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L’IRM, une histoire d’eau

Le Vif

Les progrès des techniques de la neuro-imagerie, et en particulier celle du cerveau, permettent de visualiser ce que l’on ne pouvait voir auparavant, tant sur le plan anatomique que fonctionnel. Revue de détail.

Le scénario est banal et peut arriver à chacun de nous. Imaginons que vous passez une bonne soirée entre amis au restaurant. Soudain, l’un des convives, appelons-le Jean, souffre de troubles un peu bizarres. Sa main droite, sans lui faire mal, se fait lourde et engourdie. Il a aussi du mal à s’exprimer, ne trouve pas certains mots. En quittant le restaurant, sa démarche devient difficile, il traîne la jambe droite, mais n’y prête pas trop attention. Le malaise est mis sur le compte du surmenage et du stress. Une bonne nuit de sommeil et demain, tout ira mieux, se dit-il. Faux espoir ! Le lendemain, Jean est incapable de se lever. Sa jambe et son bras droits sont inertes, ses paroles incohérentes et incompréhensibles. On appelle d’urgence un médecin. Hélas, il arrive trop tard. Comme 19 000 personnes chaque année en Belgique, Jean a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Que s’est-il passé ? Un caillot de sang s’est détaché dans le coeur ou dans une artère du cou, a filé tout droit dans une des artères du cerveau et l’a bouchée. Du coup, le tissu cérébral n’est plus correctement irrigué, il va manquer de sucre, d’oxygène, et va cesser de fonctionner.

Les conséquences d’un AVC sont très variables et dépendent de la région du cerveau touchée. Environ 20 % des patients en meurent, ce qui constitue la troisième cause de mortalité après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Jean y échappera, mais comme toutes les victimes d’AVC en gardera de graves séquelles. Il sera paralysé du côté droit et aphasique. La communication avec les proches sera grandement perturbée.

Pourtant, le scénario que nous venons de décrire aurait pu avoir une autre issue. Constatant l’état bizarre de Jean, ses amis ont le bon réflexe et appellent immédiatement le 100. Jean est rapidement transporté dans un service d’urgence neuro-vasculaire. On pratique un examen d’IRM (imagerie par résonance magnétique) avec, en particulier, une IRM de diffusion. Le diagnostic est limpide : une tache blanche indique très précisément la région cérébrale concernée, localisée dans l’hémisphère gauche. D’où les troubles du langage et la paralysie du côté droit, ce qui est tout à fait logique car notre cerveau est asymétrique. Pour fonctionner, le côté droit de notre corps reçoit toutes les « instructions » de l’hémisphère gauche du cerveau. Et inversement. Revenons au diagnostic. Une fois celui-ci posé, il faut agir à la vitesse d’un éclair : le cerveau perd deux millions de neurones par minute ! Les médecins tentent la thrombolyse qui consiste à injecter un médicament qui va dissoudre le caillot. Près d’une fois sur deux, les symptômes s’évanouissent immédiatement et définitivement. Le patient recouvre son état normal, comme si rien ne s’était passé. Tel est donc l’exploit de l’IRM de diffusion (une des modalités les plus révolutionnaires de l’imagerie cérébrale), méthode mise au point par le docteur Denis Le Bihan, directeur de la plate-forme NeuroSpin, au Commissariat à l’énergie atomique en France et auteur de Le Cerveau de cristal – ce que nous révèle la neuro-imagerie (1).

La neuro-imagerie moderne

Tout le monde a entendu parler de l’IRM, mais, en pratique, de quoi s’agit-il exactement ? La neuro-imaginerie moderne, informatisée, n’est apparue que dans les années 1970 et a complètement chamboulé les connaissances sur le cerveau. Avant, les neurologues ne disposaient que des rayons X (découverts par Röntgen en 1895) pour pouvoir visualiser le crâne. Ils y voyaient des espèces d’ombres chinoises qui indiquaient des fractures de l’os, des vaisseaux sanguins anormaux et, parfois, des tumeurs sur la voûte du crâne. Le scanner à rayons X, apparu en 1972, constitue une première révolution dans le domaine de l’imagerie et ce, grâce à l’introduction de l’informatique. Des capteurs sensibles aux rayons X (dont la dose est infiniment réduite) reliés à l’ordinateur remplacent le film radiographique et balayent le cerveau sous des centaines d’angles différents. Le hic ? L’oeil de scanner est devenu trop précis. Il voit trop, il détecte des lésions qu’il est impossible d’expliquer, dont on ne sait pas quoi faire et qui demeurent pour les médecins des « objets non identifiés ».

