Les objets connectés s'immiscent progressivement dans notre quotidien. © iStockphoto

Sommeil, la bataille 2.0: arnaques ou remèdes miracles?

Stagiaire Le Vif

Les objets connectés et applications consacrés au sommeil se sont multipliés ces derniers temps. Si ces produits misent sur une crédibilité scientifique et un suivi personnalisé auprès des consommateurs, quelques nuances sont toutefois à apporter. On fait le point avec deux spécialistes.

Le marchand de sable se met à l’heure de la modernité. Lors de l’IFA 2018, qui s’est déroulée au début du mois à Berlin, Philips a dévoilé plusieurs produits dédiés à la santé. Parmi eux, un nouvel outil dans lequel la firme mondiale place de nombreux espoirs: SmartSleep. Présenté comme une innovation, l’appareil promet d’améliorer le sommeil des personnes ayant quelques difficultés pour s’endormir, en allongeant la durée de leur sommeil profond grâce à la diffusion d’un son ressemblant à l’effet « neige » des anciens téléviseurs à l’aide des émetteurs placés sur le bandeau. Philips est très loin d’être un précurseur en la matière. Depuis plusieurs mois, de nombreux produits se sont développés, créant ainsi un véritable marché dédié au sommeil.

Tout a commencé avec Dreem, le « bandeau connecté », tel qu’il est présenté par la start-up française Rythm, où l’on retrouve étrangement la plupart des caractéristiques présentes chez le joujou de la multinationale néerlandaise. Une seule distinction: le bruit faisant référence des situations que les usagers peuvent rencontrer dans leur quotidien comme la pluie tombante, les vagues… Le produit a eu un véritable succès critique et a visiblement donné des idées à d’autres comme Philips mais pas seulement. L’entreprise américaine Bose, initialement spécialisée dans le son, s’est également lancée dans cette bataille du dodo avec les écouteurs Sleepbuds. Ils diffusent un bruit censé apaiser l’usager et dissimuler les sonorités extérieures. Même l’entreprise phare de la téléphonie Nokia s’est offert une hésitante incursion avec Sleep, un nom simple comme bonjour. Ici on ne sollicite pas l’ouïe, mais on mesure, à l’aide d’un tapis installé sous le matelas, votre sommeil.

Avec SmartSleep, Philips souhaite se faire une place sur votre oreiller.
Avec SmartSleep, Philips souhaite se faire une place sur votre oreiller. © Tobias Schwartz/ AFP

La tendance touche aussi le domaine des applications. Généralement gratuites, elles ont été présentes bien avant les différents appareils énoncés ci-dessus. Leur accessibilité a facilité leur démocratisation malgré le fait qu’elles soient moins poussées et plus propices à la prévention. La plus populaire d’entre elles, SleepBetter, a été conçue par l’entreprise dédiée au fitness mobile Runtastic. Le consommateur doit installer son smartphone sous l’oreiller avant de dormir. Lendemain, une musique douce le réveille. Il peut consulter alors l’efficacité de sa nuit sur l’application. Des conseils lui sont donc donnés pour améliorer ses nuits. iSommeil, une autre appli très connue, répond aux mêmes critères sauf sur l’aspect indicatif.

« L’utilisation des applications est intéressante »

Autant de gadgets et autant de choix pour monsieur et madame Tout-le-monde. Néanmoins, on peut se poser la question de la fiabilité que revendiquent ces appareils. Il est de plus en plus fréquent que les médecins spécialisés dans le domaine soient confrontés à des patients ayant recours aux applis, à l’image du docteur Desplan, officiant notamment à l’hôpital Delta à Bruxelles. « Depuis un certain temps, on me demande quels types d’applications sont utiles pour vérifier la bonne qualité de son sommeil. Ce sont des outils que nous utilisons pour nos suivis, car d’une part, nos patients les maîtrisent bien et ensuite, cela nous permet d’avoir quelques indications assez vagues. En tant que médecin, je les conseille, explique le pneumologue. Par exemple, pour une personne ayant des soucis de ronflement, l’utilisation des applications est intéressante pour enregistrer les bruits du patient lorsqu’il dort. »

Des indications peu précises qui tendent à confirmer que ces moyens technologiques ne dépassent généralement pas le stade de la subjectivité. En d’autres termes, ils ne remplacent clairement pas les apports de la médecine dans le domaine. « Ce sont des éléments d’orientation. D’ailleurs, il faut savoir que lorsque ces applications indiquent un « sommeil léger » ou un « sommeil profond », cela n’a rien à voir ce que l’on peut voir sur une polysomnographie, avertit le spécialiste. Je pense qu’il n’existe aucun autre dispositif capable d’enregistrer le sommeil hormis l’encéphalogramme. Je doute qu’il y ait eu de grandes avancées technologiques ces derniers temps. Ces nouveaux objets connectés ne donnent que des éléments assez basiques grâce aux électrodes placées des endroits stratégiques. Cela reste très imparfait. »

https://twitter.com/HugoMercierR/status/950824099705769986Hugo Mercierhttps://twitter.com/HugoMercierR

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Des défauts également pointés par Olivier Mairesse, psychologue spécialisé dans les troubles du sommeil au CHU Burgmann. Selon lui, trois instruments fiables permettent de mesurer correctement l’état léthargique d’un individu: l’électroencéphalographie pour voir ce qui se passe dans le cerveau, l’électro-oculogramme pour l’activité des yeux lorsque l’on dort et l’électromyogramme pour nos mouvements. Cela peut donc jouer des tours aux célèbres produits high-tech… D’autant plus qu’à cause de leurs imprécisions, ils peuvent confondre les états du sommeil comme l’explique très bien le psychologue: « Ces appareils estiment injustement que lorsque la personne est en mouvement, elle ne dort pas. Or, lorsque la personne est en état de sommeil paradoxal, ce n’est pas vraiment le cas. Elle dort, mais ses yeux bougent beaucoup. Cela fausse la soi-disant fiabilité de ces produits. »

« Les gens sont friands de choses qu’ils ne comprennent pas »

Si ces objets connectés et applications manquent de justesse dans leurs données envers le consommateur, tout n’est pas à jeter. « Leur utilisation pourrait s’avérer avantageuse lorsqu’il faut, par exemple, mesurer les nuits d’une personne en déplacement à laquelle on ne peut réaliser une intervention purement médicale. Cela nous donne une idée globale de l’état de son sommeil », précise Olivier Mairesse. Dans un autre domaine, ces technologies influenceraient le comportement des personnes atteintes d’insomnie. En l’occurrence, si l’appareil indique que la personne a réalisé une bonne nuit, cette dernière se sentira stimulée. Néanmoins, le cas contraire est aussi probable notamment à cause des informations divulguées par l’application pouvant angoisser le patient et entraver sa guérison.

L’utilité de ces nouveaux appareils questionne également. Comment en sommes-nous arrivés à utiliser notre smartphone pour simplement dormir? D’après nos spécialistes, dans ce cas précis, il n’y a pas réellement de surprises. « On est dans une société de consommation. C’est la loi du marché. Les gens sont friands de choses qu’ils ne comprennent pas. C’est essentiellement du marketing: beaucoup d’enfumages, de fake news. On fait croire que c’est scientifique, mais derrière, il n’y a rien. Après, il y a peut-être un intérêt, mais il faut des preuves scientifiques« , juge Matthieu Desplan. De son côté, Olivier Mairesse estime que si les consommateurs sont « prêts à dépenser 500 euros pour ce genre de produits, autant le faire pour consulter directement un somnologue. » Il reste, d’ailleurs, dubitatif sur la création de ce besoin envers les consommateurs. Un besoin qui a tout de même un certain coût. Si la plupart des applications sont gratuites, comptez 500 euros pour Dreem et 350 euros pour SmartSleep. Qui a dit que bien dormir n’était pas un luxe?

Mostefa Mostefaoui

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