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Le défi des familles recomposées : « L’amour seul ne suffit pas »

Le Vif

Recomposer une famille n’est pas une sinécure, en particulier lorsque des enfants doivent aussi trouver leur place. Selon des chiffres français et américains, deux tiers des remariages échouent lorsqu’il y a des enfants.

Les conflits entre beaux-enfants et beaux-parents sont monnaie courante. « L’amour seul ne suffit pas », insiste le Dr Christophe Fauré, psychiatre et psychothérapeute français qui vient de publier un ouvrage sur la question. « Relever le défi de la famille recomposée ne s’improvise pas, précise-t-il. Il faut donc se préparer. Mais pourquoi est-ce nécessaire ? Parce que vous n’avez pas besoin des enfants de votre compagnon et ils n’ont pas besoin de vous ! Or, le fait est que vous devez maintenant vivre ensemble, que ce soit par intermittence ou à temps plein, tout en partageant une certaine intimité. »

Relativiser

D’emblée, Christophe Fauré conseille de dépersonnaliser les conflits : ce n’est pas contre la personne ou la personnalité même du beau-parent que l’enfant en a, mais contre le fait… qu’il est un beau-parent, tout simplement !

Et il faut aussi s’attendre à ce que l’enfant n’ait pas un impact sur la vie quotidienne du couple uniquement lorsqu’il est présent, mais aussi à travers les réunions avec l’école hors des jours de garde, les discussions sur l’approche à adopter en cas de souci, les dépenses relatives aux enfants, etc.

Troisième conseil : le beau-parent doit insister sur le fait qu’il ne cherche pas à remplacer l’autre parent ou le faire oublier, en particulier si ce dernier est décédé.

Un autre écueil à éviter est de chercher à tout prix à se faire aimer de ses beaux-enfants, une attitude plus fréquente chez les belles-mères : « Ce n’est pas une bonne stratégie : d’une part cette attitude crée un sentiment d’injustice chez ses propres enfants ; d’autre part, les beaux-enfants en arrivent à penser qu’ils ont un pouvoir sur cette femme qui ne réagit pas et ne s’oppose pas à leurs débordements. » Être prête à tout accepter pour faire le bonheur de cette famille n’est donc pas une bonne idée : « C’est la porte ouverte à la perte d’estime de soi. » Et au risque de développer de la culpabilité si cela ne fonctionne pas, qui engendrera de la frustration et mettra en péril le couple…

Pas obligé

Lorsqu’un père rencontre une autre femme, il a souvent tendance à croire qu’elle sera d’office maternelle pour ses enfants : lessive, ménage dans leur chambre, petits plats pour ce qui est de l’intendance, mais aussi soigner leurs bobos, les emmener pour des loisirs, écouter leurs petits chagrins… Une attente qui ne doit pas s’imposer sans en discuter en toute franchise ! Car la belle-mère a le droit de ne pas se sentir investie de ce rôle…

Christophe Fauré va plus loin : elle n’est pas obligée d’aimer ses beaux-enfants ! « On ne force pas l’amour. S’il est là, c’est formidable, mais si ce n’est pas le cas, ce n’est pas la fin du monde. De plus, on aime rarement ses beaux-enfants dès les premiers instants. » Ce qui n’implique pas que l’on ne s’en occupe pas, ni que l’on n’ait pas une bonne relation. Le père doit dès lors être conscient qu’il lui revient de créer le lien entre sa compagne et ses enfants, notamment en les préparant à l’avance à la rencontre, histoire de partir sur de bonnes bases.

La question de l’autorité

L’un des problèmes essentiels est celui de l’autorité. Qui doit l’exercer ? Les conjoints peuvent avoir des opinions divergentes. « Si les positions des uns et des autres ne sont pas claires, les sources de conflits seront pléthore », met en garde le Dr Fauré. Il conseille donc de tout d’abord établir un rapport de confiance avec l’enfant : « On n’impose pas son autorité de but en blanc. Il est essentiel de comprendre que l’autorité dont on souhaite jouir – dans la famille ou ailleurs – est toujours accordée par la personne sur laquelle on veut l’exercer : c’est seulement ainsi qu’elle deviendra légitime à ses yeux. » Les premiers moments sont capitaux : le beau-parent doit alors se montrer ouvert, respectueux et motivé à établir une bonne relation.

