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Quels sont les secrets des couples solides?

Et si la solidité des liens amoureux dépendait de la qualité des relations nouées, dès le berceau, avec la figure maternelle? C’est la thèse, très sérieuse, d’une nouvelle école de spécialistes, qui s’appuie sur des recherches en psychiatrie. Secrets d’unions qui durent.

L’interrogation est vieille comme le monde: sommes-nous faits l’un pour l’autre? Pour le savoir, les tourtereaux se réfèrent à leur signe du zodiaque, ou se livrent à un « test d’affinité » à partir de leurs prénoms, toujours sur la Toile. Tristan et Iseut, les amants légendaires, récoltent seulement 3% de « compatibilité amoureuse » – il est vrai que leur histoire s’est mal terminée. Bref, jeunes et moins jeunes recourent à des méthodes pour le moins hasardeuses dans l’espoir de cerner l’avenir. Alors qu’il existe, aujourd’hui, des travaux scientifiques tout à fait sérieux portant sur l’harmonie des couples. Inspirées par les réflexions d’un psychiatre britannique longtemps controversé, John Bowlby, ces études restent peu connues. Dans un livre, à paraître le 1er septembre, Yvane Wiart, chercheuse en psychologie de l’université Paris-Descartes, a entrepris de les faire sortir de l’ombre.

De quoi s’agit-il? Pionnier de l’exploration des liens affectifs chez les jeunes enfants, John Bowlby est le père de la « théorie de l’attachement », une référence de la pédopsychiatrie moderne. Ce thérapeute postule que l’attachement constitue un instinct aussi vital pour l’être humain que la satisfaction de ses besoins primaires, comme avoir chaud ou se nourrir. Bowlby part du principe que la survie du nouveau-né dans un monde hostile dépend de sa capacité à s’attirer les bonnes grâces d’un adulte protecteur, le plus souvent sa mère.

Certains concepts sont contestés par les freudiens

A première vue, on voit mal comment cette doctrine, elle-même inspirée de la théorie de l’évolution de Darwin, pourrait éclairer en quoi que ce soit les démêlés amoureux ultérieurs des individus. Pourtant, son fondateur a défendu jusqu’à sa mort, en 1990, une idée clef: la qualité des premières relations établies dans l’enfance conditionne celles que l’on nouera plus tard, en amour comme en amitié. Et comme nombre de visionnaires, Bowlby a vu ses intuitions confirmées, à titre posthume, par les progrès de la science.

Grâce à la neurobiologie, on sait en effet désormais que les échanges affectifs précoces déterminent le câblage initial du cerveau et sa chimie, créant une empreinte qui déterminera, à l’âge adulte, la manière d’appréhender la vie à deux. L’enfant élevé par une mère attentive s’attendra à trouver, plus tard, du réconfort auprès de son conjoint, car son cerveau associera automatiquement cette proximité avec l’hormone du bien-être, l’ocytocine. A l’inverse, celui qui a grandi auprès d’une mère imprévisible vivra, vingt ans après, dans la crainte que son partenaire le lâche, car le schéma imprimé dans sa matière grise reliera la relation à autrui avec l’hormone du stress, l’adrénaline. Toutefois, certains concepts de Bowlby restent contestés par les psychanalystes freudiens. Avec, sur le fond, une divergence fondamentale: Sigmund Freud considère que l’enfant se rapproche de sa mère uniquement parce que celle-ci le nourrit – la reconnaissance du ventre, en somme – et non par besoin d’être rassuré. Mais que clament donc de si révolutionnaire ces « attachementistes », pour reprendre l’expression du plus célèbre d’entre eux, Boris Cyrulnik? Selon ces chercheurs, minoritaires en France, les individus peuvent être rangés en trois catégories, en fonction du mode de relation qu’ils entretiennent avec les autres. Les adultes confiants ou, dans le jargon, « sécures », apprécient la compagnie et font preuve de souplesse en cas de conflit. Ceux-là ont bénéficié, enfants, de l’attention bienveillante de leur « figure d’attachement », la personne qui s’est le plus occupée d’eux, par exemple leur mère, leur père, un grand-parent ou une nourrice. Un deuxième « style d’attachement », qualifié d’anxieux, s’applique aux adultes qui s’inquiètent sans cesse d’une possible rupture et recherchent la fusion dans leur couple. Ceux-là ont été confrontés, petits, à une figure d’attachement défaillante. Ils n’ont réussi à capter son attention qu’en redoublant de pleurs ou en piquant des crises. Enfin, il existe des adultes distants, dits « évitants », qui n’expriment pas leurs émotions, fuient l’intimité et valorisent l’autonomie. Leur stratégie s’explique aussi par leur passé, dans lequel leur figure d’attachement a ignoré, voire rejeté, leurs demandes d’affection. Voilà pour Bowlby dans le texte.

