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Faux seins, vraies battantes

Elles sont une vingtaine, victimes du scandale des prothèses mammaires PIP, à faire fi du qu’en-dira-t-on. Ce sont elles qui, depuis plusieurs semaines, ont défendu la cause des 30 000 Françaises concernées. Rencontre avec des militantes par nécessité.

Elles ont une cause à défendre et une meneuse qui n’a pas froid aux yeux. L’une des leurs est tombée en martyre, décédée d’une forme rare de cancer. Rien ni personne n’arrête les filles aux faux seins de la marque PIP. Dans ce nouveau scandale français de santé publique, ce sont les victimes qui mènent le jeu. Alexandra, Audrey, Tonina, Hélène, Tatiana et les autres se sont liées par l’entremise d’un forum de discussion sur Internet, ont constitué à 20 ou 30, pas plus, un groupuscule déterminé et occupent depuis plusieurs semaines la scène médiatique. Près de 1 400 femmes se rangent désormais sous leur bannière, celle de l’Association de défense des porteuses de prothèses PIP, la plus représentative par son nombre d’adhérents.

Certains les accusent d’avoir cherché les ennuis

Les « Pipettes » comme elles se surnomment reviennent de loin. Car, au début de l’affaire, révélée en mars 2010, le sort de ces clientes de la chirurgie esthétique n’émeut pas grand monde. Au mieux, on les plaint d’avoir été flouées. Elles ont payé pour refaire leur poitrine, on les a escroquées en leur posant des implants remplis de silicone bas de gamme. Une arnaque à la consommation, en somme. Au pire, on les accuse d’avoir cherché les ennuis.

Qu’avaient-elles besoin de jouer les bimbos, avec leurs gros lolos ? Parmi ces femmes, seule la minorité qui a reçu les prothèses défectueuses après une ablation liée à un cancer du sein suscite la compassion. Mais, le 23 décembre 2011, l’affaire prend une tournure autrement plus sérieuse. Le gouvernement français estime que les porteuses d’implants PIP ont des raisons légitimes de s’inquiéter pour leur santé. Il recommande aux 30 000 Françaises concernées (dix fois plus, sans doute, à l’étranger) de les faire retirer afin d’éviter que ceux-ci se rompent et répandent leur gel « irritant » dans l’organisme. Les militantes de l’association s’estiment reconnues dans leur combat. Et remettent aujourd’hui la pression. Elles réclament un dispositif qui permette aux plus démunies de financer l’intervention d’ici à la fin de l’année. « Je ne lâcherai pas tant que toutes les filles n’auront pas pu débarrasser leur corps de ce poison », décrète la présidente, Alexandra Blachère, qui a déjà remplacé, à ses frais, ses propres implants.

Dans ce scandale, il y a un avant et un après la mort d’Edwige Ligonèche. Cette Cannoise de 53 ans, très active sur le forum de l’association, décède le 21 novembre 2011 d’un cancer de la lymphe, trois ans après la rupture de l’implant placé dans son sein gauche et la fuite de silicone jusque sous l’aisselle. Sa famille avertit la présidente, qui s’installe à son ordinateur et poste sur-le-champ un communiqué aux médias. « J’avais juré à Edwige que, si ça tournait mal pour elle, la nouvelle ne tomberait pas dans l’indifférence générale », lâche Alexandra. Promesse tenue. Les caméras se pressent quand la s£ur d’Edwige raconte le destin, à la fois banal et tragique, d’une « nana fine et grande, vendeuse dans des boutiques de fringues, qui accordait de l’importance à l’apparence, au look » et décida un jour d’en finir avec sa poitrine plate, un 80 B, pour s’offrir un généreux 95 D. L’opinion est ébranlée. Le ministère de la Santé saisit l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), qui commence à recenser les cas de cancer chez les porteuses de prothèses PIP, vingt à ce jour – sans qu’un lien de cause à effet soit pour l’instant établi.