Deuxième étape : bien déterminer les rôles de chacun. On peut imaginer qu’en attendant que le lien se tisse, le beau-parent se limite aux aspects positifs de l’autorité, laissant au parent ses aspects plus contraignants. « Cette position a plusieurs avantages : d’une part elle donne au couple le temps de s’accorder sur des principes d’éducation, en évitant que l’un fixe des règles que l’autre pourrait contredire, par manque de concertation ; d’autre part les enfants n’entrent pas d’emblée dans l’opposition. Une fois le lien établi, l’équilibre des pouvoirs change et les enfants peuvent commencer à accepter que le beau-parent exerce sur eux une certaine discipline. »

En cas de conflit

 » Les conflits qui éclatent entre le beau-parent et ses beaux-enfants, ou bien avec son partenaire au sujet des enfants, sont liés à des divergences de vues (telle belle-mère ne conçoit pas que son beau-fils ne range pas sa chambre, alors que le père considère que c’est son territoire et qu’il faut le respecter, quel que soit son état), à des luttes de pouvoir et d’autorité (tel beau-fils refuse l’autorité de son beau-père) ou à la revendication d’un état émotionnel que les autres ne reconnaissent pas (telle belle-mère explose un soir parce qu’elle a l’impression que ses beaux-fils et leur père la considèrent comme la bonne à tout faire). »

En cas de conflit entre beau-parent et beaux-enfants, Christophe Fauré conseille de ne pas faire preuve de trop de rigidité envers les enfants, comme vouloir qu’ils s’exécutent dans la minute quand on leur demande quelque chose. Mais il faut rester constant dans ses demandes.

A contrario, il ne faut pas non plus se montrer trop laxiste non plus, pour avoir la paix. L’enfant prend alors le pouvoir, et s’il en abuse, il peut mettre en péril l’équilibre de la famille.

Le beau-parent doit aussi éviter de faire appel à l’arbitrage du parent : non seulement il montre son manque d’autorité et son impuissance, mais l’enfant risque de lui en vouloir de monter son parent contre lui.

Il ne doit pas manquer de respect à l’enfant pendant les conflits.

Enfin, il ne faut pas hésiter à discuter des conflits entre beau-parent et enfant, en prenant des distances, pour éviter les débordements émotionnels ; le parent peut assister à la discussion pour montrer sa solidarité envers son partenaire.

Les conflits peuvent aussi opposer les adultes, à propos des enfants. Ceux-ci, sentant la tension entre eux, peuvent d’ailleurs en tirer parti. C’est pourquoi il faut au sein du couple éviter que les problèmes ne s’accumulent et dialoguer, s’écouter mutuellement, évoquer chacun ses propres valeurs, sa vision des choses, identifier les désaccords et harmoniser les points de vue par rapport à l’enfant.

Quand rien ne marche

Mais parfois, il arrive que toutes les initiatives échouent et que l’entente ne soit pas possible. Le Dr Fauré conseille alors d’envisager de se désengager ; dans certains domaines de la vie quotidienne de l’enfant seulement, ou globalement : arrêter de ranger et nettoyer sa chambre, de le conduire à l’école, de l’aider pour ses devoirs ou de lui donner de l’argent de poche, etc. Non pas pour punir, mais pour se protéger de son hostilité. Il est alors important de le stipuler clairement à la famille et, après une certaine période qui doit être mise à profit pour se ressourcer, évaluer l’impact de cette décision sur la famille et sur soi. Et en fonction de cela, décider de reprendre un rôle, sinon de continuer à vivre « désengagé », voire de remettre en question la relation dans une thérapie individuelle, de couple ou familiale.

Par Carine Maillard

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