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OGM : Séralini, semeur de doutes

La bombe du Pr Séralini n’en finit pas de secouer la communauté scientifique et les médias. En France, le Haut conseil des biotechnologies vient de réfuter les conclusions de son étude. Lui contre-attaque en publiant cent-soixante lettres de scientifiques qui le soutiennent. Portrait d’un chercheur de combat.

Plus d’un mois après la sortie de son livre contre les OGM, la bombe du Pr Séralini n’en finit pas de secouer la communauté scientifique et les médias. Après les virulentes critiques formulées contre ses travaux par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), le Haut conseil des biotechnologies et les académies nationales d’Agriculture, de Médecine, de Pharmacie, des Sciences, des Technologies, et Vétérinaire, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, à son tour, met en cause cette étude.

Comment, malgré cela, Séralini réussit-il à faire toujours figure de champion de la sécurité alimentaire? Notamment en jouant sur les récents scandales sanitaires, en s’appuyant sur ses solides réseaux politiques ou économiques. Et en posant de vraies questions auxquelles il faudra bien répondre un jour. Portrait d’un chercheur de combat qui n’a peur de rien.

Au salon Ille et bio, organisé dans les champs trempés des environs de Rennes, les agriculteurs locaux lui ont déroulé le tapis jaune: une jonchée de paille épandue à la fourche, pour protéger ses chaussures bien cirées. Traîné dans la boue par une bonne partie de la communauté scientifique, ici, au moins, Gilles-Eric Séralini aura évité la gadoue.

Depuis le 19 septembre, date à laquelle il a lancé sa bombe à fragmentation médiatique en rendant publique une étude concluant à la nocivité des OGM, la vie de ce professeur de biologie moléculaire s’est emballée. Ce matin-là, dès 6 h 30, France Info l’a réveillé en l’appelant sur son portable. Et ça n’a plus arrêté. Il est désormais l’un des chercheurs les plus réclamés – et les plus controversés – en France et dans le monde. « Je m’attendais bien à des remous, mais pas à un tel débordement! » confesse l’intéressé.

Bientôt « le premier business du monde » Enfant, Gilles-Eric Séralini a vu son frère devenir lourdement handicapé à la suite d’un vaccin mal contrôlé. Le voilà maintenant chercheur de combat, en guerre contre l’américain Monsanto, leader mondial des OGM. Dans son labo, ce fils d’un ancien radio des services secrets français, joue aussi, à l’occasion, les James Bond, la brioche et la moustache en plus. En 2007, lorsqu’il est parvenu à réunir les 3,2 millions d’euros nécessaires à « la première véritable enquête pour étudier sur le long terme les effets toxiques d’un OGM », Séralini a en effet décidé de travailler dans le plus grand secret. « Ceux qui ont osé s’attaquer au lobby agroalimentaire l’ont payé cher, se justifie-t-il. On leur a pourri leur carrière et leur réputation. »

Logique puisque, à l’en croire, les OGM seront bientôt « le premier business du monde ». Explication: « Il existe 30 000 espèces de plantes comestibles, mais 4 représentent 60% de la consommation planétaire. Si vous contrôlez leur production, vous récoltez des milliards. » En se battant contre les « agents de Monsanto », qui auraient « infiltré » les hautes sphères scientifiques, Séralini ne doute pas qu’il travaille dans le bon camp. « On sait lutter contre les microbes, mais pas contre les polluants comme les PCB, les OGM ou le bisphénol A. Or, en l’absence de réglementation, ils sont responsables de millions de morts. Je milite pour la vie, pas pour un parti! »

Le discours fait mouche, même si la plupart des académies savantes nationales contestent son étude. Au restaurant, dans les taxis, voire dans la rue, Gilles-Eric Séralini, passé sur tous les plateaux de télé, est encouragé à poursuivre son combat contre les lobbys. « Les scientifiques vous attaquent, mais on sait bien que les multinationales les arrosent et qu’ils se fichent pas mal qu’on attrape le cancer! » lui lance un serveur de café. C’est tout le « paradoxe Séralini ». Plus les savants des villes lui tombent dessus et plus ce Zorro des champs est populaire. Trop? Ministres et députés n’ont pas mis longtemps à mesurer toutes les conséquences de sa botte secrète. Après les scandales de la vache folle, du virus H1N1 ou du Mediator, impossible pour eux de faire de Séralini un martyr. D’autant que son étude pose de vraies questions sur les dysfonctionnements de la recherche et la gestion de la santé publique. Du coup, même si le chercheur a refusé de répondre sur le fond aux critiques émises sur ses travaux par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), les députés se sont empressés d’auditionner le sulfureux professeur. Et d’appeler à la « transparence du débat public ».

A l’étranger aussi, on s’intéresse de près à ce petit-Français-qui défie-les-puissants. En Californie, où aura lieu le 6 novembre un référendum sur l’étiquetage des OGM, journalistes et écolos s’arrachent le bonhomme pour contrer Monsanto, qui finance à coups de millions la campagne pour le « non ». Même chose du côté des Chinois, qui voient d’un mauvais oeil l’expansion du géant. En Russie, les autorités sont allées jusqu’à suspendre la commercialisation du maïs incriminé par le biologiste.

Un réseau politique qui le protège

David contre Goliath? Même Séralini refuse ce cliché. Car les anti-OGM ne sont pas nés de la dernière pluie acide. Soutenu financièrement par la grande distribution – notamment Carrefour et Auchan, qui aimeraient se faire avec lui une virginité bio -, Séralini s’est aussi constitué un réseau politique qui le protège. Et l’encourage. De Dominique Voynet et une partie du PS à Nathalie Kosciusko-Morizet – elle l’a décoré de l’ordre du Mérite en 2008 -, en passant par Chantal Jouanno ou le sénateur (UMP) François Grosdidier, lequel a participé, sur sa réserve parlementaire, au financement de ses travaux.

Sans parler de l’ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, aujourd’hui avocate internationale, avec laquelle Séralini a fondé le Criigen, une puissante association spécialisée dans le risque du génie génétique et… commanditaire de l’étude.

Sur le plan scientifique, beaucoup reprochent aussi au chercheur d' »avoir utilisé les mêmes méthodes opaques que ses adversaires ». La manière dont a été orchestré le lancement de son livre – Tous cobayes! (Flammarion) – où seuls les médias amis ont été conviés avant même que la publication scientifique soit parue afin d’éviter les critiques, prouve que l’art de la manipulation n’est pas l’apanage du seul Monsanto. Ce que ne manquent pas de souligner, à l’université de Caen, certains collègues de Gilles-Eric Séralini, confrontés, eux, à la grande misère de la recherche française, et qui n’en peuvent plus de voir défiler les caméras. La rançon du scandale.

Olivier Le Naire, L’Express.fr

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