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Les impulsifs sont plus sujets aux dépendances

Le Vif

Les personnes impulsives courent plus de risque de tomber dans l’alcoolisme et ont plus de mal à surmonter leur assuétude. Cette découverte peut-elle être utile à la prévention et au traitement ?

Presque tous, nous buvons de l’alcool à l’une ou l’autre occasion, et nous sommes même nombreux à savoir d’expérience ce que sont les conséquences d’une soirée trop arrosée. Une des raisons pour lesquelles nous trouvons agréable de boire de l’alcool est qu’il élimine nos inhibitions et nous incite à nous comporter de manière plus décontractée. Ce qui explique que lors de réceptions où l’on circule avec un verre de mousseux à la main, nous trouvons nos mots plus facilement que d’habitude !

Tant que vous ne prenez pas le volant par la suite, il n’y a là rien de répréhensible. Ce qui ne veut pas dire que l’alcool est absolument inoffensif : une étude de l’Organisation mondiale de la Santé a révélé il y a une dizaine d’années qu’environ 7 % des Belges boivent trop ou sont même carrément alcooliques. « Et lorsque la boisson a mis le grappin sur des personnes plus fragiles, souligne le psychiatre Geert Dom, professeur en psychiatrie à l’Université d’Anvers (UA) et soutien de nombreux alcooliques, il peut devenir difficile de s’en libérer. Près de la moitié des patients en thérapie comportementale pour alcoolisme rechute un jour ou l’autre. Même les médicaments qui réduisent le besoin d’alcool ne marchent pas toujours. Comment cela se fait-il ? Quelle leçon pouvons-nous en tirer ? »

Force prédictive Pourquoi certains buveurs deviennent-ils alcooliques et d’autres non ? Et comment prédire que l’un s’en sortira et l’autre pas ? Le psychiatre a sa petite idée : « De nombreux facteurs interviennent, évidemment. Mais ces dix dernières années, j’ai acquis la conviction qu’un comportement impulsif n’est pas seulement la conséquence d’une consommation abusive d’alcool, mais que les personnes plus impulsives par nature sont aussi plus prédisposées aux assuétudes et s’en débarrassent plus difficilement. »

Fidèles à la tradition, les experts en matière de dépendance ont surtout étudié les centres de récompense dans le cerveau qui, lorsque nous consommons une boisson alcoolisée ou une drogue, nous donnent la sensation trompeuse que nous faisons quelque chose de bien. « Nous pouvons situer cela assez bien, dans ce que l’on appelle le striatum, un carrefour où se rassemblent les informations de nombreuses autres régions cérébrales. Le premier contact avec des produits créant une accoutumance libère à cet endroit une forte dose de dopamine, qui génère une sensation tellement agréable que nous avons envie de la renouveler. »

Bon nombre de drogués et d’alcooliques, mais aussi de personnes à la recherche de sensations fortes, sont ce que nous appelons des hypodopaminergiques : « Ils fabriquent moins de dopamine ou y sont moins sensibles et ont donc besoin d’une stimulation plus forte pour obtenir le même plaisir que des personnes qui se contentent de feuilleter leur collection de timbres. » Mais comment se fait-il que nous devenions ensuite dépendants de cette sensation ?

« La dopamine sert à nous apprendre comment nous pouvons atteindre cette sensation d’assouvissement, explique Geert Dom. Au départ, nous buvons simplement parce que nous trouvons cela agréable, ne serait-ce que pour oublier temporairement nos soucis. Mais après un certain temps, le cerveau des dépendants s’habitue si bien à l’idée que boire de l’alcool est une bonne idée que la sensation agréable n’a même plus d’importance. » C’est d’ailleurs une question que Geert Dom pose souvent à ses patients : trouvent-ils encore du plaisir à boire de l’alcool ? « Et souvent, les vrais dépendants me disent : ‘Je rechute, je consomme et je me sens bien pendant cinq minutes, mais je suis pris ensuite d’une sorte de besoin compulsif et le plaisir disparait’. »