Les héritiers du maître, parmi lesquels des chercheurs américains comme Lee Kirkpatrick ou Phillip Shaver, ont poussé plus loin la curiosité. Ils ont voulu repérer les combinaisons sur lesquelles reposaient les unions durables. Leurs études, publiées respectivement en 1994 et 1995, montrent que trois configurations seulement résistent à l’épreuve du temps. L’alliance la plus solide est constituée, sans surprise, de deux conjoints confiants. En revanche, la rencontre de deux personnes de style anxieux engendre une relation si chaotique que les scientifiques ont repéré seulement… un couple de cette sorte. « Les résultats de ces premiers travaux sont convaincants, estime Boris Cyrulnik. J’espère que d’autres équipes vont mener des observations à plus grande échelle. »

L’être humain peut agir sur son destin

Le sort d’un couple serait-il donc écrit d’avance? Pas si simple, bien sûr. En outre, l’être humain possède cette faculté particulière d’agir sur son destin. La psychologue Raphaële Miljkovitch a montré que les adultes anxieux ou distants pouvaient remanier leur stratégie d’attachement et devenir plus confiants, en tirant les leçons de leurs histoires d’amour successives. « La vie conjugale […] procure une expérience nouvelle qui permet de modifier le mode relationnel, écrit la chercheuse de l’université Paris X-Nanterre dans Les Fondations du lien amoureux (PUF). On revit l’expérience de problèmes rencontrés avec ses parents, en cherchant à les résoudre au contact de sa nouvelle figure d’attachement. » A condition, toutefois, de se livrer à un minimum d’introspection. « C’est tellement tentant de rejeter sur le partenaire la responsabilité des dysfonctionnements », souligne la psychologue, qui exerce en cabinet depuis une quinzaine d’années.

La théorie de l’attachement pourrait-elle aussi bousculer les thérapies de couple classiques? « Les spécialistes de ce type d’intervention commencent à s’y intéresser, mais ils ne l’ont pas intégrée à leurs pratiques pour l’instant », observe Raphaële Miljkovitch. En attendant, chacun peut jouer, modestement, le rôle du thérapeute au sein de son propre couple. Le pédopsychiatre Antoine Guedeney, responsable du diplôme universitaire sur l’attachement, à la faculté de médecine Paris-Diderot, défend cette idée. « Le conjoint est bien placé pour aider l’autre à réaliser qu’il applique, de manière automatique, des stratégies héritées de l’enfance, juge-t-il. Il connaît les parents de son partenaire. En tant que confident, il sait tout de ses déboires, notamment ceux dont on ne se vante pas à l’extérieur. C’est donc un témoin privilégié, qui peut pointer les réactions inadaptées, y compris dans les disputes conjugales. A lui de dire: « Je ne mérite pas ces reproches, pourquoi tu t’es mis dans une telle colère? Ça vient nécessairement d’ailleurs. » » Ce n’est pas seulement le médecin, mais le mari qui parle. Avec sa femme, Nicole, également pédopsychiatre, ils entament leur vingt-neuvième année de vie commune.

Estelle Saget, L’Express

La vie à deux, cette fiction…

Où croise-t-on un couple de « papa éléphant » et de « maman éléphant »? « Uniquement dans les livres pour enfants! » lance le psychiatre Philippe Brenot, qui a publié Les Hommes, le sexe et l’amour (éd. Les Arènes). Partant du constat que 4 % à peine des espèces de mammifères sont effectivement monogames, ce thérapeute avance que le couple « n’a rien de naturel chez l’homme ». Même chez les primates, comme le singe, la notion de famille n’existe pas. La femelle s’occupe des petits tandis que le mâle joue les électrons livres. Jusqu’à une époque récente, le mot même de couple n’existait pas: on disait alors « ménage », « foyer », « mariage ». Les gens restaient ensemble « car il n’y avait pas d’alternative, notamment pour les femmes », note Philippe Brenot. Seules exceptions à cette règle immuable: quelques sociétés traditionnelles, comme cette tribu d’Ouganda où les terres appartiennent aux femmes et sont transmises par elles. Résultat: le taux de séparation y atteint… 30%!
Vincent Olivier

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