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Spermogénèse : les hommes sont-ils de moins en moins fertiles ?

Il est mal en point. Sa qualité (la mobilité et la concentration) ne cesse de se détériorer. En cause ? Notre environnement « chimique ». Des scientifiques alertent sur les dangers des perturbateurs endocriniens et du tabac. Explications.

Des rumeurs commencent à se répandre, timidement, dans les années 1980. « On » dit que les hommes sont moins fertiles, « on » murmure que la qualité du sperme n’est plus ce qu’elle était, « on » incrimine, pêle-mêle, la pollution, les jeans trop serrants, la vie sédentaire, la mauvaise alimentation. Le sujet est un peu tabou et les rumeurs restent au stade des rumeurs, faute d’être étayées par des données scientifiques.

Alerte danoise

En 1992, l’endocrinologue Niels Skakkebaek tire la sonnette d’alarme en publiant, avec ses collègues de l’hôpital universitaire de Copenhague, la première étude démontrant la chute de la fertilité des hommes. Skakkebaek a étudié à la loupe une soixantaine d’articles publiés entre 1938 et 1990, consacrés à l’analyse du sperme de 15 000 hommes fertiles et en bonne santé, issus, essentiellement d’Amérique et d’Europe du Nord. Sa conclusion ? La production spermatique n’a cessé de décroître au fil du temps. Les chiffres parlent. En 1938, la moyenne d’un éjaculat s’élevait à 3,4 millilitres de sperme, avec une concentration moyenne de 113 millions de spermatozoïdes par millilitre. En 1990, la chute est verticale : un éjaculat moyen ne mesure plus que 2,75 millilitres et sa concentration n’atteint que 66 millions de spermatozoïdes. Autrement dit, une baisse de près de 50 % en cinquante ans ! Les résultats de l’étude, publiés dans le très sérieux British Medical Journal, suscitent le scepticisme. Ils dérangent, aussi. On met en doute la façon de procéder de Skakkebaek, on discute sa méthode et on appelle à la rescousse Shanna Swan, une épidémiologiste américaine dont la réputation mondiale est au-dessus de tout soupçon. En 1994, celle-ci passe en revue l’ensemble des travaux publiés sur le sujet dans la littérature savante en y rajoutant une quarantaine de publications scientifiques, les confronte aux analyses de Skakkebaek, fait appel à une méthode statistique « en béton » et… valide les résultats du scientifique danois. Perfectionniste, elle recommence le tout en 2000 et constate que les courbes sont toujours pareilles.

Les Français ont du mal à y croire. Pour eux, la stabilité de la production spermatique est une évidence inattaquable et ne peut pas être mise en doute. Piqués au vif, ils décident donc de mettre en route « leur » propre étude. Jacques Auger et Pierre Jouannet, deux spécialistes de la procréation médicalement assistée et fondateurs des Cecos (Centres d’étude et de conservation des £ufs et du sperme), analysent et comparent la qualité du sperme de leurs donneurs entre 1973 et 1992. Et là, stupeur : en deux décennies, la quantité de spermatozoïdes mobiles a été divisé par deux : 102 millions de spermatozoïdes par millilitre en 1973 et 51 millions de spermatozoïdes, exactement la moitié, en 1992. De surcroît, la baisse de quantité s’est accompagnée d’une baisse de qualité : une concentration et une mobilité réduites ainsi que des anomalies de forme ayant pour conséquence une diminution de la fertilité. Les résultats sont publiés dans le livre La fertilité est-elle en danger ? (éd. La Découverte). Les scientifiques ne dramatisent pas, mais sont formels : oui, le sperme humain (la qualité et la concentration de spermatozoïdes) est en train de décliner. Autre constat inquiétant : une hausse de malformations congénitales.

Les études plus récentes (2009), menées par le Cecos, le confirment : dans certaines régions du monde, l’homme produit deux fois moins de spermatozoïdes que son père.

L’environnement en cause

« Même s’il n’existe pas d’étude belge spécifique sur le sujet, les travaux danois et français font référence et ont amorcé une conscientisation dans ce domaine, affirme le Dr Anne Delbaere, chef du service de procréation assistée à l’hôpital universitaire Erasme à Bruxelles. Le déclin significatif de la production de spermatozoïdes est bien une réalité. » Mais il est trop rapide pour avoir une cause génétique. Alors que s’est-il passé ? Les scientifiques suggèrent l’effet environnemental toxique sur la spermatogénèse. On constate en effet que l’environnement et, plus précisément, l’environnement urbain influencent la qualité du sperme. Celle-ci varie selon les villes, ce qui prouverait l’influence de l’environnement. De leur côté, les observateurs de la faune sauvage pointent une féminisation de certaines espèces. Les organes sexuels de certains oiseaux, tortues, poissons (et même des alligators !) s’atrophient et ont pour conséquence une diminution de la fertilité. Or ces animaux évoluent dans un environnement qui est ou a été contaminé par des molécules chimiques provenant de l’industrie ou de l’agriculture. Certes, les liens de cause à effet sont très difficiles à mettre en évidence, mais le sujet préoccupe toute la communauté scientifique.