Maîtrise de soi Avec les progrès de l’imagerie cérébrale, tout s’éclaire. « Au premier contact avec des produits stimulants, c’est surtout la partie inférieure du striatum qui s’active. Mais au fur et à mesure que l’accoutumance s’installe, nous voyons que cette activité s’étend toujours davantage vers le haut, en direction de la zone responsable de la formation des habitudes qui contiennent la promesse de récompense. C’est ainsi que la boisson devient progressivement une routine contraignante. » Toutes les personnes qui boivent un verre ou expérimentent une drogue ne deviennent pas nécessairement dépendantes. Et c’est là, selon Geert Dom, que l’impulsivité joue un rôle déterminant : « Les impulsifs exercent moins de contrôle sur le besoin d’agir qui leur est insufflé par les centres émotionnels et de récompense dans le cerveau. Ils courent de ce fait un risque plus élevé de devenir le jouet de leurs désirs et de développer une dépendance. »

Le siège principal de la maîtrise de soi se trouve dans ce qu’on appelle le cortex préfrontal. « Chez les gens qui se contrôlent bien, nous constatons que cette zone est plus active. Et ils ont moins tendance à se perdre dans la boisson ou la drogue. Un deuxième mécanisme entre en ligne de compte, à savoir que le cortex préfrontal nous aider à rectifier notre comportement s’il n’a plus l’effet souhaité. Si notre consommation d’alcool n’est source que de problèmes, cette région devrait endiguer notre envie de boire. Ce qui s’avère difficile chez les personnes impulsives. »

Entraîner le contrôle de soi Ce qui ne doit pas nous conduire au fatalisme pour autant, car il n’est probablement pas impossible d’entraîner ce contrôle de soi. « Nous menons actuellement les premières études d’intervention auprès d’enfants tellement impulsifs qu’ils en sont gênés eux-mêmes : nous essayons de leur apprendre à maîtriser leurs impulsions. Les premiers résultats sont prometteurs : au fur et à mesure que le contrôle de l’impulsivité s’améliore, le risque de dépendance baisse. Cela se fait simplement via la thérapie comportementale, sans médicaments. Mais même chez les jeunes hyperactifs qui suivent un traitement médicamenteux correct, nous voyons que le risque de dépendance à un stade ultérieur diminue. »

Un autre doctorat récent (Leen Joos, UA) montre que certains toxicomanes peuvent être aidés par un médicament prescrit dans les cas de narcolepsie, une affection caractérisée par de brusques crises d’assoupissement. « Pourtant, nos tests montrent que les patients ne deviennent pas moins impulsifs mais qu’ils se sentent moins impulsifs, probablement parce qu’ils deviennent plus attentifs à leurs impulsions et qu’ils peuvent donc mieux intervenir avant que les choses ne dégénèrent. Toutes les personnes soumises au test ont suivi une thérapie comportementale qui mettait l’accent sur le contrôle de soi et prenaient ce médicament. La combinaison des deux diminuait clairement le risque de rechute – quoique pas pour tout le monde. »

Ce médicament, qui contient de l’amphétamine, augmente probablement la production de dopamine, entre autres, dans le cortex préfrontal. « Cela a un effet positif chez les patients qui, en raison d’un manque de semblables substances ‘signal’, ont du mal à réprimer leurs impulsions. Si les patients impulsifs ont pu mieux maîtriser leur consommation d’alcool grâce au médicament, les personnes dépendantes moins impulsives sous traitement ont subi une overdose de dopamine, ce qui n’a fait qu’empirer la situation. D’autres recherches s’imposent donc avant que l’on puisse prescrire ce médicament. »

Ces nouvelles découvertes renforcent le plaidoyer selon lequel la dépendance doit être considérée comme une maladie nécessitant une approche scientifique et thérapeutique comme d’autres affections courantes. « La dépendance est et reste une problématique très stigmatisée, au point que l’assurance-hospitalisation refuse encore souvent de rembourser le traitement, ce qui ne fait qu’enfoncer des personnes déjà très vulnérables dans les problèmes. C’est totalement inacceptable. »

Par Tim Vernimmen

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