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L’antimatière tombe-t-elle vers le haut ou vers le bas?

Le Vif

L’antimatière, qui serait l’exact opposé de la matière que nous connaissons, est-elle soumise à la gravité classique ou à une forme inconnue d’antigravité? Il est encore trop tôt pour répondre avec précision, mais des physiciens assurent que ce n’est qu’une question de temps.

L’antimatière est constituée de particules porteuses d’une charge électrique opposée à celle de la matière classique. Matière et antimatière auraient été créées en quantité égale dans les instants suivant le Big Bang mais, pour une raison inconnue, l’Univers a privilégié la matière et il ne reste plus que d’infimes quantités d’antimatière, principalement aux abords des trous noirs ou dans les rayons cosmiques.

Mesurer l’action de la gravitation sur l’antimatière est un rêve qui taraude les scientifiques depuis plus de cinquante ans, à tel point que des colloques et réunions sont régulièrement organisés sur le sujet. Pourquoi? Si les atomes qui composent la matière ordinaire tombent vers le bas sous l’effet de la gravité, on peut imaginer que les atomes d’antimatière, matière « miroir » de celle que nous connaissons, tomberaient quant à eux vers le haut, ou en tout cas seraient soumis à une autre forme de gravité, encore inconnue!

« Dans le cas improbable où l’antimatière tomberait vers le haut, nous devrions totalement revoir notre conception de la physique et repenser la façon dont l’Univers fonctionne », souligne Joel Fajans, du Lawrence Berkeley National Laboratory américain. D’après des observations indirectes, la théorie voudrait que la pesanteur s’applique de la même façon à la matière et à l’antimatière. Mais pour en avoir le coeur net, il est nécessaire de mesurer directement des atomes d’antimatière en « chute libre ». Mais l’antimatière s’annihilant au moindre contact avec la matière, elle est particulièrement difficile à étudier.

En 1995, le Cern (Centre européen pour la recherche nucléaire) de Genève était parvenu à produire ses premiers atomes d’antihydrogène, qui s’étaient quasi instantanément détruits. Mais depuis lors, l’expérience ALPHA hébergée au Cern a accompli d’immenses progrès: en 2011, des atomes d’antihydrogène ont pu être isolés pendant plus de 16 minutes dans un « piège magnétique », ouvrant la voie à l’observation de leurs propriétés.

Dans une étude publiée mardi par la revue britannique Nature Communications, les membres de l’expérience ALPHA ont décidé d’utiliser les données récoltées sur 434 atomes d’antihydrogène ainsi piégés pour tenter de mesurer l’influence de la gravité sur eux. Pour ce faire, ils ont comparé le rapport entre la « masse inertielle » (la résistance à l’accélération) de l’atome d’antihydrogène, équivalente à celle d’un atome d’hydrogène ordinaire, et sa « masse gravitationnelle » (qui s’applique à la force de gravitation subie par un corps) inconnue.

Dans le cas de la matière ordinaire, ces deux masses sont considérées comme équivalentes: quelle que soit leur composition, deux corps soumis à la même gravitation chuteront dans le vide à la même vitesse, comme la plume et le marteau lâchés sur la Lune par un astronaute en 1971. Le rapport entre les deux masses doit donc être égal à 1. Si le résultat trouvé était inférieur à 1 pour l’antimatière, alors celle-ci « tomberait vers le haut ». Les premiers résultats obtenus par ALPHA ne permettent pas de conclure, « loin de là », expliquent les physiciens.

« L’antigravité existe-t-elle? Pour l’instant on ne peut pas répondre par oui ou par non », résume Joel Fajans, qui participe à l’expérience ALPHA. Pour l’équipe d’ALPHA, ces résultats montrent surtout qu’il est possible de mesurer expérimentalement la gravité s’exerçant sur l’antimatière. Les scientifiques sont déjà en train d’améliorer leurs équipements et leur technique, pour piéger davantage d’antiatomes et les mesurer avec une précision accrue.

« Cela devrait nous permettre de réduire à l’avenir la fourchette et de nous approcher » de l’équivalence entre la masse inertielle et la masse gravitationnelle (rapport égal à 1) « qui nous intéresse », écrivent les membres d’ALPHA dans leur étude. « Ce n’est que le premier mot, pas le dernier », assure Joel Fajans.




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