Le chimpanzé et l'homme partagent 99,4 % d'ADN commun. Mais les 0,6 % restants font toute la différence... © Rich Vintage photography/Vetta/Getty Images

Homme et singe : le jeu des différences

Le Vif

Le chimpanzé ne cesse de nous étonner par sa proximité avec l’être humain. Est-ce pour autant un « frère » ? Pour la science, la réponse est non.

C’est un cousin prodige qui ne cesse de nous étonner, et de nous fasciner. Etude après étude, les scientifiques découvrent de nouvelles compétences cognitives et sociales chez le chimpanzé. Il sait raisonner, prévoir, apprendre, se reconnaître dans un miroir, faire de la politique, mettre sa vie en danger au profit du groupe, utiliser des outils, aider son prochain – et même le tromper quand le besoin s’en fait sentir…

Et pour cause : le cerveau du chimpanzé se distingue par sa grande ressemblance anatomique avec le nôtre. Ce n’est que récemment que les scientifiques l’ont observé de plus près et qu’ils ont découvert l’un des facteurs potentiels de ces facultés hors norme : le neurone dit en  » fuseau « . Situé dans le cortex antérieur du cerveau, où réside notamment la capacité à communiquer en émettant des sons, ce neurone commun à l’homme et au singe ne se retrouve chez aucun autre mammifère. Et de tous les primates, c’est le chimpanzé qui dispose de la densité de neurones en fuseau la plus équivalente à celle de l’homme.

Mais la comparaison s’arrête là. Car, plutôt que la densité, c’est la disposition de ces neurones qui fait toute la différence. Et à ce petit jeu, l’orang-outan, et non le chimpanzé, possède la structure neuronale la plus similaire à la nôtre. Asocial et solitaire à l’état sauvage, le primate d’Insulinde  » s’adapte le plus rapidement à son environnement lorsqu’il se trouve en captivité « , rappelle le primatologue Marc Ancrenaz.

Une des différences qui permettent d’expliquer la frontière scientifique existant entre l’homme et le chimpanzé tient au développement du fameux cortex antérieur : celui d’un nouveau-né humain est moins volumineux, en proportion, que celui du chimpanzé, et grossit plus tardivement, en s’adaptant à son milieu. Une capacité qui, au fil des siècles, a fait évoluer la structure même du cerveau humain : les ponts entre cortex superficiel et cerveau profond se sont multipliés. C’est ce qu’on appelle les  » microcolonnes « , des colonnes verticales d’une centaine de neurones liés les uns aux autres, essentielles à la réalisation de tâches cognitives complexes. Selon une étude publiée par David Premack dans la revue PNAS, elles sont bien plus densément connectées chez les humains que chez les grands singes.

L’orang-outan possède la structure neuronale la plus similaire à la nôtre

A peine décelables au microscope, ces différences anatomiques posent des limites infranchissables. Si la mémoire courte du chimpanzé est presque équivalente à celle de l’homme, sa capacité à généraliser est quasiment inexistante : il ne peut retenir que des chiffres quand nous mémorisons des nombres complexes, et de simples mots quand nous retenons de longues phrases. Impossible pour lui de développer un langage, structure essentielle de la pensée humaine.  » Des chercheurs ont bien essayé d’apprendre quelques rudiments aux chimpanzés, mais leurs compétences restent, dans tous les cas, bien inférieures aux compétences humaines « , rappelle Joël Fagot, chercheur au CNRS, spécialiste des primates.

Mais ces barrières ne suffisent pas à abolir le fantasme du  » chaînon manquant « . Cet ancêtre commun à l’homme et au chimpanzé, avant qu’ils s’en aillent évoluer chacun dans sa famille respective. Le premier dans le genre Homo, le second dans le genre Pan, tous deux classés parmi les hominidés. En 2003, une équipe de chercheurs de l’université d’Etat de Wayne, aux Etats-Unis, a publié une étude appelant à chambouler les classifications en vigueur et à intégrer les chimpanzés dans le genre Homo. Jusqu’à en faire, de fait, nos frères. Les scientifiques américains appuyaient leur argumentaire sur la proximité génétique exceptionnelle entre l’homme et le chimpanzé, qui partagent 99,4 % d’ADN commun.

Aujourd’hui encore, la proposition fait sourire Marc Ancrenaz :  » En vérité, toute la différence réside dans ce 0,6 %. Il faut savoir que l’homme et la pomme de terre ont 40 % de gènes en commun…  » Et bondir le paléoanthropologue Pascal Picq :  » La classification obéit à des règles précises ! De dix à quinze lignées éteintes, comme les australopithèques, sont bien plus proches de l’homme. Et l’on ne connaît pas du tout l’origine de la lignée des chimpanzés.  » Contrairement à l’antienne trop souvent répétée, l’homme ne  » descend  » pas de son cousin quadrumane. Mais d’un arbre complexe, où les branches naissent parfois au même moment, puis divergent et, dans certains cas, se réunissent. En l’état actuel des connaissances, il reste impossible d’y établir une généalogie précise.

Au-delà de la question scientifique, la reconnaissance du chimpanzé dans le genre Homo ouvrirait une nouvelle perspective juridique pour la préservation des grands singes. Cette approche  » pragmatique  » est la seule valable pour Pascal Picq :  » La question des droits et des devoirs de toute forme d’intelligence animée reste fondamentale.  » Avec une interrogation, toutefois : pourquoi limiter les critères aux seuls liens de parenté entre les espèces ?  » Quand on connaît les qualités d’empathie ou de conscience de soi des éléphants, par exemple, on peut se demander pourquoi les chimpanzés en seraient les seuls bénéficiaires.  » Mais, pour Marc Ancrenaz, la sanctuarisation d’espèces emblématiques permettrait, à terme, de protéger les autres :  » Dans un futur proche, on identifiera peut-être d’autres valeurs qui justifieraient une conservation plus importante. Mais, à ce stade, tous les moyens sont bons.  » Car, selon les prévisions des scientifiques, les grands singes auront disparu à l’état sauvage à l’horizon 2050.

Par Camille Laffont.

Singeries cinématographiques

Pour les scénaristes, c’est une affaire entendue : les animaux sont intelligents. Un postulat très pratique car propice à toutes les histoires. De Lassie, chien fidèle au récent cochon transgénique Okja, on a tout imaginé. Un pays grand comme la France ne suffirait pas à accueillir nos amies (et ennemies), les bêtes de cinéma. Déjà que les singes n’arrivent pas à se contenter d’une planète… Ces derniers, à l’affiche de La Planète des singes : Suprématie, sont les chouchous des auteurs enclins à démontrer la vilenie de l’être humain. Qu’il s’agisse de King Kong, Max mon amour, le méconnu Link (à redécouvrir d’urgence !), ou encore César dans le dernier volet de La Planète…, le primate s’adapte à notre comportement, avant d’être rattrapé et dominé par l’homme, celui-ci étant finalement plus retors qu’intelligent – et ça, ce n’est pas du cinéma.

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