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Peut-on vivre sans parabens?

Présents dans les produits de beauté ou les médicaments, des conservateurs provoqueraient des perturbations du système reproducteur. Les scénarios possibles, en cas d’interdiction.

Que se passera-t-il si, demain, les parabens se retrouvent purement et simplement interdits? La question mérite d’être posée. Car ces conservateurs d’usage courant, présents dans les crèmes solaires comme dans les sirops contre la toux, sont dans le collimateur du législateur. A la fois en France, et à l’échelon européen. Les industriels qui les utilisent prédisent déjà la catastrophe. Le remède sera pire que le mal, disent-ils, car les parabens seront remplacés par des substances moins efficaces contre les bactéries et les moisissures, moins bien étudiées, donc plus risquées pour la santé. Ou alors, il faudra carrément se passer de conservateur et, dans ce cas, avertit un dermatologue dans une revue scientifique, les femmes seront obligées de mettre leur pot de crème hydratante au réfrigérateur et de le jeter au bout de dix jours. Diable! A y regarder de plus près, pourtant, le tableau n’est pas si noir.

Tous les parabens ne sont pas à mettre dans le même sac!

Tout en poussant des cris d’orfraie, les industriels se préparent depuis plusieurs années à la mise au ban des parabens. Surtout dans le secteur des cosmétiques, premier concerné, puisqu’il achète 80% des quantités utilisées dans le monde. Les Chanel, L’Oréal et autres Shiseido ont mobilisé leurs équipes de recherche dès 2004, lorsqu’une étude britannique a émis l’hypothèse d’un lien avec le cancer du sein. Depuis, les chercheurs ont pointé un autre effet possible, une moindre fertilité chez les hommes ayant été exposés à ces substances durant l’enfance. Les parabens sont désormais accusés, avec d’autres produits chimiques omniprésents dans le quotidien, d’être des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire de perturber le système reproducteur des humains. Et le couperet ne devrait plus tarder à tomber. « Nous nous attendons à des restrictions réglementaires au niveau européen d’ici à deux ans au maximum », indique Jean-Pierre Laugier, responsable des ingrédients au département des affaires réglementaires chez L’Oréal.

Pour le citoyen, même éclairé, difficile d’y voir clair. L’instance compétente de la Commission européenne, le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, ne met pas tous les parabens dans le même sac. Ce comité a rédigé un projet d’interdiction pour deux substances de cette famille (l’isopropylparaben et l’isobutylparaben). Dans le même texte, deux autres parabens voient leur utilisation limitée (le propylparaben et le butylparaben), avec un seuil de concentration à ne pas dépasser.

Pas d’interdiction radicale, mais une substitution progressive En France, le sénateur Gilbert Barbier défend cette approche « d’interdiction raisonnée ». Dans le rapport du 12 juillet de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il recommande « de raisonner par produit et non pas par famille ». Et conclut: « Il n’y aura pas de grand soir de l’interdiction des perturbateurs endocriniens, mais une identification et une substitution progressive. » Sauf que les marchands de la beauté ont déjà convaincu les consommateurs que les parabens étaient tous aussi dangereux les uns que les autres, à force de vanter à longueur de publicité les mérites de leurs produits « sans parabens ».

Pas de grand soir, donc, mais une disparition programmée quand même. Côté cosmétiques, l’interdiction ne pose aucun problème quand les produits ont une teneur élevée en alcool (comme les parfums et eaux de toilette) ou en huiles essentielles (le cas de nombreuses gammes bio), dans les soins anti-acné contenant des agents antibactériens, les crèmes ayant un PH très faible comme les crèmes antirides aux acides de fruits. Ceux-là se conservent tout seuls. Pour les autres, les fabricants vont devoir piocher une alternative aux parabens dans la liste des 58 conservateurs autorisés dans l’Union européenne. Ils vont aussi tenter, avec l’industrie chimique, d’en faire homologuer de nouveaux. Lesquels? Chacun garde ses travaux confidentiels. Chez L’Oréal, Jean-Pierre Laugier consent à livrer un secret déjà éventé dans la profession: la glycérine. Utilisé dans les savons pour son pouvoir émulsifiant, cet ingrédient possède aussi des propriétés antibactériennes qui pourraient être exploitées.

D’autres astuces sont à l’étude, comme la diminution de la teneur en eau, qui favorise la prolifération des bactéries et des moisissures. Les risques sont en effet moindres avec la cire et l’huile, comme le montre la crème Nivea, si riche en corps gras qu’elle se conserve depuis toujours sans parabène. La marque distributeur Carrefour, elle, propose des produits de beauté stérilisés UHT, comme pour les briques de lait! Sinon, il reste à jouer sur l’emballage, en proposant par exemple des tubes unidoses, chics, chers et jetables, comme le traitement antirides Précision de Chanel. Il existe aussi des tubes sans reprise d’air, où la crème est conditionnée dans une poche qui se rétracte au fur et à mesure de l’utilisation pour éviter d’aspirer des microbes à l’intérieur. Les pots, eux, restent la hantise des bactériologistes. Car on les contamine chaque fois qu’on plonge le doigt dedans sans s’être lavé les mains…

Du côté des armoires à pharmacie, c’est l’Agence européenne des médicaments (EMEA, pour le sigle anglais) qui devrait statuer. En France, 400 spécialités sont concernées. Les sirops pour enfants, en particulier, sont sur la sellette, à cause des effets suspectés du propylparaben sur les petits garçons. Ce risque précis fait l’objet d’une étude pilotée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), dont les résultats sont annoncés pour novembre. « L’Agence européenne les attend pour se prononcer », précise Vincent Gazin, le responsable de l’unité de toxicologie clinique. Par la voix de leur fédération, le Leem, les laboratoires pharmaceutiques indiquent que deux années seront nécessaires pour s’adapter en cas d’interdiction. « Certains médicaments seront reformulés et d’autres disparaîtront s’ils ne sont pas indispensables », prévoit Anne Carpentier, directrice chargée de la qualité. Pas de grand soir, on vous dit.

Par Estelle Saget, L’Express.fr

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