Joan De Winne © Dieter Telemans

« Les burn-outs sont dus surtout au patron »

Le Vif

Deux employés sur trois sont trop stressés. Près d’un travailleur sur dix est épuisé. Joan De Winne, ancien directeur du Disaster Victim Identification (DVI) de la police fédérale et aujourd’hui coach en leadership, sait pourquoi. « C’est notre façon de diriger qui pousse les gens au burn-out. »

Il était « l’enquêteur à la casquette », le flic qui s’est fait connaître du grand public lors des exhumations dans l’affaire Dutroux. La plus grande partie de sa carrière de police, Joan De Winne était à la tête du DVI, l’équipe d’identification des victimes de la police qu’il a cofondée après le drame du Heysel en 1985 et déployée plus tard pour la catastrophe du Herald of Free Enterprise et l’accident de train de Pécrot.

Il vient de publier un livre intitulé « Ze maken ons kapot meneer! » (Ils nous brisent, monsieur!) écrit le livre en collaboration avec la thérapeute Rebekka Rogiest, qui accompagne des travailleurs atteints de burn-out, et le journaliste Geert Degrande qui connaît beaucoup d’entreprises de l’intérieur.

À qui ou à quoi se réfère le titre de votre livre?

JOAN DE WINNE: Aux maladies du 21e siècle, le stress négatif, le burn-out, le burn-in, le bore-out, le présentéisme, mais tout aussi bien aux cadres qui sont également responsables de ces maladies. Les employés atteints d’un burn-out peuvent suivre des cours et des formations pour renforcer leur résistance et leur résilience. C’est bien, mais on ne focalise que sur l’employé qui culpabilise parce qu’il n’est pas assez solide : « J’ai un burn-out, mon collègue pas, donc c’est de ma faute. » Le cadre, qui traite les gens parfois de façon désobligeante et inadaptée, reste hors d’atteinte. Attention, je ne dis pas que c’est uniquement la faute des patrons.

Vous utilisez plein de termes: présentéisme, burn-in, burn-out, bore-out. Quelle est la différence ?

Le présentéisme, c’est le sentiment que vous devez être présent au travail. Pas forcément parce que vous vous y plaisez, mais parce que vous avez peur de perdre votre boulot. Le bore-out se manifeste quand on n’est pas assez mis au défi et qu’on se demande en permanence comment on va passer la journée. Et les gens atteints de burn-out veulent tellement se prouver qu’ils sont épuisés émotionnellement et physiquement. On peut résumer le burn-out comme une forme d’épuisement due à une situation de travail.

Et aujourd’hui, ces formes de stress s’aggravent?

Une enquête du fournisseur de services RH SD Worx révèle qu’en 2015 plus de 28% des employés interrogés souffraient d’une forme de stress inacceptable. L’année dernière, le rapport d’absentéisme de Securex indiquait que 2 employés sur 3 souffrent de stress travail et sont proches du burn-out. Près de 1 sur 10 s’enfoncent dans un véritable burn-out. À la KULeuven, il y a un consensus parmi les spécialistes que 4% de tous les employés traversent par un burn-out clinique, et que sur 10 employés, 1 à 2 courent un risque élevé d’en contracter un. Toutes ces absences ont un coût. D’après le rapport de Securex, en 2013 l’absentéisme a coûté 10,6 milliards aux employeurs belges. 3 millions vont aux salaires garantis de collaborateurs malades, le reste en réorganisations et en remplacements temporaires. L’année dernière, pour la première fois, nous avons payé davantage pour les employés en incapacité de travail que pour les chômeurs. La raison de cette hausse, c’est l’armée de malades de longue durée : 335 000 personnes, parmi lesquels de plus en plus de jeunes sont malades depuis un an. C’est 8% de la population active. C’est hallucinant.

Pourtant, ces chiffres ne semblent pas convaincre. Pourquoi pas ? Craignons-nous une approche plus sévère?

Nous devons réaliser que les cadres sont également responsables de ces chiffres. Cela n’a jamais été dit. Le rapport d’absentéisme de Securex mentionne prudemment que les patrons d’entreprises et les cadres sont « indirectement » coresponsables des burn-outs. Ce n’est pas vrai, c’est direct ! Notre façon de diriger pousse les gens aux burn-out. Fin février, juste avant l’impression de notre livre, une étude de Lode Godderis, professeur en médecine de travail à la KuLeuven, démontrait clairement qu’un burn-out n’a rien à voir avec l’âge, le sexe ou le secteur dans lequel on travaille. Non, c’est dû surtout aux patrons. Godderis a constaté scientifiquement ce que nous ressentions depuis longtemps – heureusement nous avons pu communiquer ses résultats dans notre livre. Soyons clairs, il ne s’agit pas de faute, mais de coresponsabilité. Je crois vraiment que les patrons font de leur mieux : 95% d’entre eux rêvent d’une équipe où chacun est motivé, animée par une bonne ambiance. Les 5 pour cent restants pensent surtout qu’il faut davantage de respect. Mais il faut mériter le respect.

Les cadres sont coresponsables de l’absentéisme. Pourquoi n’interviennent-ils pas ?

Il faut oser se regarder dans le miroir. Il y a aussi la peur de ne pas être trouvé assez bon. C’est un mythe qu’un cadre doit être le plus intelligent. Si vous ne savez pas quelque chose, cherchez quelqu’un qui puisse vous aider. C’est au patron d’être le plus intelligent. Cela signifie qu’en cas de soupçon auprès de vos employés, il faut prendre l’initiative. Il faut faire le premier pas. Les gens ne viendront pas vous dire que leur travail leur pèse. Ils ne veulent pas perdre la face. Les cadres pensent aussi qu’ils doivent motiver leur personnel. C’est inutile ! L’histoire de la carotte et du bâton ne fonctionne pas ! Au contraire, les primes supplémentaires et les sanctions sont même néfastes.

Vous estimez qu’il faut donner davantage d’autonomie aux employés. Mais cela ne garantit pas qu’ils obtiendront de meilleurs résultats ? Il y aura toujours des employés qui en font le moins possible.

Il faut stimuler la motivation autonome, intrinsèque des gens. Partout dans le monde, les gens ont la même motivation : ils souhaitent que leur travail ait un sens et qu’ils aient leur mot à dire, ils souhaitent améliorer leurs compétences, ils veulent savoir où ils vont et obtenir des résultats. Le travail n’est pas un club de cartes. Si un cadre s’en rend compte et agit dans ce sens, il peut aller loin.

Sue Somers

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