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Les écrans sont-ils nocifs pour les enfants ?

Le Vif

La question de l’impact des écrans sur les jeunes est très souvent débattue, et les arguments de ceux qui pensent qu’ils sont néfastes sont aussi convaincants que les explications de ceux qui pensent qu’ils sont inoffensifs. L’Académie des Sciences en France s’est positionnée, entre les deux…

Face à nos jeunes rivés en permanence sur leurs écrans, il est logique de se demander si ceux-ci peuvent avoir une influence sur leur cerveau. Comme on le sait, les différentes zones de notre cerveau se développent à des moments différents de la vie, parfois en même temps, l’évolution de l’une pouvant même entrer en compétition avec celle d’une autre. « Globalement, le système sensorimoteur est le premier à arriver à maturation alors que le cortex préfrontal impliqué dans l’autorégulation, le contrôle cognitif et la capacité de synthèse est le dernier à être mature. Entre les deux, il y a le développement des cortex temporal (pour la catégorisation et le langage) et pariétal (impliqué dans les processus de construction des nombres, de l’espace…) », explique Olivier Houdé, du laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant, de l’Université Paris Descartes-Sorbonne.

Tablettes : tout bon pour bébé ? Lors du développement cérébral, 4 grands piliers vont constituer l’architecture cognitive : la permanence des objets humains ou physiques, le dénombrement (à l’origine des apprentissages scolaires), la catégorisation (le traitement qualitatif des objets) et l’accès au raisonnement, à savoir la logique qui porte sur des idées, des concepts, des hypothèses, des propositions logiques…

« Lorsque l’on se pose la question de savoir si les écrans ont un impact sur le cerveau, on se demande en réalité en quoi ils peuvent renouveler ou moduler ces 4 aspects. Prenons l’exemple des tablettes tactiles qui ont été développées pour des adolescents et des adultes : elles peuvent déjà entrer en résonance avec les régions les plus matures du cerveau des enfants de moins de 2 ans, comme la sensorialité et la motricité. Comme les bébés adorent toucher du doigt ce qu’ils voient, les tablettes tactiles répondent à cette forme spontanée d’intelligence. C’est pourquoi je pense que la tablette, avec le concours d’un adulte ou d’un enfant plus âgé, peut participer au développement cognitif du bébé. Par exemple pour le mener à la catégorisation des formes, des couleurs, des sons, des effets intéressants des mouvements de ses doigts, etc. », poursuit Olivier Houdé.

Plus rapides

Chez les enfants plus grands se mettent en place d’autres aptitudes, comme l’intelligence symbolique : les écrans peuvent y contribuer, à condition de ne pas en être les supports exclusifs. Mais c’est aussi l’âge où se pose la question des jeux vidéo. « De l’enfant de maternelle à l’ado, il faut être assez clair : la pratique de certains jeux vidéo améliore les capacités d’attention visuelle (identification de cibles, flexibilité, attention simultanée à plusieurs stimuli, prise de décision rapide…) De ce point de vue, l’usage des écrans, qu’il s’agisse de jeux ou d’explorations sur internet, améliore l’intelligence rapide et ‘fluide’ du cerveau. Chez les adolescents, c’est flagrant. Et cet impact positif sur leur cerveau correspond à l’exercice d’une pensée rapide et fluide assortie, qui offre une facilité d’explorer virtuellement beaucoup de possibilités (internet, moteurs de recherche, réseaux sociaux, jeux). »

Alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Laissons nos bébés jouer avec nos tablettes, les enfants jouer à des jeux vidéo et les ados… faire de toute façon ce qu’ils veulent ! « Certainement pas. Il faut une pédagogie différenciée selon les âges, du bébé à l’ado. Il faut une éducation à l’autorégulation de l’enfant face aux écrans, et cela dès le plus jeune âge, avec un accompagnement humain », enchaîne Olivier Houdé.

