Génériques, ces médicaments de la discorde
Questionnements sur l’équivalence avec les médicaments de référence, réticences des médecins et des patients… La polémique autour des copies moins chères tombées dans le domaine public, rebondit de plus belle. Mise au point.
Depuis le 1er mai, le pharmacien est obligé de délivrer les médicaments antibiotiques, antiulcéreux et antimycosiques les moins chers, les génériques en principe. Et ce, sans tenir compte de l’ordonnance du médecin. La substitution obligatoire se limite donc à des classes de traitement aigu, nécessitant une seule boîte de médicaments. Elle ne concerne pas les maladies chroniques où un changement fréquent de « marque » pourrait entraîner des risques de confusion auprès de certains patients. Par ailleurs, la substitution est également exclue en cas d’allergie à un excipient connue du médecin. But de l’opération ? Booster la concurrence entre les marques, tirer le prix des médicaments vers le bas et, in fine, dégager d’importantes économies. Mais la pilule passe mal auprès de certains médecins et patients. Les génériques ne seraient pas toujours équivalents aux produits d’origine… Leur action ne serait pas pareille et leur production, souvent délocalisée…
Une définition sujette à discussion
Un médicament générique, c’est quoi ? « Son principe actif doit être exactement le même que celui du médicament référent, explique Dominique Demolle, d’Aepodia, société de consultance en développement pharmaceutique. Par ailleurs, il doit y avoir bio-équivalence par rapport à la molécule princeps, avec une tolérance d’environ 20 %. La bio- équivalence (concentration, exposition au produit) reflète le comportement du produit dans l’organisme. Sur la base de ces deux critères, le médicament générique peut être enregistré puis mis sur le marché. » Bien. Mais si le principe actif est le même, la couleur et la présentation (gélule, comprimé…) peuvent différer, de même que les excipients (enrobages). Différences qui incitent certains médecins à affirmer que les génériques ne sont pas des « copies conformes » de la spécialité de référence ou « identiques » et parlent plutôt de médicaments « similaires » ou « semblables ». Termes avec lesquels Joris Van Assche, managing director de FeBelGen (fédération belge des fabricants de médicaments génériques) n’est pas du tout d’accord : « Je suis formel. Les génériques sont interchangeables à 100 % avec les médicaments référents. Si l’on pointe de petites variations, il faut savoir que de petites variations existent également à l’intérieur des référents. »
« Je ne mets pas en doute leur qualité, observe le Dr Roland Lemye, président du syndicat des médecins. Cela dit, j’insiste : un générique n’est pas identique, il est semblable. Les sociétés qui fabriquent les génériques ne font plus d’études cliniques, les médicaments sont testés auprès d’une dizaine de sujets sains afin de démontrer la bioéquivalence. Ce qui laisse la porte ouverte à des différences d’action. » Prenons l’exemple d’un patient qui, tout d’un coup, se voit prescrire un somnifère générique. Celui-ci peut être plus compacté, plus difficile à se déliter dans l’estomac. Son absorption sera moins rapide et le patient sera tenté de prendre un second comprimé. « Attention, cela ne veut pas dire que le générique est moins bon, martèle le Dr Lemye. Il peut même être plus efficace, mais son comportement dans l’organisme est différent. Cela dit, selon moi, le plus gros problème des génériques est lié à la confusion, notamment chez les personnes âgées et polymédiquées. Un patient qui prend plusieurs médicaments par jour et dont l’un est remplacé subitement par un générique, ne comprend pas bien. Dans le doute, il va avaler le référent et le générique, donc une double dose. La confiance du patient est mise à rude épreuve. Si le médecin prescrit un médicament et le pharmacien délivre un autre, le doute s’installe chez le patient. Dans tout traitement, il y a un effet placebo. La confiance apporte une valeur ajoutée à tout médicament et celui-ci va agir encore mieux. Si le patient doute, on peut avoir le « nocebo », à l’origine d’effets indésirables. »
Le cas des antiépileptiques
Des questions se posent aussi dans certaines familles thérapeutiques dont la marge thérapeutique est étroite, tels les anticoagulants, les hypoglycémiants, certains médicaments à visée cardiologique et, surtout, les antiépileptiques. Le cas de ces derniers est emblématique. Des déséquilibres de l’épilepsie après administration d’un générique auraient été rapportés. « Ce qui compte dans les pathologies chroniques, c’est une absorption similaire pour éviter des répercussions significatives, explique le Dr. Kenou van Rijckevorsel, épileptologue à Saint-Luc, à Bruxelles. Le taux de la concentration doit rester stable, une petite variation peut avoir des effets importants. Dans la pratique clinique, nous assistons à la confusion des patients. Un malade chronique qui, pendant des années, est habitué à avaler trois pilules blanches et une pilule rouge, puis, brusquement, deux pilules bleues et deux pilules roses, ne comprend pas, même si on lui explique qu’il s’agit de la même molécule. Il faut éviter la substitution pour des raisons de compliance et de la stabilité du traitement. » Les neurologues se montrent donc prudents, même s’il n’y a pas suffisamment d’études pour prouver la responsabilité des génériques dans la survenue de crises épileptiques. Dans l’Hexagone, l’Afssaps a effectué une enquête plutôt rassurante où n’apparaît aucun lien entre les récidives de crises et la prise de génériques. Elle a toutefois recommandé aux médecins de bien informer le patient et de s’assurer que la prescription de génériques n’induit pas d’anxiété particulière.
