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Hausse dramatique de l’infécondité masculine

Aujourd’hui, plus d’un tiers des hommes ont du mal à procréer. L’infertilité a longtemps été considérée comme un problème féminin, mais les hommes portent presque la moitié de la responsabilité. Quelles en sont les raisons ? Quelles sont les solutions ? Et la survie de l’humanité est-elle en danger?

Depuis un quart de siècle, les études scientifiques indiquent régulièrement une baisse importante du nombre de spermatozoïdes produits par un homme. Ces études étaient généralement basées sur des nombres assez peu élevés, ou sur des hommes qui se présentaient dans les cliniques de fertilité, ce qui faisait qu’ils formaient un échantillon qui s’écartait fort de la moyenne. Tout le monde ne prenait pas les résultats aussi au sérieux. C’était grave pour les hommes en question, mais pas pour la société.

L’été dernier, Human Reproduction Update publiait toutefois une analyse approfondie de plus de cent études. Les études examinées s’appliquaient uniquement aux hommes issus de « la population générale », comme on dit – donc pas des visiteurs de cliniques. Les conclusions sont désolantes. Ces 40 dernières années, le nombre moyen de spermatozoïdes produits par un homme a baissé de pas moins de 60%. Les chiffres concernent le monde occidental, mais aussi la Chine et le Japon. Et chaque année, ce nombre recule de 1,6%, encore aujourd’hui. En outre, il y a de plus en plus de cas de cancers des testicules. On ne voit pas cette tendance dans les pays en voie de développement, mais beaucoup moins d’études ont été réalisées là-bas. Il n’est donc pas exclu que ce soit un phénomène mondial.

Aujourd’hui, entre 30 et 40% des hommes auraient du mal à procréer. À partir de 40 millions de spermatozoïdes par millimètre de sperme, il n’y a pas de problème pour la fécondation, mais en dessous, il y a un risque d’échec. On ignore pourquoi les hommes produisent tant de sperme, car sur la masse de spermatozoïdes éjaculés (250 millions en moyenne par éjaculation) il n’y en a qu’une dizaine qui s’approche de l’ovocyte. La surproduction serait liée à notre préhistoire évolutionnaire, où il n’y avait pas d’accès exclusif à une femme. Une femme pouvait copuler avec plusieurs hommes, et si on produisait plus de sperme on avait plus de chance de se reproduire. Cela entraînait une espèce de course aux armements biologique avec des hommes qui produisaient de plus en plus de sperme pour éclipser la concurrence. Cependant, une concurrence effrénée ne signifie pas nécessairement qu’il faut beaucoup de spermatozoïdes pour une fécondation. Il est possible qu’il y ait aussi une guerre de survie dans le vagin de la femme. Un homme doit alors produire beaucoup de cellules pour augmenter ses chances d’en avoir assez qui se rapprochent de l’ovocyte.

Horloge biologique masculine

Le problème de l’infertilité masculine est méconnu depuis longtemps. Quand on étudiait la fertilité, on regardait surtout les femmes. Les couples qui ont des problèmes à concevoir un enfant consultent presque automatiquement un gynécologue, et non un urologue. Ce n’est pas un hasard s’il y a beaucoup plus de gynécologues que d’urologues dans le monde. Aujourd’hui, près d’un couple sur dix souffre de problèmes de fertilité qui requièrent une intervention médicale. Près de la moitié seraient dus à l’homme, un élément qui a été trop longtemps été négligé par notre société macho.

Un exemple? On admet généralement que la fertilité des femmes diminue drastiquement en vieillissant, et disparaît après la ménopause, mais que l’âge des hommes n’a pas d’effet sur leur puissance. Et effectivement, un homme peut éjaculer jusqu’à un âge avancé, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème. La revue New Scientist parlait récemment de « l’horloge biologique masculine ». Vers 40 ans, la qualité du sperme produit par un homme baisse de manière drastique. La production de sperme est une entreprise gigantesque : chaque seconde, un homme produit des milliers de spermatozoïdes. Tout cela a lieu depuis le même réservoir de cellules souches qui continuent à se diviser. Seulement, lors d’une division, il peut y avoir des erreurs. Et c’est la raison pour laquelle le sperme d’un homme plus âgé est de moins bonne qualité que celui d’un homme dans la fleur de l’âge.

Les effets sont mesurables. Une étude américaine présentée l’été dernier lors d’un congrès de la Société européenne de Reproduction Humaine et d’Embryologie montrait que les chances de succès d’une fertilisation in vitro (FIV) diminuent considérablement si l’homme est plus âgé. Pour une femme de moins de trente ans, les chances de succès sont de 73% si son mari a moins de 35 ans. Cependant, les chances de succès baissent jusqu’à 46% si l’homme a entre 40 et 42 ans. En d’autres termes : l’âge auquel la fertilité de la femme recule fortement est aussi un moment charnière pour la fertilité d’un homme.

