de ces enveloppes de départ. © Alexis Haulot/reporters

Adieu veaux, vaches, indemnités de départ majorées?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Entre 2004 et 2009, plusieurs députés du parlement de la Communauté française ont perçu des indemnités de sortie auxquelles ils n’avaient pas droit, selon la justice. « Une faute », affirme le tribunal de première instance. La cour d’appel doit à présent se prononcer.

Le parlement de la Communauté française aurait-il versé illégalement des indemnités de départ majorées à certains des parlementaires qui y exercaient des fonctions spéciales ? C’est la conclusion à laquelle est arrivé le tribunal de première instance de Bruxelles, en mars dernier. La cour d’appel, saisie de ce dossier depuis ce 21 septembre, devra dire si elle confirme ou infirme ce premier jugement, qui n’est donc pas définitif. L’affaire a été découverte à l’occasion d’une action en justice intentée par l’ex-députée PS Sfia Bouarfa devant le tribunal de première instance de Bruxelles pour obtenir les indemnités de départ liées à ses anciennes fonctions de secrétaire du Bureau du parlement. Ces indemnités de départ majorées, supérieures à celles qui sont versées à tout parlementaire sortant, sont liées aux fonctions de président, vice-président et secrétaire du Bureau, aux membres du Bureau, ainsi qu’aux chefs des groupes politiques reconnus et aux présidents de commissions.

Pour les mandatures 1999-2004 et 2004-2009, le Bureau du parlement s’est accordé, les 19 février 2004, 30 juin 2004 et 26 mars 2009, sur l’octroi de ces indemnités. Or, le Bureau n’est pas compétent pour prendre ce type de décisions, a estimé le tribunal : c’est au parlement de fixer l’indemnité allouée aux membres du Bureau, et non au Bureau lui-même.  » Le parlement n’a adopté aucun règlement sur les indemnités de sortie des fonctions spéciales pour les sessions 1999-2004 et 2004-2009, peut-on lire dans le jugement rendu le 28 mars 2018. Le parlement n’a pas non plus ratifié les décisions du Bureau, qui a pris seul les décisions et a payé les indemnités. Il s’agit dès lors d’une faute dans le chef de la Communauté française « , affirme la juge.

Interrogé par Le Vif/L’Express, Xavier Baeselen, secrétaire général du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a confirmé que les décisions en question avaient bien été prises par le seul Bureau, sans être validées par le parlement. Il se pourrait dès lors qu’une quinzaine de parlementaires de la Communauté française – selon ses estimations – aient perçu illégalement des indemnités de départ majorées, à la fin des législatures 1999-2004 et 2004-2009. Lesquels ? Le secrétaire général du parlement considère qu’il n’a pas à le dire et qu’il revient aux intéressés de répondre aux questions du Vif/L’Express s’ils en ont envie. Nous en avons dès lors sondé une quinzaine.

A combien pourrait s’élever le montant qui aurait été ainsi indûment versé ? Là encore, le secrétaire général du parlement n’apporte pas d’éléments de réponse mais il est question de plusieurs centaines de milliers d’euros, selon les estimations du Vif/L’Express. Le supplément payé aux députés à fonctions spéciales est calculé à raison de deux mois d’indemnité parlementaire par année de carrière dans ces fonctions particulières. Cette enveloppe financière n’est pas réglée en une fois mais versée pendant une durée qui varie en fonction du nombre de mois durant lesquels le député a exercé des fonctions parlementaires, avec un maximum de quatre ans.

Cet argent n’est pas non plus payé automatiquement aux députés. Encore faut-il qu’ils en fassent la demande officielle, dans les délais impartis.  » Je n’ai jamais sollicité le versement d’indemnités, ni en 2009, ni en octobre dernier. Et je n’ai rien reçu d’office « , affirme par exemple Caroline Persoons (DéFI), qui a siégé comme députée au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de 1995 à octobre 2017 et y a été membre du Bureau entre 2004 et 2009. Willy Borsus (MR), député communautaire en 2008, est dans la même situation.  » Je n’ai ni sollicité, ni perçu la moindre indemnité de départ « , répond-il, interrogé par Le Vif/L’Express. La réponse est identique pour Christos Doulkeridis (Ecolo), attaché au Bureau entre 1999 et 2001 et pour Françoise Schepmans (MR), concernée par ces fonctions spéciales entre 2001 et 2004. D’autres députés, contactés personnellement par Le Vif/L’Express, disent tout ignorer de ces indemnités majorées.

En revanche, André Bouchat (CDH), qui a occupé le poste de secrétaire du parlement de la Communauté française pendant douze mois, a perçu une indemnité de départ de 1 101 euros pendant un an.  » Je n’ai jamais rien demandé, assure- t-il : c’est venu d’office. J’ignore même comment cela est calculé.  » Jean-François Istasse (PS), ancien président du parlement, confirme avoir lui aussi bénéficié de ces indemnités. Mais  » ayant quitté le parlement depuis cinq ans, je ne connais plus les règles en la matière « , confie-t-il au Vif/L’Express.

Le parlement de la Communauté française et son Bureau attendent désormais que la cour d’appel se prononce sur ce dossier.  » Lorsqu’une décision de justice sera coulée en force de chose jugée, le Bureau prendra position, éclairé par l’administration, et tranchera, commente le secrétaire général Xavier Baeselen. A ce jour, le jugement que vous évoquez n’est pas coulé en force de chose jugée.  »

La faute à José Happart

En vertu d’un nouveau règlement daté du 16 décembre 2009, avec effet rétroactif au 16 juillet 2009, les indemnités de départ majorées ont été supprimées pour les membres du Bureau sortants qui ont perdu leur fonction parlementaire, rappelle Jean Faniel, le directeur du Crisp, dans un Courrier hebdomadaire consacré à la rémunération des parlementaires et des ministres. Seul le président sortant qui cesse ses fonctions parlementaires bénéficiera encore d’une indemnité spéciale de départ, mais d’un montant nettement inférieur à celui qui prévalait avant 2009.

A l’époque, le président sortant du parlement wallon, José Happart (PS), avait quitté son poste avec une enveloppe de départ de quelque 530 000 euros. L’information, révélée par la presse, avait suscité un tollé et encouragé les députés à sonner la fin de ce régime particulier, dans un souci de bonne gouvernance.

Le nouveau règlement du 16 décembre 2009 contient certes un article – le 22e – qui pourrait être interprété comme une ratification a posteriori, par le parlement, des décisions prises en 2004 et 2009 par le seul Bureau au sujet des indemnités de départ majorées. Mais, a estimé le tribunal de première instance,  » la ratification ayant pour but de régulariser des actes – en l’occurence les décisions du Bureau – acccomplis en violation d’une loi d’ordre public, est inadmissible « . L’analyse de la cour d’appel sera attendue avec grand intérêt, du côté du parlement…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire