Photo faite sur le site de Sissi en Crète © SArPedon

Archéologie : « Une découverte formidable, menée par des Belges »

Le Vif

Depuis plusieurs années, une équipe de chercheurs et d’étudiants de l’UCL travaille sur un chantier de fouilles au nord de la Crète. Petit à petit, ce site livre ses secrets et fait parler une civilisation vieille de 4000 ans…

Il est six heures du matin, sur une colline au bord de l’eau, à côté d’un petit village crétois. Progressivement, le soleil de juillet monte dans le ciel et ce site s’emplit de monde. Ouvriers, archéologues, responsables de tranchées… une quarantaine de personnes grimpe cette colline et se met en mouvement. Patiemment, minutieusement, elles cherchent, inspectent, grattent le sol espérant faire parler ce lieu au passé millénaire. Nous sommes sur le site du « Bouffos », à Sissi, sur la côte nord de la Crète. Ici, chaque été, plusieurs dizaines de scientifiques et d’étudiants de l’UCL, mais aussi d’universités étrangères, se rassemblent durant six semaines dans le cadre d’un chantier de fouilles.

Ce projet est né autour du rêve d’un homme, Jan Driessen, professeur d’archéologie grecque à l’UCL. Depuis plus de trente ans, ce scientifique parcourt et étudie les chantiers de fouilles crétois, à la recherche du passé de cette île. Longtemps, il a arpenté cette colline, persuadé qu’elle recelait des trésors venus du passé, certain qu’un site insoupçonné se cachait sous cette terre aride. Il a dès lors rassemblé des fonds et mis sur pied ce projet, nommé Sarpedon. « Il s’agit d’un projet UCL de fouilles archéologiques en Crète, mené sous l’égide de l’Ecole belge d’Athènes. On a mené un premier programme de 2007 à 2011 et on vient de relancer un second programme qui s’étendra de 2015 à 2020. Chaque année, ce chantier voit défiler quatre-vingt personnes : les chercheurs, les étudiants, les spécialistes liés à Sarpedon, les ouvriers… », détaille Charlotte Langohr, archéologue associée au projet. «  Petit à petit, on a réalisé qu’il s’agissait d’un chantier très prometteur. Ce nouveau programme a d’ailleurs été mis sur pied car, en 2011, à la toute fin de la période de fouilles, nous avons dégagé les premières traces d’un bâtiment qui s’avérait monumental. Nous avions partiellement mis à jour deux façades autour d’une cour centrale qu’on voyait être d’assez grande dimension. Il s’agit d’une découverte formidable. Nous voulions donc lancer une nouvelle campagne de fouilles pour pouvoir dégager ce bâtiment, ce qu’on a commencé à faire cet été. »

Grâce au travail minutieux des archéologues, ce bâtiment a commencé à livrer quelques secrets. Il s’agit d’une structure typique de la civilisation minoenne, organisée autour d’une large cour, et dont l’activité se situe environ au 16ème siècle avant Jésus-Christ. De nombreux bâtiment similaires ont été retrouvés en Crète, et traditionnellement qualifiés de « palais », mais celui-ci est particulier : sa cour intérieure est de forme trapézoïdale alors que tous les autres « palais » crétois s’organisent autour d’une aire rectangulaire. L’écriture étant absente à cette époque, il est encore difficile de déterminer les activités précises qui se tenaient dans ce type de bâtiment. Le travail de recherches et de fouilles doit donc se poursuivre afin de dégager l’entièreté de ce complexe architectural et d’élucider la fonction de ses différents espaces.

Plusieurs dizaines spécialistes au travail

A Sissi, les journées s’organisent en deux temps. La première moitié de la journée est dédiée aux fouilles. Tous les vestiges du jour sont collectés et directement enregistrés dans des bases de données. Tout le matériel est ensuite emmené au laboratoire, où démarre la seconde partie du travail. Les découvertes y sont déjà pré-analysées, mais aussi nettoyées, conditionnées, enregistrées… Il s’agit essentiellement de céramiques, mais aussi d’os animaux, de coquillages, d’outils, et de petits objets plus précieux….

Ce site est particulièrement riche car, selon les chercheurs, il a abrité une activité humaine durant plus de mille ans. « Toutes les époques de la civilisation minoenne y sont représentées et on y trouve tant du funéraire que de l’habitat. On a ainsi mis à jour, le « palais » mis à part, plusieurs structures différentes. D’abord une nécropole plus ancienne, située au bord de l’eau, qui contient des tombes assez diversifiées « , décrit Charlotte Langohr. « C’est un autre grand point de ce chantier. Des anthropologues-archéologues sont associés au projet et fouillent les tombes selon des méthodes bien spécifiques. Il faut savoir qu’il existe une manière précise de fouiller une tombe et des restes humains. Celle-ci permet d’accéder à une série d’informations, auxquelles un archéologue qui n’est pas anthropologue n’a pas accès. »

En sondant le sommet de la colline, les scientifiques ont découvert un autre bâtiment monumental comptant une vingtaine de pièces. Celui-ci est plus récent : il date du 13ème siècle ACN. Ici, les chercheurs ont eu la chance de retrouver beaucoup de matériel encore en place et en bon état de conservation. Enfin, le site de Sissi contient plusieurs autres bâtiments de tailles moins importantes, de type domestique notamment, qui sont installés en terrasse sur les flancs de la colline.

La richesse de ces découvertes est une des raisons pour lesquelles les fouilles de Sissi se limitent à six semaines par an. Aujourd’hui, les objets trouvés sur le site représentent une quantité impressionnante de matériel, stocké dans plus de mille caisses. Il est important pour les scientifiques de garder un équilibre entre fouilles et traitement du matériel. Une fois découvert, un objet est restauré, archivé, étudié, implique des publications, de la diffusion… Suite aux fouilles déjà réalisées à Sissi, les scientifiques estiment avoir devant eux une quinzaine d’années de travail d’étude et de publication.

Les moyens financiers sont un autre frein à la longueur d’un chantier de fouilles. Les six semaines annuelles de travail à Sissi représentent un budget de 85 000 euros, qu’il n’est pas aisé de rassembler. Aujourd’hui, ce chantier est principalement financé par l’UCL, le FNRS, la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que quelques institutions privées, principalement l’Institute for Aegean Prehistory. Chaque année, les défenseurs de ce projet doivent se battre pour obtenir les sommes nécessaires à la prolongation du chantier.

Des projets dans les cartons

Bien que de nombreuses découvertes soient encore à faire sur ce site, il est déjà temps, pour ses, responsables d’envisager l’avenir. Le village de Vrahasi, qui domine le chantier, a légué à ces scientifiques une ancienne école. Leur espoir, si les moyens financiers sont rassemblés, serait de restaurer ce bâtiment et de le transformer en laboratoire de recherches. « Ce serait un lieu où l’on restaure, archive et étudie le matériel, mais aussi où l’on invite les locaux et les archéologues travaillant en Crète pour les informer de nos fouilles et des résultats que l’on obtient« , précise encore Charlotte Langohr.

Ces archéologues belges souhaitent également, à terme, rendre le site de Sissi accessible au public. Les touristes et les locaux pourraient ainsi se promener parmi ces murs millénaires et en apprendre les secrets. « Mais cela demande, d’abord, de pouvoir terminer la fouille, de consolider toutes les structures, d’établir un chemin de visite doté de panneaux et applications qui expliqueraient les différentes découvertes. Ce projet n’en est encore qu’au stade des idées car il demande un grand investissement en temps et en argent. »

Emilie Stainier

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