Epidémiologistes, toxicologues et andrologues se mettent d’accord sur la conclusion : des dizaines de milliers de molécules chimiques « furtives » (car personne ne se rend pas vraiment compte de leur présence, et pourtant ils font des dégâts) se baladent dans l’environnement, et certaines perturbent le rôle des hormones (d’où leur nom de « perturbateurs endocriniens ») en modifiant, notamment, les conditions nécessaires à la masculinisation des espèces.

« Ces modifications peuvent commencer in utero, lors de l’exposition maternelle à certains perturbateurs endocriniens qui ont une activité anti-androgénique, autrement dit, un impact sur le développement des organes génitaux des garçons », poursuit le Dr Anne Delbaere. Parmi les perturbateurs endocriniens les plus incriminés et les plus préoccupants, on cite en premier lieu les phtalates. On les retrouve dans un grand nombre de produits d’usage quotidien, bouteilles et gobelets en plastique, gants, bottes, tissus synthétiques, sprays et colles. Le bisphénol A est un autre grand coupable. De multiples objets de consommation courante en contiennent : des intérieurs de canettes, de boîtes de conserve et de couvercles de bocaux, aspirateurs, lave-vaisselle et réfrigérateurs, revêtements de sols type linoléum, meubles et vaisselle en plastique, CD et DVD. Certains solvants, insecticides et pesticides complètent la liste. Durant la grossesse et, donc, durant l’organogénèse, ces perturbateurs endocriniens auraient plusieurs effets indésirables, parmi lesquels l’altération de la production spermatique, le déclin de la fertilité et les malformations uro-génitales chez les garçons. Et ces effets-là sont irréversibles.
TDS, ou symptôme de dysgénésie testiculaire

D’autres signes interpellent les scientifiques. Tout d’abord, une augmentation du cancer du testicule. Selon la Fondation Registre du cancer, celui-ci a augmenté en Belgique de 20 % entre 2004 et 2008 et 318 nouveaux diagnostics ont été enregistrés en 2008. Ce cancer, certes assez rare, touche des hommes jeunes, entre 15 et 49 ans. Autre constat : un boom inquiétant des malformations du petit garçon à la naissance. Durant la vie f£tale, un processus délicat se met en place : la formation des testicules et leur descente dans les bourses. Quand les testicules ne sont pas descendus, on parle de cryptorchidie. Par ailleurs, la formation de l’urètre dans le pénis peut également être perturbée. Au lieu de s’ouvrir au niveau du gland, l’urètre se termine par une ouverture de largeur variable sous le pénis ou, même, au niveau des bourses.

On appelle ce symptôme l’hypospadias. Niels Skakkebaek est convaincu que ces deux symptômes, tout comme l’augmentation du cancer du testicule, sont liés à la détérioration de la qualité du sperme et ont la même origine f£tale et environnementale. Il les a baptisés « le syndrome de dysgénésie testiculaire (TDS) ». « Ces phénomènes pourraient en effet avoir leur origine in utero, mais le lien entre la qualité du sperme et le TDS n’est pas démontré et ne fait pas encore l’unanimité au sein de la communauté scientifique », tempère le Dr Delbaere.

Une incidence sur la procréation

C’est donc une certitude : la qualité du sperme diminue, en mobilité et en concentration. Et ces paramètres ont des répercussions sur le délai nécessaire aux couples pour concevoir et sur les demandes, de plus en plus nombreuses, d’assistance médicale à la procréation. En Belgique, un couple sur cinq consulte parce qu’il ne parvient pas à avoir d’enfant. Et un couple sur dix est traité pour infertilité. Pionnier dans le domaine, notre pays compte aujourd’hui 16 centres de PMA (procréation médicalement assistée) de type A, qui proposent le bilan et le traitement, et 18 centres de type B disposant, en plus, d’un labo de fécondation. En 2009, sur 128 581 accouchements, 4 463 enfants sont issus de la FIV, soit un enfant sur 29. Grâce aux progrès de la médecine, un seul spermatozoïde suffit pour concevoir un embryon. En laboratoire. Même si le sperme continue à décliner, la survie de l’espèce humaine n’est donc pas réellement menacée.

Ceux qui acceptent difficilement que la science prenne le relais de la procréation naturelle (avec ses conséquences psychologiques et les coûts économiques pour la société) n’ont qu’une solution : écarter les perturbateurs endocriniens de leur environnement, arrêter le tabac et adopter une pratique sportive modérée.

Barbara Witkowska

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