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« On ne laisse pas ses ennuis professionnels à la porte du bureau »

Le travail nuit-il gravement à la vie privée ? C’est ce que laisse penser une récente étude, même si certains salariés arrivent mieux que d’autres à équilibrer les deux. L’analyse de Mélanie Boueroux, psychologue du travail.

Pour plus de la moitié des Français, le travail est une priorité, devant, donc, la famille ou la vie privée. Mais selon l’étude de Technologia et UMC, qui s’est intéressée à l’impact de la carrière sur la vie privée des Français, ce « débordement » du travail est « le plus souvent subi et dans ce cas, mal vécu ». Comment expliquer l’intrusion de la vie professionnelle jusque dans les foyers ? Et comment la contrôler ? L’analyse de Mélanie Boueroux, psychologue du travail et co-auteure de l’étude.

Qui sont ces salariés qui laissent leur carrière prendre le pas sur leur vie privée ?

D’après les témoignages, ce sont plutôt des hommes, cadres, qui exercent des responsabilités. Même hors du bureau, ils continuent à réfléchir, à essayer de faire avancer les dossiers, trouver des alternatives à des problèmes. L’amplitude horaire ajoute aussi des contraintes à l’organisation familiale, tout comme les nouveaux outils de travail, smartphones par exemple, qui empêchent de marquer une coupure : les cadres, notamment, ont tendance à les consulter tout le temps, à rester joignable de plus en plus longtemps. Il y a aussi un effet d’âge: les salariés plus âgés ont moins de mal que les jeunes à éteindre leur portable le week-end. L’effet de génération joue sûrement, est-ce qu’ils arriveront à les mettre à distance plus tard, l’âge aidant ?

Qu’est-ce qui aide au contraire à décrocher ?

Le fait d’avoir une activité extérieure, de pouvoir passer à autre chose dès la sortie du bureau. Les salariés avec enfants ont aussi moins de mal à se distancier, à se fixer d’autres priorités que leur vie professionnelle, comme si les enfants créaient une enveloppe psychologique protectrice. A partir de trois enfants notamment, les femmes semblent mieux s’organiser pour concilier les deux. Mais le facteur du temps intervient aussi : beaucoup d’entre elles sont à temps partiel, or le temps est primordial pour se ressourcer le corps, l’esprit.

On rencontre aussi de plus en plus de trentenaires, ou même plus jeunes, qui formulent le souhait de mieux préserver leur vie privée. Ils disent non au travail le week-end, à un dossier supplémentaire, etc., quand les autres n’osent pas. Certains ont pu voir leurs parents faire passer leur vie de famille après leur carrière, ils ont pu souffrir de voir leur père trop souvent en déplacement. Le miroir des parents influe beaucoup sur les choix des salariés.

L’étude pointe les effets pervers du travail sur la vie intime, et notamment sexuelle. Pour mieux décrocher, faut-il ou non parler de son travail à son conjoint ?

Il n’y a pas de règles. Nous avons rencontré des couples qui exerçaient la même activité: beaucoup ont tendance à en parler peu, sauf quand ils rencontrent des difficultés. Ils savent alors qu’ils peuvent se reposer sur l’autre, qui parle le même langage qu’eux. D’autres trouvent au contraire tout à fait légitime d’en discuter.

Verbaliser ses difficultés est toujours une soupape, ça permet de ne pas laisser s’installer des situations négatives. Une femme nous a par exemple expliqué qu’elle ne supportait pas que son mari ne lui parle pas de son travail, alors qu’elle voyait qu’il n’allait pas bien. L’autre peu même s’en sentir valorisé. Il est illusoire de penser que l’on peut laisser ses ennuis professionnels à la porte du bureau.

L’intrusion du travail dans la sphère privée ne cause donc pas que du tort ?

Non, tout est question d’équilibre, une notion à trouver dans chaque couple ou famille. J’ai rencontré un pharmacien qui travaillait six jours sur sept avec quatre enfants en bas âge, dont la femme avait décidé de s’arrêter pour élever ses enfants, et qui préférait fonctionner ainsi. Tout se passe bien à partir du moment où les conjoints comprennent et acceptent les attentes de l’autre. Mais tous les gens ne se retrouvent pas forcément dans des horaires allégés, loin de là. Ce serait oublier le rôle fondamental du sens au travail ou de la vocation.

Alexia Eychenne

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