L’Inde, « la pharmacie du monde »
D’aucuns s’inquiètent aussi sur la fabrication des génériques, de plus en plus délocalisée. L’Inde compte ainsi le plus grand nombre d’usines de production de médicaments génériques agréés par l’Office américain de contrôle des produits pharmaceutiques et alimentaires (FDA), situées hors des Etats-Unis. Dans son édition du 25 février 2012, le journal Le Monde rapporte que trois chercheurs de l’American Enterprise Institute, basé à Washington, ont comparé 2 121 génériques du monde entier. Les résultats de l’étude ont été publiés dans la revue Pharmacologia. Selon les chercheurs, la production en Inde est assez contrastée. Seulement 0,8 % des génériques fabriqués dans de grosses sociétés, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 300 millions d’euros, présentent des défaillances. Celles-ci sont de l’ordre de 8,5 % dans les sociétés plus petites. La conclusion des enquêteurs est toutefois surprenante : « Il est intéressant de noter que les grands fabricants indiens de génériques ont donné de meilleurs résultats que les fabricants occidentaux, et particulièrement européens ! » Cela dit, les fabricants indiens souhaitent augmenter leurs exportations vers les pays occidentaux et le critère de qualité est devenu leur cheval de bataille.
Contrôles draconiens
« En Europe et, forcément, en Belgique, le réglementation est très stricte, souligne Dominique Demolle. Les procédés de fabrication doivent répondre à des critères de qualité très précis. L’EMA (European Medicines Agency) exige les mêmes critères de qualité pour tout médicament, qu’il soit produit en Europe, en Inde ou ailleurs. Des inspections sont menées sur les sites de production et des analyses sont effectuées dans des laboratoires comme pour tous les médicaments. C’est la loi et on ne peut pas y déroger. »
Interpellée au sujet des génériques et, notamment, de la délocalisation de leur production par le sénateur André du Bus de Warnaffe, la ministre Laurette Onkelinx a répondu qu’ « il n’y a pas plus de raison de douter de la qualité des génériques que de celle des originaux, puisqu’ils sont soumis aux mêmes contrôles. Par ailleurs, ces contrôles sont effectuées de manière sérieuse par les pays dans lesquels ces médicaments sont produits, que ce soit en Europe ou ailleurs. En outre, lorsque ces médicaments sont produits en dehors de l’Europe, la Belgique se rend sur place pour effectuer elle-même le contrôle ». Ajoutons, enfin, que selon les nouvelles dispositions réglementaires qui entrent en vigueur le 2 janvier 2013, toute substance active importée devra être produite selon les standards de fabrication pratiqués au sein de l’Union européenne.
Les médecins se montrent souvent réticents. Ces réticences sont aussi à chercher du côté du public qui, mal informé, influencé par les campagnes de désinformation et les contre-vérités, assimile les génériques aux produits blancs et du coup ne leur fait pas confiance. « Certains patients sont fragilisés, conclut Joris Van Assche, notamment en ce qui concerne les médicaments à marge thérapeutique étroite, comme c’est le cas pour les antiépileptiques. Mais l’anxiété n’a rien à voir avec l’aspect physiologique du médicament. J’insiste, les génériques sont interchangeables et l’attitude des médecins est très importante. J’appelle donc au bon sens et à la responsabilité des médecins. Depuis 2001, l’année du vérita- ble « décollage » des génériques, l’Inami a pu économiser 2,5 milliards d’euros, ce qui représente une valeur sociétale énorme. » De son côté, Dominique Demolle pointe un autre aspect, non négligeable : « Les génériques, c’est bien, car ils donnent accès au traitement du plus grand nombre. Mais il ne faut pas diminuer à outrance les revenus des sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques qui investissent dans la recherche et l’innovation. On évolue vers une médecine personnalisée qui demande en soi encore plus de recherche et celle-ci n’existe pas chez les génériqueurs. Or il est indispensable de préserver l’innovation. »
Barbara Witkowska
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