© Anneleen van Kuyck

Plongée en psychiatrie: « Nos résidents sont des gens solides »

Brecht Castel

Trois résidents d’un centre psychiatrique de Dendermonde ouvrent leur porte et leur coeur. Sans tabou ni méfiance.

« J’ai dû tout laisser derrière moi ma maison, ma voiture, mon vélo, mon chien. Tout. J’ai été interné à ma propre demande. » Fred * (59) raconte comment il s’est dirigé vers la psychiatrie à l’un des moments les plus sombres de sa vie. Nous le rencontrons dans son nouveau chez lui, la maison psychiatrique Leilinde, à Dendermonde. Avec ses yeux d’un brun foncés, il vous cherche parfois du regard, avant de le laisser errer vers l’horizon ou se perdre dans sa tasse de café.

« J’ai perdu ma mère d’un cancer. Ma femme était tellement affaiblie par sa chimio qu’elle n’a pu se rendre à l’enterrement. Dix mois plus tard, c’était son tour. Avant, il m’arrivait de boire un coup avec mes collègues après le travail, mais après ça j’ai plongé et commencé à noyer mon chagrin dans l’alcool. Je buvais du whisky dès le matin, à jeun. Je n’arrivais pas à dormir, alors j’ai pris des somnifères. » Le début d’un cercle infernal. Fred est un ancien toxicomane. Il est pourtant resté clean depuis le premier jour de son admission, il y a trois ans. Sa fragilité émotionnelle semble aujourd’hui sous contrôle sans qu’il soit pour autant capable de vivre seul. Ce type de profil forme le groupe cible des maisons de soins psychiatriques. Les personnes atterrissent souvent là après une hospitalisation en psychiatrie. C’est aussi le cas de Fred. Il nous dit qu’il n’est là que depuis quelque mois, mais son accompagnatrice, « notre Anneke », le corrige doucement en précisant qu’il est là depuis un an et demi. Il ne sait pas vraiment non plus ce qu’il a fait exactement cette semaine. « J’ai du mal à me souvenir, c’est embêtant »

Sa mémoire ne lui fait par contre pas défaut quand il raconte comment il a parcouru l’Europe pour suivre d’Eric Geboers, champion de moto ou quand il parle de son ancien travail. Fred travaillait chez Delhaize depuis quarante ans. À la fin, il était même responsable d’un dépôt ou il dirigeait une équipe de 30 personnes. C’est du passé parce qu’il a depuis perdu son emploi.

« Nous ne nous concentrons pas sur ce que les gens ne peuvent plus faire, mais plutôt sur ce qui est encore possible » stipule la coordinatrice de Leilinde, Sarah Veireman. « Nos résidents sont des gens très solides qui malgré d’incroyables revers de fortune trouvent tout de même le courage d’aller, à leur manière, de l’avant. »

« Je voudrais retravailler, mais ce n’est plus possible », explique Fred. « Je suis content ici, même si les journées sont parfois longues et que je passe beaucoup de temps au lit. Le mois prochain, je vais aller voir une compétition de motocross avec Anneke. J’attends ça avec impatience. »

« Rêver de taupes »

Dans l’après-midi, Fred et les autres patients font des brochettes de fruits. Cette activité est assurée par trois étudiants qui restent ici toute une semaine grâce à l’ASBL Joka. Celle-ci organise des camps pour les jeunes qui souhaitent tenir compagnie bénévolement aux habitants de tel centre.

L’activité semble au goût des participants. K. * (53) reste un peu en retrait. Il a choisi lui-même son pseudonyme pour cet article. K. signifie Kafka. « Quand j’ai étudié la peinture à Sint-Lucas, j’ai acheté l’ensemble de son oeuvre. Chaque soir, je lis une page dans différents livres. Parfois, j’arrive à lire deux pages, mais je ne peux pas me concentrer plus longtemps. »

Plongée en psychiatrie:
© Anneleen van Kuyck

K. lutte avec des problèmes de concentration depuis qu’il a obtenu son diplôme, à l’âge de 24 ans. Il n’a, par la suite, vécu que dans des institutions. « Pendant mes études, j’ai soudainement entendu des voix. Quand je pose ma tête sur mon oreiller, je les entends toujours. Elles me parlent de débauches sexuelles. J’ai peur de ça. Elles me demandent de faire des choses, mais je les ignore et je me bats contre elles. Parfois, elles me compliquent vraiment la vie »

Après les brochettes de fruits, K. nous emmène dans sa chambre. Sur le chemin, nous passons devant quelques peintures accrochées sur le mur du couloir. K. s’arrête et dit que ce sont ses créations. « J’aime beaucoup ce hibou. En ce moment je travaille sur un rouge-gorge. »

Dans sa chambre, K. nous montre l’esquisse du rouge-gorge et d’autres oeuvres. Il dessine et peint principalement des animaux ou alors des portraits de grands musiciens tels que David Bowie et Toots Thielemans.