De déductions en réflexes… Il ne considère pas non plus que les écrans sont à privilégier, car leur bénéfices cognitifs ont aussi leur lot de désavantages : « Cette pensée hypothético-déductive très libre et très intense pourrait alors devenir trop rapide, superficielle et exclusivement fluide, avec un manque de profondeur, de synthèse personnelle, de recul. C’est ce que l’on appelle la ‘culture du zapping’. Alors que c’est à l’adolescence qu’arrive à maturation le système cérébral qui permet ce recul, cette synthèse et ce tri des infos. » D’autant que l’intelligence plus lente, profonde, réflexive et le traitement des informations est précisément ce qui leur est demandé en classe…. Olivier Houdé pointe le risque que l’éducation actuelle ne soit plus en phase avec les attentes de ces jeunes, qui sont dans l’immédiateté et l’action, générant l’ennui, le désintérêt pour tout ce qui ne se rapporte pas à cette culture numérique… Idem pour ces jeunes formés au jeu, donc à la récompense immédiate… qu’ils ne retrouvent pas dans les classes.

L’école doit-elle dès lors se munir de plus d’écrans pour « capter » l’attention des élèves ? La réflexion devrait être menée rapidement, indépendamment des lobbies qui poussent à dépenser de grosses sommes pour que l’école « entre dans le numérique ». Sachant que les jeunes passent déjà en moyenne 5 heures par jour devant des écrans, est-ce bien nécessaire ?

Apprentissage et mémoire

Serge Tisseron, psychiatre à l’Université Paris-Ouest Nanterre, souligne l’impact des écrans sur l’apprentissage : « Dans la culture numérique, on retrouve une pensée spécialisée, qui utilise la mémoire de travail, donc immédiate, de manière ponctuelle et provisoire, avec le risque de dispersion et de pensée ‘zapping’. Les apprentissages se basent sur les changements rapides de stratégie et de raisonnement, en particulier dans les jeux vidéo où l’inhibition des apprentissages antérieurs est importante. Cela a du bon car le jeune est capable de faire face à l’imprévisible, mais les acquis ne sont nécessaires qu’à court terme. L’enfant apprend par essais et erreurs ; et comme l’intelligence intuitive est privilégiée, l’enfant peut réussir sans comprendre… Sur le plan psychologique, la personnalité est immergée dans chaque situation nouvelle, sans recul cognitif à sa propre vie (on est connectés en permanence), ni temporel : bref, on n’a plus conscience de soi. Et sur le plan social, cette culture privilégie les contacts virtuels et permet à certains de fuir la réalité. Côté positif, ajoutons que l’interactivité et l’innovation sont favorisées. »

Il l’oppose donc à la culture du livre, davantage centrée sur la temporalité et la mémoire : « Elle favorise une pensée linéaire (les idées, les faits se succèdent et il faut se souvenir des précédents pour comprendre la suite). L’apprentissage se fait par la répétition et l’automatisation des stratégies, ce qui peut aussi avoir un côté négatif : le savoir risque d’être réduit au par-coeur, inhibant la créativité, et donnant des personnalités rigides. Et si elle favorise la solidité des liens sociaux, elle peut aussi limiter l’empathie aux relations les plus proches… »

Et la mémoire ? Face à une masse d’informations disponibles à tout moment, la mémoire en est-elle altérée ? « Des études ont démontré que l’usage d’internet appauvrit la mémoire dans certains cas : les jeunes, comme les adultes d’ailleurs, retiennent plus les accès (les liens sur les moteurs de recherche) que les contenus et leur synthèse. Comme lorsque – avant internet – nous avions nos bibliothèques : nous savions dans quel bouquin pouvait se trouver l’information, mais nous ne connaissions pas tout son contenu. Avec internet, ce phénomène est effectivement amplifié. De plus, on peut imaginer que la mémoire à long terme est altérée avec l’accès immédiat aux informations : elles sont moins ancrées. Mais de là à penser qu’il y a un changement dans notre structure cérébrale, c’est probablement exagéré », poursuit Olivier Houdé.

Voilà pourquoi ce n’est par rendre service à nos enfants que de les laisser s’occuper exclusivement sur les écrans, même s’il s’agit d’un jeu intéressant. Il est aussi utile de les pousser vers d’autres activités intellectuelles et créatives : lecture, écriture, mais aussi musique, dessin… « Il faut donc apprendre aujourd’hui aux enfants les deux formes d’intelligence combinées : numériques (plus rapide et fluide) et littéraire (linéaire, profonde). S’ils peuvent jongler avec les deux, les jeunes feront des merveilles ! », conclut Olivier Houdé.

Par Carine Maillard

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