Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Heureux qui comme Ulysse ne paie pas sa pension alimentaire

Où il est question d’un huissier qui est une huissière, de justice, d’un passeport et d’une momie.

Les procès sont des événements imprévisibles et mobiles : leur date varie selon toute une série de choses mystérieuses dont la teneur nous échappe. C’est un peu comme Pâques, qui ne tombe jamais le même jour. Mais ce n’est pas du tout comme la Toussaint, et ce malgré le caractère éminemment grave que l’on retrouve pourtant aussi bien dans les tribunaux que dans les cimetières. En ce début d’octobre, gentiment cravatée comme une enfant sage, une huissière française arrivait à Bruxelles, en titubant, sous une pluie battante magnifiquement orchestrée par des vents d’ouest. La femme avait fait un long voyage depuis Bordeaux, empruntant la route des vins, pour une raison qui lui était personnelle. Elle avait emprunté de petits chemins en lacets, ceux qui donnent du charme aux vignobles et le tournis aux souliers. C’est à ce dernier point que l’on reconnaît qu’un bordeaux est bon et qu’on en a peut-être abusé.

Oui, vraiment, le voyage avait été long. L’huissière se dit que ça lui donnait un point commun avec l’homme auquel elle venait signifier qu’il était convoqué par la justice, après la plainte en abandon de famille, déposée par une certaine Pénélope (1). C’est grâce à la presse que madame avait pu localiser monsieur qui, d’après Le Vif/L’Express, officiait, depuis son débarquement de l’Aquarius, comme serveur dans le dénommé café Geyser. Lorsque l’huissière aperçut son client, appuyé à une queue de billard, détendu et souriant, une furtive grimace traversa son visage : il rigolerait moins dans deux minutes, l’abandonneur ! L’encravatée fonça sur sa proie :

– Monsieur Ulysse, vous êtes accusé d’avoir abandonné votre fils Télémaque aux seuls soins de sa mère, pendant que vous vous prélassiez sur une île avec une nymphette, que vous naviguiez avec des pin-up et que vous disposiez pourtant d’un cheptel de plusieurs milliers de têtes. Qu’elles aient été turques ne change rien : vous n’allez pas être xénophobe, de surcroît.

– On est en Belgique, Ulysse n’a pas grand-chose à craindre, osa un gars de derrière le billard (2).

– Madame, vous faites erreur ! balbutia, ahuri, le Rwandais, en brandissant un passeport sur lequel, dans la case profession était indiqué pharaon (3).

– Rien ne vous saute aux yeux, madame ?

– Ah non, rien ne me saute.

– M’enfin, regardez la photo !

– Ah oui, c’est vrai : vous n’aviez pas l’air très en forme, ce jour-là…

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15…

(1) Pour le 60e anniversaire de la Constitution française de 1958, une Journée du droit a été organisée le 4 octobre dans les collèges. A Bordeaux, c’est le procès d’Ulysse qui fut soumis aux élèves.

(2) Le ministre fédéral de la Justice, Koen Geens, a expliqué que la justice ne s’occupait pas des abandons de famille (le vif.be, 21 septembre dernier).

(3) En 1976, la momie de Ramsès II (qui souffrait de mycoses) fut traitée en France. Pour lui autoriser le voyage, l’Egypte lui délivra un passeport.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire