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Roland-Garros: père et entraîneur, quel est le problème?

Le Vif

Il y a des joueuses et des joueurs qui ne parviennent pas à couper vraiment le cordon avec leur entraîneur de père. Où est le hic? Le décryptage du psy.

L’ombre des pères continue de planer sur Roland-Garros. Aravane Rezaï ou Marion Bartoli entretiennent tous une relation compliquée avec leurs pères qui se trouvent être également leurs entraîneurs. Les unes ont essayé d’évoluer sans eux avant de regagner leur giron, l’autre ne se résout pas à quitter un paternel pourtant coupable de violence.

Pourquoi est-ce si compliqué de tracer seul(e) sa route lorsque l’on est fille ou fils de son entraîneur? Éléments de réponse avec Makis Chamalidis, psychologue du sport travaillant avec de nombreux joueurs et joueuses, notamment en collaboration avec la Fédération française de tennis.

Que faut-il voir comme signification au fait que certaines joueuses, à l’instar de Marion Bartoli ou Aravane Rezaï, ressentent à un moment donné le besoin de quitter leur père qui est aussi leur entraîneur, mais n’y arrivent pas et reviennent vers eux ?

S’il y a rupture, s’il y a break, c’est qu’il y a une raison. Cela veut dire qu’il y a une incompatibilité. Et si le « couple » décide de reprendre, il faut qu’il reparte sur d’autres bases: si c’est pour reproduire le même schéma, évidemment, ça n’a pas de sens. On se souvient du cas Capriati par exemple, où il y avait eu clash entre Jennifer et son père, et puis, chacun a mis de l’eau dans son vin et c’est reparti. Dans un couple, il faut savoir évoluer pour durer et il ne suffit pas que l’un des deux le fasse. Idéalement, les deux doivent le faire. Mais là où je ne peux pas entièrement répondre à cette question, c’est qu’il me manque un élément: savoir exactement sur quelles bases ont décidé de repartir ces couples-là.

Si l’on écoute à la fois Aravane Rezaï et Marion Bartoli, elles disent toutes les deux qu’elles ont essayé de couper le cordon, qu’elles en avaient ressenti le besoin, mais qu’elles se sont rendu compte que leur père était la personne qui leur convenait le mieux.

Le break, justement, sert avant tout à prendre de la hauteur, du recul, et à y voir plus clair. Et peut-être aussi à faire le deuil du père idéalisé. Mais le break créé aussi le manque: si le désir de repartir avec mon père revient, c’est parce que je n’ai pas trouvé mieux ou que je n’ai pas trouvé quelqu’un qui me connaisse et me comprenne comme les parents connaissent leurs enfants, c’est-à-dire parfaitement. C’est pour cela que ce n’est jamais facile pour l’entraîneur ou l’accompagnateur choisi de passer après un père.

Ce serait réducteur de dire: voilà, elles repartent avec leur père, elles reviennent en arrière?

Je n’en sais rien. Mais si le père reste le même et ne bouge pas, oui, il y a un côté « on reste un peu dans le passé ». Alors que si le père a compris des choses, s’il a une forme d’intelligence relationnelle, à ce moment-là, cela peut être une bonne chose.

Dans certains cas on peut se dire qu’il y a comme élément supplémentaire un père un peu plus violent qui garde l’enfant sous sa coupe…

Un enfant, tout comme un joueur ou une joueuse de tennis professionnel(le), n’est pas là pour subir la loi d’un père, qu’il soit violent ou pas. Après, il y a plusieurs formes de violence: la violence physique, la violence verbale… Un joueur ou une joueuse est là pour avoir un père qui a du savoir-faire, mais aussi du savoir-être, par son positionnement, par ce qu’il dégage, par sa personnalité. Un joueur ou une joueuse est là pour imposer à son tour sa personnalité dans un match, pour partager, pour apprendre. Être terrorisé par un père et ne pas avoir son mot à dire, ce n’est évidemment pas le but. Mais encore une fois, je ne les connais pas personnellement. En tout cas, pour ces gens-là, la violence, le fait de parler trop, est plus fort qu’eux. On leur dit « baisse un peu d’un ton », ils ne savent pas faire. Mais personne n’est parfait. Ça fait aussi se poser la question de ce qu’est un bon entraîneur.

Justement, quelle est votre réponse?

Je vais reformuler la question: qu’est-ce qu’un bon accompagnateur? Parce que là, on parle d’un métier très précis, où il faut savoir voyager, où il faut savoir se positionner, où il faut aussi savoir laisser de l’espace à son enfant pour qu’il puisse exister autrement qu’en étant sous la houlette de ce père. Ce n’est pas un métier facile.

Pourquoi a-t-on le sentiment qu’il y a autant de pères de ce type dans le tennis?

Si vous aviez une fille de 14 ans ou de 16 ans, vous la laisseriez partir aux quatre coins du monde avec un entraîneur que vous connaissez à peine? Évidemment, il y a de très bons entraîneurs, mais vos enfants restent quand même vos enfants ! Les parents ont besoin de les protéger. Il ne faut pas oublier que le tennis est un milieu où l’on a connu des cas d’abus d’autorité et d’abus sexuels… Les parents doivent aussi pouvoir être rassurés et ce n’est pas si simple. Pour moi, il y a donc un côté normal à ce que les parents soient présents. Mais il faut aussi trouver la bonne distance, qui permet à chacun d’être à sa place. Et puis se pose aussi la question de la vie par procuration d’un parent: ai-je réussi à faire le deuil de la carrière que moi je n’ai pas réussi à accomplir? C’est vrai dans le tennis comme dans d’autres métiers. L’enfant ne choisit effectivement pas toujours. Mais on a connu aussi des sportifs qui ont été obligés de jouer au tennis, comme André Agassi, et qui finalement s’y sont retrouvés.

Par Myrtille Rambion

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