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Nos mauvaises habitudes ne sont pas une fatalité

Fumer au saut du lit malgré la désapprobation de vos enfants. Craquer pour une pâtisserie en passant devant la boulangerie du coin. Piquer une colère contre le motard qui vient d’érafler votre carrosserie. Accepter une promotion tout en sachant qu’elle vous mène sur une voie de garage… Vivre, c’est choisir à tout bout de champ entre plusieurs comportements. Si les vôtres ne correspondent pas à l’idée que vous vous faites de vous-même, changez-en!

Selon le professeur Jacques Van Rillaer, ancien psychanalyste reconverti dans la psychologie comportementale, le modèle incontournable de la gestion de soi n’est autre que « le plus habile des héros homériques », Ulysse. N’a-t-il pas réussi le tour de force de résister à la tentation tout en y cédant, grâce à trois stratégies que les comportementalistes recommandent, aujourd’hui encore, pour gérer les impulsions? « En bouchant les oreilles de ses marins avec de la cire, il a pratiqué le ‘contrôle du stimulus’, explique Jacques Van Rillaer. En se faisant attacher au mât, il a organisé ‘l’auto-empêchement d’une action’. Et, en ordonnant à ses compagnons de serrer plus fort les cordes s’il leur demandait de le délier, il a programmé une ‘procédure d’alerte’! Autrement dit, il a décidé de s’octroyer du plaisir, mais sans en subir les conséquences. À aucun moment il n’a perdu le contrôle! »

Ça coince!

La gestion de soi est donc une vieille histoire. Si vieille et rebattue qu’elle ne devrait plus nous tenir en échec. Et pourtant, comme le rappelle le célèbre psychiatre français Christophe André dans la préface qu’il a écrite au livre de Jacques Van Rillaer, se gérer reste plus facile à dire qu’à faire. « J’aime écrire, mais il y a des jours où c’est plus difficile que d’autres: j’ai un peu de mal à stabiliser mon attention, à trouver l’inspiration. Face à ces difficultés, je sens en moi les premières impulsions à me désengager de mon travail. Il y a quelques années, cela pouvait prendre la forme d’une petite sieste vite fait, d’une descente à la cuisine pour manger un fruit, ou d’un instant passé à bouquiner des revues ou des livres récemment achetés. Aujourd’hui, il y a les mêmes tentations, et de nouvelles encore: tentation, dès que mon travail coince, de regarder les mails arrivés entre-temps, ou les SMS, ou de répondre dès que mon téléphone sonne (au lieu de laisser sonner et de répondre en fin de journée), ou de surfer sur internet… Toutes ces interruptions ne sont pas si graves, sauf que, si je ne gère pas un peu l’affaire, je n’aurai pas écrit grand-chose d’ici ce soir! »

Un bonbon tout de suite!

Pourquoi est-il si difficile, quand on n’a pas la carrure d’Ulysse, d’adopter les bons comportements? « D’abord parce qu’ils dépendent de notre environnement, et que notre société d’abondance n’est pas le cadre rêvé pour s’exercer à la gestion de soi, remarque Jacques Van Rillaer. Comme le relève Christophe André, les stimuli tentateurs sont partout! »

Sans doute sommes-nous en principe capables de renoncer à une satisfaction immédiate pour des conséquences plus positives à long terme, comme dans la fameuse expérience de Walter Mischel à l’université de Stanford. « Un enfant est placé devant une table sur laquelle se trouvent des friandises. Un adulte lui explique qu’il peut les manger tout de suite, mais qu’il en recevra davantage s’il attend. L’enfant est alors laissé seul quelques minutes, le temps d’opter pour la gratification immédiate – un tiens vaut mieux que deux tu l’auras – ou la gratification différée. Le ‘bonbon tout de suite’ a été préféré par 81% des enfants de 7 ans, 48% des enfants de 8 ans et 20% des enfants de 9 ans. L’âge de 8 ans est donc une sorte de pivot, même si, parmi les enfants qui ont résisté, beaucoup ont été obligés de glisser leurs mains sous leurs cuisses pour les empêcher de s’emparer, comme à leur insu, des friandises offertes! »

