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Curiosity : « Nous sommes peut-être les seuls vrais Martiens de l’espace »

Le Vif

Le rover Curiosity est parti à la découverte de la planète rouge depuis 132 jours. Sylvestre Maurice*, planétologue à l’Irap, est le responsable de la caméra laser ChemCam embarquée sur le robot Curiosity. Il nous raconte sa vie sur Mars.

En quoi consiste la mission Curiosity ?

C’est une mission d’exploration à la surface de Mars, dont l’objectif scientifique principal est d’avancer sur une problématique très importante: comment une planète devient habitable? Pour l’instant nous n’avons que l’exemple de l’histoire de la Terre, qui est devenue habitable, puis habitée. Malheureusement, à cause de l’érosion, nous avons perdu les traces du passé de notre planète. Sur Mars, nous partons ainsi à la découverte de sa propre histoire et, au-delà, de celle de l’habitabilité des planètes en général. En d’autres termes, nous allons chercher l’histoire de la vie sur Terre, sur Mars.

Quatorze soirs par mois, vous pilotez depuis Toulouse les instruments français de Curiosity, sa caméra laser et son laboratoire d’analyse…

Nos permanences se déroulent en général entre 17h et 3h du matin. Durant tout ce temps, nous sommes une quarantaine de chercheurs aux commandes de notre laser et par extension, à celles du rover depuis le centre d’opération -le Fimoc- qui est basé au Centre national des études spatiales (Cnes). Mais c’est un travail collaboratif. A l’échelle mondiale, nous sommes quelque 350 scientifiques et ingénieurs à guider l’ensemble du robot sur Mars et ses dix instruments. Curiosity est une sorte de voiture hyperpuissante, sur-vitaminée, qui a 350 pilotes: l’exploration de Mars est une formidable aventure humaine.

Comment vivez-vous depuis l’envoi sur Mars de Curiosity ?

Avec toute l’équipe qui travaille à la construction des instruments français du robot depuis 2000, nous vivons un rêve éveillé car tout fonctionne incroyablement bien. Mais il y a aussi la réalité sur Mars. Pendant trois mois, au départ de la mission, quand nous étions basés aux Etats-Unis, nous avons dû piloter en horaires martiennes. Nous avions une vie de dingue, à raison de 3 à 4 heures de sommeil par nuits! Aujourd’hui, en France, on vit toujours sur Mars. Finalement, nous sommes peut-être les seuls vrais martiens qui existent dans l’espace.

Où étiez-vous avec vos équipes le jour de l’amarssissage ?

Nous étions sur place, à la Nasa, et plus précisément au Jet Propulsion Laboratory (JPL), à Pasadena en Californie. Une demi-heure à peine après que Curiosity se soit posé sur Mars, nos équipes prenaient la main sur les instruments. Nous étions immédiatemment dans le feu de l’action! C’était un grand moment, tout comme lorsque nous avons assisté au lancement du rover, mais cette fois-ci, en tant que spectateurs. C’était extraordinaire de voir le fruit de notre travail envoyé dans l’espace. Cela a été notre seul moment de répit du projet.

Fin novembre, un scientifique de la Nasa annonçait « une découverte incroyable » que Curiosity aurait fait sur Mars. L’agence américaine s’est empressée de démentir ses propos. Pensez-vous qu’un jour nous ferons une découverte extraordinaire ?

Il y a eu une grosse incompréhension. Le scientifique voulait dire que nous avons vraiment des données géniales à notre portée grâce à nos instruments ultra-performants et au robot le plus perfectionné qui n’ait jamais été envoyé sur une planète. Il existe potentiellement de grandes découvertes à venir, mais il est évident qu’il va nous falloir de nombreuses années pour traiter les résultats. Nous avons déjà fait des découvertes surprenantes, mais il est important de préciser qu’une belle découverte pour un martien comme moi ou pour un scientifique en général, n’est pas nécessairement la « découverte du siècle » pour le grand public. Nous ne dévoilerons rien de plus que ce que nous dévoilera Mars. Nous n’allons pas inventer cette « découverte historique » tant attendue.

La Nasa prévoit d’envoyer un nouveau rover en 2020, vous serez de la partie ?

La compétition est lancée. Nous allons tout faire pour repartir! Mais déjà, trois jours après l’amarssissage de Curiosity, la Nasa sélectionnait la prochaine mission sur Mars. Baptisée InSight, elle a pour but de poser, en 2016, un sismomètre à la surface de Mars pour écouter battre son coeur. Cet instrument est Français… Preuve que la collaboration franco-américaine sur Mars a encore de beaux jours devant elle.

*Sylvestre Maurice, planétologue à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap) CNRS-Université Paul-Sabatier de Toulouse, est le responsable de la caméra laser ChemCam embarquée sur le robot Curiosity.

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