La dernière création de K.
La dernière création de K.© Anneleen van Kuyck

Dehors, dans la rue, nous entendons des jeunes qui crient et qui rient. K. ne lève pas les yeux. Autour d’un thé glacé, nous parlons tranquillement de la musique de Laurie Anderson et des oeuvres de Joseph Kosuth.

« J’ai fait un rêve avec des taupes et je voudrais le transcrire en bande dessinée », dit K.. « Les taupes s’entendaient bien, jusqu’à ce qu’une taupe, qui se croyait plus forte que les autres, vienne bouleverser cette harmonie. Elles creusent alors tellement de couloirs que des maisons s’effondrent. La dernière image de la bande dessinée est complètement noire, rien d’autre. »

Quand je demande à K. d’où lui vient sa foisonnante imagination, il sourit et rougit . « Merci », me souffle-t-il. Lorsque des blancs apparaissent dans la conversation, il penche la tête et regarde le sol. K. semble toujours sombrer dans son propre monde, mais, pour peu qu’on s’adresse à lui, il revient soudain à la surface.

Sauvée par un chien

K. est calme. Deborah * (36), par contre, est un véritable moulin à parole. Nous nous isolons, en mangeant une brochette de fruits.

Plongée en psychiatrie:
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Elle nous raconte l’histoire de sa vie. « Les dix premières années de ma vie, j’ai grandi en Frise chez de très gentils parents adoptifs. Puis mes parents biologiques sont venus me chercher, mais ils m’ont maltraité. Mon père a abusé sexuellement de moi. Avec le temps j’ai commencé à me gratter les bras. Ma mère m’ignorait. Je devais tout faire à la maison, même m’occuper de mes jeunes soeurs. J’étais tellement fatiguée lorsque j’arrivais à l’école. En fin de compte, le juge des mineurs m’a heureusement enlevé de là. Les cicatrices sont venues à cause de ce que mes parents m’ont fait. Je ne pouvais pas le supporter. Je n’ai pas osé porter de manches courtes pendant longtemps parce que j’avais peur que les gens me regardent. Maintenant, je m’en fous. « 

Plongée en psychiatrie:
© Anneleen van Kuyck

Deborah est passée d’une institution à une autre toute sa vie. Elle vit à Leilinde depuis sept ans. C’est l’institution qu’elle préfère, car elle laisse davantage de liberté. En plus, il y a une poule qui vit ici. Son véritable roc dans la tourmente. Deborah nous emmène dehors. « Lorsque je ne me sens pas bien, j’allume une cigarette et je vais voir ma poulette. Je ne fais que lui parler. J’ai l’impression que quand elle caquette elle me comprend.  » Les animaux jouent un rôle crucial dans la vie de Deborah. Un chien l’a sauvée lors d’une tentative de suicide. Le traumatisme qu’elle a causé à la bête la dérange encore. « On doit faire attention aux animaux. », dit-elle. C’est pour cela qu’elle s’occupe de tous les animaux du quartier. Deborah joue avec le chien du voisin lors de sa visite hebdomadaire au marché de Dendermonde. Elle caresse aussi tous les amis à quatre pattes qu’elle rencontre.

Cette liberté tout comme le contact avec le monde extérieur sont important à Leilinde « Il est primordial qu’un foyer psychiatrique soit intégré autant que possible dans la société normale », explique la coordinatrice Sarah Veireman. Les résidents sont d’accord: « J’ai vécu dans différentes institutions, mais c’est de loin le meilleur endroit », dit K. « Si vous sortez d’ici, vous êtes directement en ville. Cela donne un sentiment de liberté. « 

Installer un tel centre ici n’était pourtant pas une évidence. « Au début, plusieurs personnes dans le quartier étaient contre, mais cette méfiance était surtout une peur de l’inconnu. Ils ne savaient pas quels patients allaient vivre ici », explique Veireman. « Ce sentiment a disparu après les journées portes ouvertes et les soirées d’information. Maintenant, un certain nombre de voisins sont même devenus des bénévoles ici et il n’y a presque eu aucun problème. La plupart des gens ont encore l’idée que quelqu’un qui vit avec une vulnérabilité psychologique est imprévisible ou agressif, mais ce n’est pas du tout le cas », dit encore Veireman.

Les patients sont touchés par diverses pathologies. Souvent, il s’agit de schizophrénie ou d’un problème de toxicomanie, mais en réalité les diagnostics n’ont que peu d’importance. Seul prime le contact de personne à personne. Fred, K. et Deborah sont très contents du personnel qui les accompagne et de leur séjour en général. Ce qui les chagrine, c’est que lorsqu’ils sont dehors, ils ont l’impression que les gens critiquent derrière leur dos. Tout le monde n’oublie en effet pas si facilement ses préjugés. Moi-même, je remarque qu’au début de l’interview je m’adressais de façon inconsciente à eux comme à des enfants.

L'un des habitants les plus câlins de Leilinde
L’un des habitants les plus câlins de Leilinde© Anneleen van Kuyck
L'auto-proclamé
L’auto-proclamé « rock-‘n-roll-junkie » de la maison © Anneleen van Kuyck

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