À présent que l’infertilité masculine est (enfin) reconnue comme un problème sérieux, et qu’on la considère même comme un frein à la future réussite de l’humanité, on cherche les causes. The Biochemical Journal publie une étude sur une mutation génétique qui fait qu’un enzyme primordial pour la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovocyte ne fonctionne pas normalement, ce qui rend l’homme infécond. On décrit également de plus en plus de gènes qui interviennent lors de la formation de spermatozoïdes. Si l’un d’entre eux fonctionne mal, un homme ne peut parfois plus produire un seul spermatozoïde normal.

L’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (icsi) est l’une des rares interventions médicales permettant de contrer l’infertilité masculine, où un spermatozoïde (le meilleur trouvé par les scientifiques) est injecté dans un ovocyte. La technique est de plus en plus populaire : dans le monde on la pratique déjà deux fois plus que la FIV ordinaire, alors qu’elle coûte beaucoup plus cher. Une étude d’André Van Steirteghem, montrait que les hommes engendrés par icsi produisaient moins de spermatozoïdes et de moins bonne qualité que la moyenne. Les pères inféconds transmettent leurs problèmes à leurs fils via icsi, qui auront donc également besoin d’aide technique pour devenir père.

Les maladies sont une seconde source d’infécondité masculine. Les infections des canaux déférents ou des voies urinaires, par exemple par des bactéries sexuellement transmissibles telles que le chlamydiose ou les bactéries intestinales qui se retrouvent aux mauvais endroits, peuvent entraver une reproduction normale. La revue spécialisée Science Translational Medicine décrit une maladie auto-immune où les cellules de la défense se retournent contre une protéine issue de cellules de la prostate, ce qui entraîne une infection chronique. Celle-ci se traduit en fécondité amoindrie.

Problèmes dans l’utérus

Cependant, vu la vitesse à laquelle la fertilité masculine diminue, les scientifiques estiment tout de même que c’est surtout une question d’effets du mode de vie. La liste de facteurs qui pourraient jouer un rôle grandit, bien qu’il soit excessivement difficile de trouver un lien causal entre un paramètre environnemental et l’infécondité. Il n’est pas facile non plus d’étudier simultanément les effets de différents paramètres. Nous sommes influencés par des centaines de substances chimiques et autres qui circulent depuis moins de cent ans dans notre environnement. Du coup, on ne peut exclure que la hausse de l’infécondité soit la conséquence d’une combinaison de facteurs. Ou comme le formulait un scientifique dans New Scientist : « Nous pensons être l’espèce la plus développée sur terre, mais aujourd’hui de plus en plus de couples ne sont plus capables de se reproduire. C’est incroyable. »

On rejette d’ailleurs une partie du problème sur les mères. Des études révèlent que les racines de l’infertilité masculine pourraient se trouver dans l’utérus, en conséquence du comportement de la mère transmis à l’embryon via son sang et son placenta. Les femmes enceintes fumeuses ont un tel effet sur les embryons masculins dans leur ventre que plus tard leurs fils ne produiront jamais plus de la moitié d’un nombre normal de spermatozoïdes. Il y a des indications qu’une consommation régulière d’antidouleurs produit un effet comparable.

Finalement, nous devons nous interroger sur les effets de la hausse de l’infécondité masculine sur la survie de l’humain comme espèce. Il semble excessif de lier la survie de l’humanité à la qualité et la quantité de spermatozoïdes. Les techniques telles que l’icsi ne nécessitent qu’un seul spermatozoïde pour réussir une fécondation. Les scientifiques sont bien partis pour fabriquer des gamètes de cellules souches qu’ils prennent dans la peau par exemple. Ce n’est pas parce que les hommes produisent beaucoup moins de sperme qu’il n’y en aura pas assez pour faire des enfants. Mais il faudra que la technique donne un petit coup de main à la biologie.

Et bien qu’on en parle à peine dans le monde scientifique, nous devons oser envisager que la baisse de la fécondité masculine soit une réaction naturelle à la croissance de population effrénée. Bien qu’on ignore le mécanisme sous-jacent, il n’est pas à exclure que la pression énorme que nous mettons sur notre environnement ait comme effet secondaire une pression supplémentaire sur la fécondité. Nous devons peut-être considérer la baisse de la fécondité masculine comme le canari dans la mine de charbon : un signal qu’il y a un problème. Il signale peut-être aussi que la nature humaine réagit à notre croissance de population débridée. Ce serait déjà une leçon utile en soi.

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