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Peut-on vaincre le traumatisme psychique ?

Le Vif

Oui. A condition de transformer l’expérience brute en « souvenir construit ». L’approche cathartique est la voie royale pour amorcer le traitement qui aboutira à la résilience et à une renaissance de la personnalité.

Chaque jour, les médias apportent leur lot d’agressions, d’attentats, d’accidents graves et de catastrophes. La violence du monde moderne provoque des morts, des blessés physiques mais aussi des blessés psychiques. Des victimes qui, tout en échappant aux sévices physiques, demeurent profondément choquées et traumatisées par un événement qui implique menace de mort ou altération de l’intégrité physique ou psychique. Le terme « traumatisme psychique » et son abréviation « trauma » sont passés dans le langage courant. Mais que signifient-ils exactement ? Comment handicapent-ils la vie de ceux qui en sont victimes ? Et surtout, comment s’en sortir ?

Stress ou névrose ?

Le terme de « névrose traumatique » a été créé en 1888 par Hermann Oppenheim. Le neurologue allemand désignait ainsi les troubles psychiques des premières victimes des accidents de chemins de fer. Ensuite, ce terme a été élargi à toutes les séquelles d’agression. « Pendant les deux guerres mondiales, on s’est occupé uniquement des névroses de guerre, mais une fois la paix revenue, on a oublié ces pathologies de névrose traumatique, rapporte Louis Crocq, psychiatre des armées et auteur de 16 Leçons sur le trauma (aux éditions Odile Jacob). Elles ont resurgi dans les années 1970 aux Etats-Unis, lorsque 700 000 GI’s (sur les 3 millions envoyés au Vietnam entre 1964 et 1973) sont revenus avec le « post-Vietnam syndrome ».

Ces vétérans avaient l’impression d’être enfermés dans une « membrane invisible » qui les empêchait de communiquer avec les autres. Ils ne parvenaient plus à se réinsérer dans la vie civile, ce qui a posé un énorme problème de société. Pour le résoudre, les Américains ont créé le réseau des Vet Centers, centres de consultation extrahospitaliers qui ont connu un énorme succès. Les psychiatres américains ont inventé le terme d’ « état de stress post-traumatique » qui correspond, en gros, au tableau clinique de la « névrose traumatique ». Ils ont laissé tomber le mot « névrose » qui évoquerait trop la psychanalyse. De leur côté, les cliniciens francophones prétendent que le « stress » relève de la bio-neurologie et tiennent à leur « névrose traumatique ». La querelle des mots n’est pas close…

Les différentes phases

Lorsqu’une personne est exposée à une agression ou à une menace mettant en jeu sa vie, elle est dans la surprise, dans l’effroi, dans l’horreur, dans une suspension de la pensée ou « trou noir ». Cette réaction immédiate dure maximum vingt-quatre heures puis débouche sur une réaction post-immédiate qui, elle, varie entre huit jours et trois semaines. Deux cas de figures sont alors possibles. Ou bien tout rentre dans l’ordre et la victime retourne progressivement à la vie normale ou, au contraire, elle entre dans la phase d’incubation (appelée phase de latence) d’une période chronique, autrement dit d’une névrose traumatique. « Elle s’accompagne de trois sortes de symptômes, explique Louis Crocq. Tout d’abord, le patient est victime du syndrome de répétition. Il revit intensément, contre sa volonté, son expérience traumatique. Elle peut surgir spontanément, inopinément. Elle peut être provoquée par des stimuli extérieurs rappelant le trauma, par exemple, quand la victime croise dans la rue un passant et l’identifie à son agresseur. Le syndrome de répétition s’accompagne aussi de cauchemars nocturnes et de ruminations mentales. A cela s’ajoutent les symptômes non spécifiques, tels la fatigue physique, l’anxiété et les phobies, ainsi que les symptômes somatiques : douleurs au dos, au ventre ou à la tête. Enfin, certains symptômes traduisent l’atteinte de la personnalité impactée par le trauma : état d’alerte permanent, insomnie, irritabilité, pusillanimité et repli sur soi. »

