© Randall Casaer

Un jeune sur cinq se mutile : l’épidémie que l’on ne veut pas voir

Des dizaines de milliers de jeunes se griffent où se tailladent les bras parce qu’ils sont traumatisés ou se sentent mal dans leur peau. L’automutilation semble gagner du terrain et est tendance sur les réseaux sociaux. Au point que les écoles ne savent plus quoi faire face à cette véritable épidémie.

Des dizaines de milliers de jeunes se griffent où se tailladent les bras parce qu’ils sont traumatisés ou se sentent mal dans leur peau. L’automutilation semble gagner du terrain et est tendance sur les réseaux sociaux. Au point que les écoles ne savent plus quoi faire face à cette véritable épidémie.

L’automutilation est devenue en quelques années une très macabre culture alternative. Chaque élève connaît au moins une personne qui se blesse volontairement. Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus les photos de bras ou de jambes éraflées jusqu’au sang. Pour les trouver, il suffit de connaître les bons hashtags. Il existe également des forums où les jeunes se partagent trucs et astuces, mais surtout se motivent l’un l’autre à aller plus loin, plus profond.

« Parfois le fait de se mutiler est la signature d’appartenance à un groupe », dit la thérapeute et psychologue familiale Imke Baetens (Vrije Universiteit Brussel). « Certains vont même jusqu’à porter des bracelets spécifiques qui leur permettent de se reconnaître entre eux . »

Un jeune sur cinq, entre 12 et 18 ans, se blesserait volontairement. Et il semble que ces chiffres soient bien en dessous de la réalité. Certains commencent dès l’école primaire, mais la plupart commencent aux alentours de 14 ans. Souvent parce qu’ils en ont vu d’autres le faire ou qu’ils sont tombés sur des clichés sur internet. Des images peu séduisantes qui ne rebuteraient pourtant pas les jeunes. Au contraire, elles serviraient d’incitant et les pousseraient à franchir le cap. L’automutilation n’a jamais été aussi contagieuse qu’aujourd’hui.

« Il est inquiétant que ce phénomène soit si populaire sur internet. J’ai peur que de plus en plus de jeunes tentent l’expérience » dit Baetens. « Ce n’est pas pour autant que tous les jeunes qui essayent tombent dans la dépendance. Certains seront refroidis par la douleur et la vue du sang et vont cesser directement. D’autres par contre y prennent goût et vont continuer. Parfois durant des années. »

Tous les milieux sociaux

Chaque adolescent peut potentiellement se faire happer par cette spirale négative. Ceux qui la pratiquent viennent de tous les milieux sociaux. Ils ont grandi dans des familles « intactes », mono parentales ou recomposées. Les filles le font tout autant que les garçons, même s’ils utilisent différentes techniques. Les filles se coupent, alors que les garçons préfèrent se cogner la tête, se brûler ou encore taper leur poing sur le mur. Il semble tout de même que le risque soit plus grand chez les holebis et les transgenres qui doivent souvent faire face à une adolescence difficile. Les jeunes qui souffrent de troubles mentaux, comme la dépression ou une personnalité borderline, y sont aussi plus sensibles. Ceux qui pratiquent l’automutilation ont en commun une résistance plus élevée à la douleur, mais celle-ci pourrait être la conséquence d’années de pratique.

La principale raison qui pousse les jeunes à s’automutiler est donc qu’ils se sentent mal dans leur peau. Ils bouillonnent de rage, se sentent seuls ou sous pression. On remarque que c’est surtout dans les études les plus difficiles que l’on retrouve des étudiants qui se mutilent. Souvent ce sont des cérébraux et des perfectionnistes.

Certains jeunes ne savent même pas pourquoi ils se sentent mal. « Ils n’ont aucun problème, et pourtant, ils se mutilent. À l’adolescence, on doit faire face à des changements hormonaux. Et certains n’arrivent pas à composer avec ce stress psychique. L’automutilation servirait donc de soupape pour libérer des émotions avec lesquelles ils ne savent pas quoi faire. Cela leur permettrait de se calmer » dit en substance la psychologue Laurence Claes (KU Leuven en Universiteit Antwerpen).

« Pourtant ce soulagement n’a qu’un temps, car rapidement ils se sentent encore plus mal. Lorsqu’on ressent la douleur, on oublie le reste. Mais cette sensation ne perdure pas dans le temps » explique encore Baetens.

L’autre explication est que cela donne un sentiment d’un certain contrôle de la situation. « Lorsqu’un jeune se blesse, c’est lui qui décide. Cela lui donne une illusion de contrôle alors qu’il n’en a aucun sur les autres éléments qui perturbent sa vie comme le fait d’être une tête de Turc ou encore d’être maltraité. « J’ai connu une patiente qui se frappait, alors qu’elle se faisait battre à la maison. Car de cette manière, elle pouvait décider quand cela se passait. C’est pour ça que ce n’est pas une bonne idée de contrôler davantage. Au plus on leur enlève toute possibilité de contrôle, au plus ils se blesseront. »

Enfin, il y a ceux qui se font du mal pour se punir. Parce qu’ils trouvent qu’ils n’ont pas assez étudié ou pas assez fait régime. « Souvent ce sont des filles qui détestent tellement leur corps qu’elles le punissent en le balafrant » dit Baetens. Avec un cercle vicieux à la clé, puisque, prise de culpabilité, elles vont se punir encore davantage.

Très discret

Le phénomène est souvent largement ignoré par les parents. D’une étude, il ressort que seul un parent d’enfant qui se mutile sur trois sait que son enfant se fait du mal. Ces derniers cachent leurs cicatrices ou se blessent dans des endroits discrets. Ils trouvent aussi toutes sortes d’explication très créative à leurs blessures. Ce qui fait que lorsque les parents le découvrent, c’est souvent la panique. « Ils ont peur que leur enfant veuille se suicider ou doive être interné. Ils sont aussi souvent gênés. Tout cela fait qu’ils n’osent pas en parler autour d’eux. Or il est important d’agir tôt pour aider leur enfant au plus vite puisque l’automutilation peut être dangereuse. Un ado qui se mutile à trois fois plus de risque de se suicider dans les cinq ans. Il peut aussi se blesser gravement et en subir les conséquences à vie. Le phénomène a aussi tendance à aller crescendo. On va chercher à se faire de plus en plus mal pour retrouver les mêmes sensations.

Les enseignants sont souvent au premier rang puisqu’ils peuvent voir les plaies mal cachées sous le pull, ou au cours de gymnastique. Ces derniers ne doivent pourtant pas tenter de résoudre eux-mêmes les problèmes. Cela peut se révéler délicat puisqu’en réaction le jeune augmenter les violences qu’il s’inflige. Ce qu’il faut, c’est les rediriger vers des professionnels pour que le jeune puisse trouver d’autre façon d’exprimer son mal-être. L’école doit par contre cadenasser l’émulation en empêchant les élèves de « parader » avec leur cicatrice. L’interdire purement et simplement est par contre illusoire.

On constate que de nombreuses écoles ignorent délibérément les traces de cicatrices par peur pour leur réputation. Un parti pris dangereux, tant ignorer le problème ne fait en réalité que l’encourager. Dans certaines écoles, on parle de véritables épidémies avec une centaine d’élèves concernés.

Un phénomène adolescent, mais pas seulement

Pour la plupart, cette pulsion cesse à la fin de l’adolescence. Seuls 5% des adultes se mutileraient. Il n’est pas rare qu’il ne s’agisse de personne avec une maladie mentale. Certains ne s’arrêtent jamais, alors que d’autres y reviennent uniquement en période de crise.

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