Avec l’arrivée, un peu plus tard, de l’IRM, on peut voir, enfin, beaucoup plus clair dans le cerveau. Le concept est complètement différent : exit les rayons X ! L’IRM utilise un puissant champ magnétique et des ondes radio. Et l’informatique, bien entendu. Pourquoi le champ magnétique doit-il être puissant ? « Parce qu’il s’agit d’aimanter le noyau de l’atome, décrypte Denis Le Bihan. Le noyau est constitué de protons et de neutrons. Cela dit, tous les noyaux ne sont pas aimantables. Une chance, le plus aimantable est aussi le plus simple, celui de l’atome d’hydrogène constitué d’un seul proton. Or l’hydrogène contribue pour deux tiers à la molécule d’eau H²O. Cela tombe bien, car notre cerveau est composé à 80 % d’eau. Il est baigné par environ 30 millions de milliards de milliards de molécules d’eau ! L’IRM est donc avant tout une histoire d’eau. »

Voir le cerveau penser

Le scanner X délivrait surtout moult détails sur les structures osseuses. L’IRM, c’est tout le contraire. Elle zappe carrément le crâne, car il contient très peu d’hydrogène et ne répond à aucun signal de l’aimantation. Le crâne devient donc transparent, s’efface et on voit uniquement les tissus « mous » : la matière grise qui recouvre le cerveau et la matière blanche, enfouie plus profondément. Depuis sa mise au point, l’IRM a connu de multiples déclinaisons. L’IRM fonctionnelle, par exemple, à laquelle a également contribué Denis Le Bihan, sert à visualiser l’activation de certaines zones du cerveau lors de l’exécution d’une tâche et à explorer des fonctions cognitives, comme la reconnaissance d’un visage familier ou la pensée. Le seul fait de penser entraîne une petite augmentation du débit dans les vaisseaux sanguins qui irriguent certaines régions cérébrales et active le cortex visuel primaire. Ces processus changent l’aimantation de l’eau ce qui est parfaitement visible sur les images. Certaines régions de notre cerveau nous connectent au monde réel mais aussi à notre imaginaire. Ce qui signifie que l’imagination peut augmenter les performances. Le meilleur exemple est fourni par les musiciens. Il a été prouvé que le pianiste Arthur Rubinstein a pu booster sa virtuosité en travaillant mentalement les oeuvres à partir d’une partition. Les sportifs de haut niveau, golfeurs, champions de ski ou de tennis, « imaginent » aussi leurs gestes par avance. Donc, le « mental training » ça marche et c’est prouvé par la science ! Dans cet ordre d’idées, on se demande si un chef d’entreprise peut entraîner son cerveau et « imaginer » de réaliser des marges bénéficiaires à deux chiffres ? Hélas, non ! Jusqu’à la preuve du contraire, le « mental training » n’influence que notre corps. Le cerveau des sportifs, des musiciens et des danseurs, imprégné de nombreux stimuli venant de l’intérieur et de l’extérieur, va préprogrammer les muscles et va calculer la meilleure réponse, en fonction de ce qu’il a appris.

Perspectives encourageantes

L’IRM de diffusion dont il a été question plus haut est une autre déclinaison de l’imagerie par résonance magnétique. Elle est devenue incontournable en radiologie. Très schématiquement, elle s’appuie sur la mesure des mouvements de diffusion des molécules d’eau (parfois plus lents, parfois plus rapides) dans le cerveau ou ailleurs. Ainsi, il a été démontré que le ralentissement de la diffusion de l’eau est associé au gonflement des cellules en train de mourir (AVC). « En dehors du cerveau, dans les tissus cancéreux, le coefficient de diffusion de l’eau est aussi ralenti du fait de la prolifération cellulaire, note Denis Le Bihan. Même si ce mécanisme n’est pas encore bien compris. » Une chose est sûre. L’IRM est totalement inoffensive, on n’ajoute rien, on n’injecte rien et on obtient des images très fines des lésions. Il s’agit certes d’une approche révolutionnaire, mais la technique est encore onéreuse et reste à valider sur un grand nombre de patients. L’autre révolution en marche ? L’étude des images révélant les multiples connexions cérébrales devrait contribuer à comprendre mieux les pathologies psychiatriques. « A NeuroSpin, nous attendons la livraison d’un scanner extrêmement puissant, prévue en 2013 ou en 2014, conclut Denis Le Bihan. Sa précision pourra atteindre le 1/10e de millimètre et on pourra étudier le cerveau dans les moindres détails. Il sera également possible de scruter d’autres molécules que l’eau, des neurotransmetteurs ou l’acétylcholine, par exemple. Elles sont déterminantes mais ne représentent qu’une fraction de la composition du cerveau, raison pour laquelle on n’a pas pu bien les étudier par IRM jusqu’à présent. La précision du nouveau scanner devrait rendre cette recherche possible. Cela dit, l’IRM est avant tout une méthode de diagnostic et pas le traitement. Il y a un grand décalage entre ce que l’on peut voir et ce que l’on peut guérir. Et côté traitements, la recherche n’avance malheureusement pas à la même vitesse… »

1) Le Cerveau de cristal – ce que nous révèle la neuro- imagerie par Denis Le Bihan, Odile Jacob, 224 p.

BARBARA WITKOWSKA

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