Et la fragilité dans tout ça ? Sommes-nous égaux devant un trauma ? Un événement n’est jamais infailliblement traumatique. Il doit être considéré en rapport avec la personnalité de celle ou de celui qui y est confronté, avec ses forces constitutionnelles et sa disponibilité d’énergie. Une situation peut être traumatogène pour un sujet et pas pour un autre. Elle peut être traumatisante pour un sujet aujourd’hui et pas demain ou la veille s’il est dans une meilleure condition physique et dans un environnement matériel et moral plus favorable. « On a pensé que certaines personnes étaient plus fragiles que d’autres et que cette fragilité dépendrait du fonctionnement du cerveau et de certaines de ses anomalies comme une sécrétion plus abondante d’adrénaline ou de cortisol, par exemple, analyse Louis Crocq. Mais on n’a aucune preuve. On a pensé aux traumas de l’enfance, en disant qu’un traumatisé va chercher dans son passé ce qui lui rappelle l’événement d’aujourd’hui. On ne peut pas établir de tels liens. Le philosophe Henri Bergson disait : « Ce qui est vrai aujourd’hui nous semble avoir toujours été vrai. » Ce sont de fausses fragilités, il faut faire attention. La fragilité ne peut pas, non plus, s’appliquer aux sexes. La question de fragilité n’est pas résolue. Cela dit, personne n’échappe à l’expérience traumatique. Les psychiatres anglais Sargant et Slater disaient, en parlant de la Seconde Guerre mondiale : il y a des situations tellement violentes que « no one is immune ». »

L’approche cathartique Non traitée, la névrose traumatique devient chronique et accompagne la personne jusqu’à la fin de la vie. Pour se dégager de son emprise, une seule solution : la verbalisation des affects. « L’expérience traumatique, brute et sensorielle par définition, est une expérience de « non-sens », décrypte Louis Crocq. Elle doit être verbalisée. Autrement dit, il faut revivre mentalement l’événement et transposer les émotions éprouvées comme « insensées » en mots porteurs de sens. Ce procédé apporte à la souffrance son « soulagement éclairé » qui est à la base de l’approche cathartique. »

Le concept n’est pas vraiment nouveau. Les Grecs anciens utilisaient le mot « catharsis » pour désigner la « purification de l’âme ». Aristote a très bien expliqué le phénomène en disant qu’au terme d’un spectacle de tragédie, le spectateur en ressortait avec un sentiment d’apaisement du désordre émotionnel et avec une capacité de surmonter toutes les passions. Plus tard, Freud a affiné le concept. Sa méthode invite le patient à se replacer mentalement dans l’événement et à le verbaliser tout en établissant des associations d’idées à son sujet. Mais il ne faut pas chercher à s’enfermer dans les répétitions d’un récit factuel mais plutôt retrouver son état psychique d’alors et improviser spontanément les paroles qui ont manqué à ce moment-là, en y associant des sentiments et des émotions qui ont surgi durant l’événement.

« Il s’agit d’une énonciation et non pas d’un récit, précise Louis Crocq. Ces associations d’idées sont très importantes. Le patient doit verbaliser ce qu’il a ressenti. Ainsi, il va maîtriser l’événement qui ne sera plus un mystère, et le restituera dans la liste de tous les événements. Ce sera un souvenir parmi d’autres. Les associations d’idées servent à relier l’événement avec l’avant et l’après pour qu’il ne soit plus perçu comme un « corps étranger ». Le traumatisme psychique est une souvenance brute qui n’a pas eu le temps d’avoir une signification. C’est un phénomène de confrontation avec le réel de la mort, ou du néant. Or, le « réel » c’est ce qui n’a pas de signification quand il est perçu. Il diffère de la « réalité » que nous percevons par le prisme de la culture, du langage et de l’imaginaire, et qui a du sens. La mort et le néant nous imposent leur réel brut car nous n’en avons aucune « représentation ». »

De l’approche cathartique à la résilience

L’approche cathartique consiste donc à transformer une expérience brute et traumatisante, en « souvenir construit », « éclairé » et porteur de sens. Pour faciliter cette approche, les psychiatres pratiquent souvent l’hypnose légère (ériksonienne) ou la relaxation. On obtient aussi de bons résultats avec une technique récente, dite EMDR (eye movement desensitization reprocessing), forme atténuée d’hypnose, mise au point par la psychologue américaine Francine Shapiro. Avec cette méthode, le thérapeute fait bouger des doigts dans un mouvement de balancier et invite le patient à suivre le mouvement des yeux (sans bouger la tête) tout en revivant l’événement traumatisant et en décrivant son état psychique de ce moment-là. L’approche cathartique s’attaque au « noyau » de l’expérience traumatique. Elle est une bonne entrée en matière d’une thérapie plus longue qui permettra de récupérer un état psychique sain et équilibré. Bref, d’aboutir à la fameuse « résilience », autrement dit à la « faculté de rebondir ». « La guérison ne consiste pas à oublier, mais à se souvenir autrement », conclut Louis Crocq.

Barbara Witkowska

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