Chez les Pipettes, la peur resserre les rangs et active les messageries instantanées. Quand Hélène Guillois a vu la photo d’Edwige s’afficher au journal télévisé, raconte-t-elle, elle s’est figée, le c£ur glacé. « C’est la première d’entre nous à partir », a pensé aussitôt la jeune mère de famille, 29 ans. Dès qu’elle lit, sur le forum de l’association, l’appel à venir protester devant le ministère de la Santé, à Paris, Hélène se porte volontaire, avec une vingtaine d’autres. Sa colère l’emporte sur la crainte d’être reconnue dans son quartier et toisée pour ses seins refaits. Le jour dit, le 14 décembre, la jeune femme s’est abritée du vent glacial dans une brasserie proche du ministère, le point de ralliement des « filles », ces confidentes dont elle partage via Internet les chagrins les plus intimes, sans connaître leurs visages. Elle se tient sur le qui-vive. A son côté, son compagnon, présence silencieuse mais sécurisante. Il a tenu à l’accompagner, pour le cas où les manifestantes seraient prises à partie. Des internautes n’ont pas hésité, ces derniers temps, à les traiter de « pouffes siliconées ».

Hélène veut bien se raconter, parce qu’elle tient à montrer que le scandale touche des femmes « ordinaires ». Mais juste le nécessaire. « J’ai allaité ma fille pendant longtemps, un an et demi, commence-t-elle, une pointe de fierté dans la voix. Quand j’ai arrêté, ma poitrine est tombée. C’était devenu une épreuve, pour moi, de montrer ma poitrine à mon mari. » Avec son opération, en 2006, elle a retrouvé des seins « bien galbés sur le dessus », dissimulés, cet après-midi-là, sous un col roulé noir. Pourtant, Hélène ne souhaite plus qu’une chose, être délivrée de ses prothèses, une menace devenue obsessionnelle. Sauf que le couple n’en a pas les moyens.

La Sécurité sociale ne remboursera pas tout

Ses pires angoisses tiennent à l’implant gauche. Sur le compte rendu de son IRM, il est noté noir sur blanc : « Pas de rupture. » Assaillie par le doute, Hélène se demande si elle doit envisager de remettre des prothèses d’une autre marque. « Qui peut me garantir que les nouvelles auront été contrôlées correctement ? » s’interroge-t-elle en fixant obstinément sa tasse de café. Soudain, des cris joyeux mêlés d’exclamations de surprise résonnent dans la salle. La horde des Pipettes fait son entrée, remarquée. Ce sont des amies, des « s£urs », disent-elles, qui se découvrent enfin et se tombent dans les bras. Le soir venu, Hélène repartira frigorifiée, mais réconfortée, d’une manifestation en fin de compte bon enfant.

La vraie bataille, pourtant, n’a pas encore commencé pour ces apprenties militantes. Car les autorités sanitaires n’ont abordé que du bout des lèvres la question de fond : qui va payer les opérations maintenant que le fabricant, Poly Implants Prothèses, a mis la clé sous la porte ? Officiellement, le problème est résolu. La Sécurité sociale s’est engagée à rembourser le retrait des prothèses défectueuses pour toutes les femmes. Et la pose simultanée de nouveaux implants, seulement pour les patientes reconstruites après un cancer du sein. Sur le papier, la décision paraît équitable. La réalité est un peu différente. Car, dans le domaine de la chirurgie esthétique, tenu essentiellement par le privé, qui travaille encore aux tarifs Sécu ? La secrétaire d’Etat à la Santé, Nora Berra, a reconnu implicitement le problème en appelant les chirurgiens à pratiquer un « tarif raisonnable ». A en juger par les témoignages d’adhérentes de l’association, ceux-là font figure d’exception. Muriel, 39 ans, est sans emploi. Le praticien qu’elle a contacté propose de la réopérer pourà 3 110 euros, après déduction de la prise en charge par la Sécurité sociale. « Je vous fais une fleur, lui aurait-il dit. Normalement, je prends 4 000 euros. » Dans la jungle des dépassements d’honoraires, tout est permis. « Les prix demandés aux filles vont jusqu’à 9 000 euros », s’indigne Alexandra. Epaulée par un cabinet d’avocats bordelais, elle cherche la parade. Le risque, si rien ne change ? Que les moins fortunées gardent leurs faux seins trafiqués et leurs cauchemars des années durant.

ESTELLE SAGET POUR LE VIF/L’EXPRESS

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