Café piégé

Pour nous qui n’avons plus 8 ans, le choix devrait être facile. Pourtant, combien de fois ne nous est-il pas arrivé d’hypothéquer plusieurs semaines de régime en faisant une razzia dans le réfrigérateur, de nous accorder une ixième « dernière cigarette » alors que nous nous étions promis d’arrêter, ou de nous lancer dans une relation condamnée d’avance sans même savoir pourquoi. « La raison en est que nos comportements dépendent aussi de notre état affectif, remarque Jacques Van Rillaer. Un état d’autant plus fluctuant que nous n’arrêtons pas de tomber dans des pièges! »

Saviez-vous par exemple qu’un café de plus est parfois un café de trop? « Quand vous dépassez trois cafés par jour, votre système ortho-sympathique est suractivé et vous produisez trop d’adrénaline, hormone du stress. Résultat : vos émotions du moment sont exacerbées. Si quelqu’un vous irrite, votre colère est surdimensionnée, et, si vous êtes anxieux, vous pouvez faire une crise de panique… De même, si vous tombez amoureux au cours d’une soirée dans une discothèque, vous ne vous rendrez probablement pas compte que l’excitation, due à la musique, à la danse, à la chaleur et à la boisson a joué un rôle, peut-être essentiel, dans votre coup de foudre! »

Nous sommes également victimes de nos modes de pensée, « en particulier de la dichotomisation, qui nous pousse à tout interpréter en blanc et noir, en bon et mauvais. Après une prestation, par exemple, nous nous disons ‘J’ai été nul’ au lieu de ‘J’ai fait un six sur dix’. Ou nous pensons d’un collègue: ‘Il critique toutes mes propositions’, alors qu’il en critique à peine une sur trois… C’est une tournure d’esprit très fréquente, qui joue un rôle important dans le développement ou le maintien de nombreux troubles psychologiques! »

Par ailleurs, nous nous laissons obnubiler par des musts, dont le plus tyrannique est notre aspiration à être estimés et aimés de tous. « C’est évidemment impossible, mais c’est un poison, qui a tendance à biaiser nos comportements! » Et puis, il y a toutes ces idées parasites qui nous passent par la tête aux moments les plus inopportuns – « des idées comme n’avoir pas fermé la maison à clé; durant un enterrement, se rappeler une scène comique, etc. » Chez la plupart d’entre nous, elles disparaissent comme elles sont venues. Mais parfois, elles se transforment en obsessions.

Trop d’analyse… paralyse!

Heureusement, ça se soigne, et même ça se guérit. Mais ces quelques exemples montrent combien certains de nos comportements méritent d’être changés. « Faut-il pour autant en passer d’abord par une meilleure connaissance de soi, dans la droite ligne du ‘connais-toi toi-même’ de Socrate? Devons-nous absolument découvrir qui nous sommes, en profondeur et dans notre singularité? Personnellement, je pense que c’est un leurre: ce n’est pas parce que je me connaîtrai mieux que je me comporterai mieux! Pour aller de l’avant, il me suffit d’observer mes comportements, de déterminer quelles réactions j’ai tendance à adopter dans telle ou telle situation et, sur cette base, d’envisager de changer ce qu’il est possible de changer et qui en vaut la peine… » Car changer des comportements bien ancrés – comme des addictions, des compulsions, des phobies – ou simplement des habitudes gênantes – s’irriter facilement, ruminer des griefs, traîner sur Facebook au lieu de travailler ou d’étudier – c’est possible, à condition de le vouloir vraiment, d’être prêt à faire des efforts soutenus et répétés pour atteindre le but qu’on s’est fixé, de maintenir une distance critique par rapport à soi-même, et surtout de cesser de se chercher des excuses. « Quand elles font un faux pas, au moins 8 personnes sur 10 invoquent la responsabilité de leurs parents pour se disculper! C’est une façon de se cantonner dans le passé. Or, la vie, elle est devant, pas derrière, ni à l’intérieur de nous. Trop d’analyse paralyse: à l’introspection, il faut substituer l’action. Sans avoir peur de se tromper, car la chute et même la rechute sont inévitables et utiles: elles s’inscrivent dans un processus d’apprentissage qui mène, par étapes, aux changements désirés. Alors, arrêtons de perdre du temps: le changement, c’est maintenant ! »

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