Séverine Vermeire © Dieter Teleman

« Nous sommes devenus trop propres. Notre système immunitaire est perturbé »

Séverine Vermeire (UZ Leuven) est une autorité mondiale en matière de traitement d’entérites chroniques où elle focalise sur les bactéries intestinales. « Un jour, on prendra des pilules fécales pour traiter une dépression. »

Elle est l’une des gastro-entérologues les plus renommées du pays. Elle publie régulièrement dans les meilleurs magazines professionnels du monde. Récemment, elle a obtenu le prix prestigieux de la Fondation AstraZeneca pour ses recherches sur les entérites chroniques. Et pour un travail, avec des intestins et des excréments, qui ne semble pas vraiment sexy.

« Je n’ai jamais trouvé mon travail sale. Il y a des tribus humaines dans le désert qui mangent leurs excréments ou ceux d’animaux quand ils sont malades. C’est une pratique courante dans la nature. »

Pourquoi trouvons-nous ça sale?

Séverine Vermeire: À l’époque, le manque d’hygiène était à l’origine d’épidémies bactériennes telles que la peste et le choléra. En instaurant plus d’hygiène, nous avons pu l’exterminer. Cependant, on exagère beaucoup trop dans l’autre sens. Nous sommes devenus trop propres, ce qui nous perturbe notre système immunitaire.

À l’époque, les gens tombaient malades quand ils consommaient de la nourriture infectée. Pour éviter cela, on a créé une industrie alimentaire qui ajoute de tout à notre nourriture : pour mieux la conserver, mais aussi pour qu’elle ait un plus bel aspect et un meilleur goût. Nous payons le prix de notre mode de vie occidental en soins de santé. Il est urgent de se demander si l’industrialisation et l’hygiène exagérée est si favorables.

Êtes-vous en train de dire que les affections intestinales sont liées à notre mode de vie?

Absolument. 1% de la population en Europe et aux États-Unis souffre d’entérite chronique, telle que la colite ulcéreuse – une infection chronique du gros intestin – ou de la maladie de Crohn. Ce ne sont plus des maladies rares. Dans les grandes villes d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique latine, les entérites chroniques ont le vent en poupe : ces derniers temps, leur fréquence a augmenté de 150%. En cause, l’alimentation occidentalisée.

Quel est le lien direct entre ces affections et notre mode de vie? Il y a deux choses qui vont de pair : outre nos habitudes alimentaires qui changent trop rapidement, avec notamment trop de graisses animales et trop peu de fibres végétales, nous vivons de manière trop hygiénique. Il faut entraîner ses défenses dès le plus jeune âge pour distinguer le bien du mal. Quand j’étais jeune, on pouvait simplement ramasser quelque chose par terre, et le mettre en bouche, aujourd’hui on vous passe un savon si vous faites ça. Les gens se lavent trop et consomment trop d’antibiotiques à un âge trop précoce. Résultat : un système immunitaire mal réglé qui peut entraîner des entérites chroniques, y compris dans l’intestin.

La flore intestinale – l’ensemble de bactéries dans nos intestins – joue-t-elle un rôle dans le déclenchement d’entérites chroniques ?

Certainement. Toutes les universités flamandes se sont associées pour lancer une recherche sur la colite ulcéreuse. Nous nous basons sur le travail de l’équipe du bio-informaticien Jeroen Raes et son Projet de flore intestinale (Vlaams Darmflora Project) qui analyse les déjections de milliers de Flamands. Nous savons de nos expériences avec les transplantations fécales que le succès dépend très fort du donneur. Manifestement, il y a des superdonneurs en jeu. Nous avons pu en sortir un certain nombre du projet : les superdonneurs ont régulièrement collecté des échantillons de leurs selles, qui sont à présent conservés dans de grands congélateurs à la clinique. Dès janvier, nous allons soumettre cent patients atteints de colite à une transplantation fécale lors d’un examen aveugle. Certains se verront injecter un échantillon de superdonneur et d’autres – comme contrôle – un échantillon de leurs propres selles. Nous espérons ainsi isoler la meilleure flore intestinale pour une transplantation.

Avez-vous une idée de son aspect ?

Non. Pour chaque échantillon, nous allons compter soigneusement combien de bactéries de quels types ils contiennent. Nous allons également suivre les patients de près, de sorte que nous sachions ce qui se passera après la transplantation. Ainsi, nous allons essayer de trouver une sorte de moyenne : quelles bactéries sont nécessaires pour une transplantation réussie, et en quels nombres ? Le but ultime est de faire une sorte de cocktail de cet écosystème bactérien unique que nous puissions plus tard administrer sous la forme d’un simple comprimé, afin d’éviter une transplantation compliquée.

Êtes-vous en faveur des antibiotiques?

Pas de la façon dont on les utilise aujourd’hui. Les antibiotiques sont beaucoup trop utilisés. Ils sont particulièrement déconseillés aux jeunes, à moins qu’ils ne puissent faire autrement. Pour les adultes aussi, il faudrait les utiliser que pour les cas spécifiques. Mon message de base, c’est d’assurer une flore intestinale saine. L’utilisation chronique d’antibiotiques n’en fait pas partie.

Y a-t-il généralement une différence entre une bonne et une mauvaise flore intestinale?

Il y a des bactéries que nous pouvons certainement qualifier de bonnes, et il y en a d’autres qui sont certainement mauvaises. Cependant, leurs nombres et rapports entre eux sont plus importants. Certains types d’intestins peuvent présenter beaucoup de sortes de bonnes bactéries en nombre assez faibles, alors que d’autres types ont peut-être moins de sortes, mais des nombres plus élevés. La présence de mauvaises bactéries ne doivent pas être problématiques si leurs nombres sont faibles comparés aux bonnes.

Votre flore intestinale détermine-t-elle ce que vous mangez ou est-ce l’inverse: la nourriture détermine-t-elle la flore?

La flore intestinale est surtout déterminée par ce que vous mangez les premières années de votre vie. Après, elle est encore à modifier. On peut la changer temporairement en changeant radicalement d’alimentation, mais si vous arrêtez, elle revient à sa composition standard. C’est comme un trait de caractère : on peut arrondir les angles, mais il n’y a pas moyen de changer complètement.

Les médicaments ne sont-ils pas généralement une raison pour ne pas adapter son comportement ?

Vermeire: (soupire profondément) Effectivement. C’est une évolution dangereuse. La diminution de la poche gastrique est devenue une intervention relativement simple, de sorte que les personnes atteintes de surpoids préfèrent parfois se faire opérer que modifier leur mode de vie en bougeant plus et en mangeant plus sainement. Nous devons investir davantage dans notre santé, dès le plus jeune âge. Les parents doivent coopérer, et la communauté aussi. C’est bien que les automates de sodas soient interdits à l’école et ce serait bien si le matin, avant le début de cours, les enfants faisaient deux fois le tour de la cour d’école. Il faut rendre les gens plus responsables de leur santé. Mais le Belge préfère prendre un comprimé contre sa tension ou son cholestérol trop élevés plutôt que d’adapter son comportement, en disant « qu’il a tout de même droit à quelque chose dans sa vie ». Comme si ce n’était pas possible en vivant sainement.

On dit que les bactéries intestinales communiquent avec le cerveau pour adapter notre comportement à leur avantage. Est-ce vrai ?

Il y a certainement un axe de communication entre les intestins et le cerveau, mais les recherches sur les rôles des bactéries en sont encore à leurs balbutiements. Nous ne savons pratiquement rien. La prise de pilules fécales pour traiter une dépression ne sera pas pour demain, mais cela viendra un jour.

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