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Pourquoi l’être humain est-il si attaché à l’argent?

 » L’argent est un bon serviteur, mais un mauvais maître « , a-t-on coutume de dire. De fait, l’argent peut changer un homme.

Plus que jamais, l’argent est l’un des moteurs essentiels du comportement humain. Dans toutes les cultures, dans tous les peuples du monde, la toute-puissance de l’argent est devenue tout simplement stupéfiante. La soif de richesse semble pouvoir être comparée aux autres stimuli fondamentaux qui conditionnent nos faits et gestes, tels que la nourriture, le sexe et les drogues.

Nous pensons généralement être des individus raisonnables, capables de contrôler nos pulsions. Mais cette image de nous-mêmes ne colle plus du tout à la réalité dès que l’argent entre en jeu. Il nous pousse à poser des actes et à prendre des décisions dont nous avons à peine conscience et dont nous ne sommes pas fiers. Quand l’argent entre en scène, tous les acteurs se mettent à jouer en solo…

Égoïsme et solitude

En 2006, la chercheuse américaine Kathleen Vohs a publié dans la revue Science une étude portant sur la relation entre notre rapport à l’argent et notre attitude à l’égard d’autrui. Ses conclusions n’ont rien de réjouissant. Les volontaires de l’étude, lorsqu’ils sont mis en situation de puissance financière (virtuelle), deviennent moins généreux et moins solidaires. Pour étudier leurs réactions, Kathleen Vohs a imaginé une série de 9 expériences, dans lesquelles les sujets sont exposés à une représentation de l’argent ou du pouvoir financier (par exemple, une liasse de billets de Monopoly est déposée sur la table). Chacune de ces expériences a révélé que les sujets exposés à une représentation de l’argent ou de la puissance financière réagissent de manière beaucoup moins altruiste que les autres. Ils sollicitent et offrent moins leur assistance aux autres participants, ont tendance à travailler de plus longues heures, ramassent moins le stylo tombé des mains d’une personne ayant  » trébuché  » à côté d’eux, consentent des dons plus chiches aux oeuvres caritatives et ont moins tendance à collaborer avec autrui.

Une expérience amusante, mais sans aucune corrélation avec la réalité ? Pas du tout ! Kathleen Vohs fait référence à d’autres études, desquelles il ressort, entre autres, que les étudiants en sciences économiques ont davantage tendance à jouer la sécurité et la méfiance, lors de jeux de rôles complexes, que les étudiants d’autres facultés. Or, ces étudiants en économie considèrent leur attitude comme tout à fait normale.

Faim et argent

Autre approche, celle de Barbara Briers, professeur à la HEC School of Management de Paris, qui a cherché à mettre au jour les racines profondes de notre attachement à l’argent. D’après ses observations, les schémas comportementaux générés par l’argent sont similaires à ceux qui sont induits par la nourriture et le sexe. Pour étayer sa thèse, elle fait référence notamment à une étude célèbre de Nelson et Morrison qui révèle que les préférences des hommes pour les femmes plutôt rondes ou plutôt sveltes sont directement déterminées par leur état de fortune et leur statut alimentaire. Les hommes riches et bien nourris choisissent plus souvent des femmes filiformes, tandis que les hommes pauvres et affamés leur préfèrent des compagnes bien en chair. Ces préférences s’expliquent probablement par la théorie évolutionniste selon laquelle, jadis, la corpulence était une garantie de survie. Barbara Briers a orchestré elle-même plusieurs expériences visant a analyser le rapport entre la faim et l’argent, qui lui ont permis de constater que les participants, quand ils ont faim, sont moins généreux à l’égard des bonnes causes (fictives). Son explication : L’argent est apparu relativement tard dans l’évolution de l’espèce humaine. Depuis lors, la recherche quasiment obsessionnelle de richesse semble suivre le même schéma que la quête compulsive de nourriture, comme s’il s’agissait d’un instinct très profond. Ce rapport entre l’argent et la nourriture pourrait être une des causes ou une explication de la corrélation qui existe, dans le monde entier, entre la pauvreté et l’obésité. On pourrait presque dire que le pouvoir d’attraction de l’argent est tellement puissant que les individus qui sont placés dans l’impossibilité d’en avoir compenseraient cet échec en se nourrissant à l’excès. « 

L’argent ne fait pas le bonheur

Certains chercheurs vont jusqu’à comparer l’argent à une drogue, dont certaines personnes n’ont jamais assez. Ils en veulent pour preuve le désir de certains d’amasser une fortune de plus en plus grande. Et pourtant, malgré notre soif de richesse, un compte en banque bien garni ne fait pas notre bonheur. Daniel Kahneman, Prix Nobel d’Economie en 2002, s’est demandé pourquoi. Il est arrivé à la conclusion que les êtres humains étalonnent leur richesse et leur niveau de vie en fonction de l’environnement social dans lequel ils évoluent. Une personne qui gagne davantage progresse dans l’échelle sociale, et se retrouve entourée de personnes qui dépensent davantage. Son niveau de richesse absolu a augmente, mais son niveau relatif reste identique. Par ailleurs, la richesse induit également une angoisse : celle de perdre le patrimoine acquis.

Pourtant, dans une expérience où l’on demandait aux sujets de décrire soit  » un achat qui les avait rendus heureux « , soit  » un moment qui leur avait procuré du plaisir « , Van Boven et Gilovich ont bien montré que ce sont les bons moments qui apportent le plus de satisfactions par rapport aux possessions matérielles. Ils avancent à cela trois raisons. La première est que l’on peut se remémorer des souvenirs heureux avec toute la subjectivité que cela comporte, en sélectionnant ce qu’ils ont de particulièrement agréable. Contempler sa nouvelle paire de chaussures ne procure pas le même effet… La deuxième est que les souvenirs se prêtent moins aux comparaisons défavorables. Vous pouvez comparer votre nouvel écran plat à celui du collègue… et découvrir qu’il a fait un meilleur achat que vous. Mais vous ne pouvez pas comparer vos souvenirs de jeunesse aux siens. Et enfin, les expériences que vous avez vécues vous fournissent matière à des dialogues sympathiques avec les autres. Tandis que si vous ne parlez que de votre nouvelle auto, vous aurez tôt fait de passer pour un rustre… Ou alors vous êtes déjà un matérialiste irrécupérable !

Par Jan Etienne /KR

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