Peter Adriaenssens © DR

Pourquoi de plus en plus de jeunes se font exclure de l’école ?

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Pour le pédopsychiatre, Peter Adriaenssens, « nous devons oser dire aux jeunes de fermer leur clapet ».

Il y aurait de plus en plus de jeunes qui sont renvoyés de leur école. En Flandre et à Bruxelles, leur nombre aurait augmenté de 40% en 2 ans. « La criminalité des jeunes et les troubles du comportement n’ont, eux, que peu évolué » dit Adriaenssens. On remarque par contre une hausse de jeunes fauteurs de trouble. Des jeunes qui durant un moment se comportent de façon vraiment pénible. Cela concerne un quart des enfants et des jeunes. Les professeurs et les professionnels en contact avec les élèves constatent une hausse du phénomène. On remarque que, par classe, il y a en moyenne entre 2 et 4 élèves qui compliquent la tâche du professeur, voire qui l’empêchent de donner cours. Ce sont des jeunes qui ont des problèmes avec l’autorité, n’acceptent pas le non et se comportent mal, pas seulement en cours, mais aussi dans les magasins ou les transports en commun.

Comment expliquer qu’ils sont de plus en plus nombreux ?

On aurait tendance à dire que c’est la faute des parents ou de l’école. Mais c’est un peu facile. La responsabilité en incombe à la société dans son entièreté. Les enfants grandissent souvent dans des familles recomposées, moins stables et parfois alambiquées. On demande aux parents d’être plus investis, mais ce n’est pas toujours possible lorsqu’on travaille tous les deux et qu’on a une garde partagée.

Les enfants à problème sont les fruits de notre monde d’adulte. Avec des figures médiatiques ou politiques qui se comportent de manière grossière et qui dépassent les limites comment voulez-vous que ces derniers sachent qu’elles sont justement ces limites. En plus quelles sont les perspectives qu’on leur offre ? On tient un discours catastrophiste. Vont-ils trouver du travail et leur diplôme sert-il à quelque chose ? Nous sommes la première génération à dire à la suivante qu’elle va moins bien vivre que nous.

Selon le psychologue Paul Verhaeghe (UGent) les jeunes à problème sont le résultat d’un idéal démocratique poussé à l’extrême alors qu’ils auraient besoin de plus d’autorité.

Le terme d’autorité est tombé en discrédit parce qu’on le confond avec pouvoir.  » C’est vrai parce que je le dis. » On a remplacé le pouvoir par la discussion et la communication. Avec des résultats spectaculaires puisque les jeunes s’affirment beaucoup plus et ont gagné en compétence linguistique. Ce qui est une bonne chose, mais on oublie un peu vite que les limites sont partie prenante d’une éducation. Nous devons oser contredire les jeunes et leur fermer leur clapet si besoin. Car sinon l’affirmation de soi par la parole peut facilement dévier en agressivité.

Avoir une grande gueule et montrer son opposition est encouragé par certains parents qui y voient une forme d’intellect. Bien sûr tout le monde a le droit de dire ce qu’il pense, mais au bout du compte il doit toujours y avoir quelqu’un qui détient l’autorité. Quelqu’un qui dit « j’ai bien écouté toutes vos propositions, mais certaines ne sont pas réalistes. Voici ce qu’on va faire. »

Certains livres d’éducation prônent un retour à l’autorité classique, verticale.

Je comprends ce que cela a de tentant, mais il ne faut pas oublier qu’on a désormais la preuve que l’ancienne façon de faire, l’autorité pour l’autorité, n’a pas non plus donné de bons résultats. Tout comme tout baser sur la communication non plus. C’est ce qui rend la problématique si difficile. Car vos meilleures décisions n’étaient-elles pas justement celles que vous avez prises contre l’avis de vos parents ?

Le problème c’est que nous sommes souvent trop catégoriques, c’est noir ou blanc. Nous sommes trop autoritaires ou trop permissifs. Les enfants doivent apprendre que l’autorité est quelque chose qui doit leur permettre de prendre les bonnes décisions, et ce le plus tôt possible. Si par exemple on n’arrive pas à canaliser leur usage du téléphone à 8 ans, il y a très peu de chance qu’on y arrive lorsqu’ils auront 14 ans.

Vous avez dit que la révolution digitale a pour la première fois dans l’histoire brisée structurellement le pouvoir des parents.

Comme nous sommes la première génération à y être confronté, nous n’avons pas encore de réponse adéquate à cette révolution. Car il n’y a pas le moindre doute que les médias sociaux ont un impact sur nos jeunes . Si cela représente de nombreux avantages, elle emmène aussi son lot de nouveaux problèmes. Le monde digital est géré par des adultes qui ne tiennent pas compte de la fragilité des jeunes.

Les écoles qui renvoient leur élève ne choisissent-elles pas la facilité ?

Non je dirais que c’est plutôt le contraire. Ces écoles travaillent dur pour ne pas en arriver là. Parfois cela fonctionne. Les élèves qui sont renvoyés ont la plupart du temps suivi sans succès des processus pour leur faire revenir à la raison. Ce n’est bon pour personne y compris pour les autres élèves. Car ces cancres peuvent terroriser une classe entière. Nous avons aussi une responsabilité envers les victimes.

Les jeunes à problèmes reçoivent de plus en plus des médicaments. Est-ce une solution ?

La médicalisation travaille main dans la main avec la psychiatrisation. Nous avons tendance à croire qu’un comportement problématique est issu d’un problème psychologique ou médical. Or, ce qui est surtout nécessaire, et je sais que c’est cliché, c’est une approche globale. Les médicaments peuvent aider, mais nous devons surtout en tant qu’éducateurs délimiter des limites claires.

Selon le neurologue Dick Swaab on qualifie bien trop vite les jeunes d’hyperkinétique. Il y voit un lien avec le fait que la plupart des enseignantes sont des femmes.

Je trouve ce lien dangereux, mais je comprends ce point de vue. Tous les domaines liés à l’enfance se féminisent. Le fait qu’il n’y ait que peu d’hommes pourrait être problématique surtout lorsqu’on sait que les jeunes dits à problème sont souvent des garçons. Dans certaines situations, des professeurs masculins pourraient mieux s’y prendre. Peut-être parce qu’eux même dans leur jeunesse ont eux aussi été des cancres.

Est-ce tiré par les cheveux de dire que la hausse des jeunes à problèmes est en partie due à l’urbanisation accrue et au manque de grand air ? Nous vivons de plus en plus les uns sur les autres ce qui peut augmenter l’irritation.

C’est aussi un réel problème. On ne peut s’ébattre et faire du bruit dans un petit appartement. Ce qui entraîne des frustrations. Pourquoi les écoles ferment-elles à 18 heures ? Là il y a de la place pour jouer. On pourrait demander aux plus âgés des élèves de garder un oeil. Ils pourraient être des coaches et employés de façon positive et utile. Cela leur apprendrait aussi le sens des responsabilités.

Serait-ce une bonne idée d’ouvrir le droit de vote aux jeunes dès 16 ans ?

Je suis pour le fait de les impliquer davantage dans notre société, mais le droit de vote ? Non, c’est ridicule. Faites un scan de leurs cerveaux et vous comprendrez : il n’est pas encore complètement développé. Et puis il y a un temps pour tout.

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