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Le cancer de la tête et du cou, ce cancer méconnu

Le Vif

Parce que ses symptômes sont relativement banals, le diagnostic du cancer de la tête et du cou n’est souvent posé qu’assez tardivement, ce qui réduit sensiblement les chances de guérison. Les tumeurs de la gorge semblent tout particulièrement gagner du terrain à l’heure actuelle… Voici les signes qui devraient inquiéter.

« À l’heure actuelle, la moitié seulement des personnes atteintes d’un cancer de la tête et du cou peuvent être guéries parce que la majorité d’entre elles se trouvent déjà à un stade avancé de la maladie au moment du diagnostic. Lorsque l’on songe que les chances de guérison atteignent en moyenne 90 % à un stade précoce, c’est vraiment particulièrement dommage !, commente le professeur Vincent Vander Poorten, spécialiste en chirurgie ORL, face et cou à l’UZ Leuven. Ce type de tumeur reste encore largement méconnu et nombre de patients ne consultent donc pas leur médecin lorsqu’ils en présentent les symptômes. »

Notion-parapluie

Le terme de cancer de la tête et du cou désigne tout un éventail de tumeurs des voies aérodigestives supérieures qui touchent principalement des personnes de plus de 50 ans. Le groupe largement majoritaire (environ 90 % des diagnostics) se compose de tumeurs qui se développent dans les muqueuses de la bouche, de la gorge, du larynx et des cordes vocales ou de l’hypopharynx (l’entrée de l’oesophage) ; les 10 % restants touchent les fosses nasales, les sinus ou les glandes salivaires. Les tumeurs de la thyroïde, du cerveau ou de l’oeil ne relèvent pas de cette catégorie. Ces tumeurs sont relativement peu fréquentes lorsqu’on les considère de manière isolée. Toutes ensemble, elles se classent toutefois en 4e position du classement des cancers les plus fréquents chez les patients masculins – alors qu’elles ne font même pas partie du top 10 chez la femme. En chiffres absolus, la Fondation Registre du Cancer a enregistré en 2012 (derniers chiffres disponibles) 2624 nouveaux diagnostics dans notre pays – 1937 chez des hommes et 687 chez des femmes. Les cancers de la gorge sont les plus fréquents avec 699 nouveaux diagnostics, soit environ 40 % de plus qu’en 2004.

Consultez un médecin si l’un des symptômes suivants persiste pendant plus de 3 semaines :

– Une douleur/sensibilité au niveau de la langue, un aphte qui ne se décide pas à guérir et/ou une atteinte rouge ou blanche de la muqueuse.

– Des maux de gorge.

– Un enrouement.

– Une douleur ou une gêne lors de la déglutition.

– Un gonflement au niveau de la gorge.

– Une narine bouchée et/ou qui saigne.

Innocent… en apparence

Les symptômes du cancer de la tête et du cou ressemblent beaucoup à ceux d’infections bactériennes ou virales assez anodines de la bouche, de la gorge ou du nez (voir cadre). Cette banalité a pour conséquence que nous n’y prêtons souvent guère attention. « Si l’un de ces symptômes persiste pendant plus de trois semaines, pensez toutefois à consulter un médecin pour être sûr(e) qu’il ne trahit pas la présence d’un cancer des voies aérodigestives », recommande le Pr Vander Poorten.

Le délai qui s’écoule avant le diagnostic d’un cancer de la tête ou du cou dépend souvent de la localisation précise de la tumeur. « C’est en effet celle-ci qui détermine la nature des symptômes… et il est un fait que certains signes poussent plus rapidement le patient à consulter un médecin. Par exemple, si une tumeur du larynx affecte les cordes vocales, elle va interférer avec leurs vibrations et provoquer un enrouement persistant, dont la majorité des patients voudront se débarrasser. Si au contraire elle se situe quelques millimètres plus haut, sur les ‘fausses cordes vocales’ qui n’ont aucune influence sur la voix, elle provoquera tout au plus une douleur ou une légère gêne lors de la déglutition – des symptômes finalement peu dérangeants pour lesquels de nombreuses personnes ne consulteront pas tout de suite. Dans l’intervalle, la tumeur risque d’avoir l’occasion de grandir et de générer rapidement des métastases, car cette région du larynx est le siège d’un important drainage lymphatique. »

Lorsque l’on suspecte un cancer de la tête et du cou, les muqueuses de la zone concernée sont examinées à l’aide d’un miroir ou d’un endoscope, éventuellement sous anesthésie. En cas d’anomalie, le médecin prélève un petit échantillon de tissus (biopsie) qui sera analysé au laboratoire pour rechercher la présence de cellules cancéreuses. Une fois posé un diagnostic de tumeur de la tête et du cou, le patient sera soumis à des examens d’imagerie visant à déterminer quel est le traitement le plus indiqué. Suivant le stade de la maladie, la localisation précise de la tumeur et les éventuelles métastases, celui-ci reposera sur une chirurgie, une radiothérapie et/ou une chimiothérapie.

Tabac et alcool

Les principaux facteurs de risque des cancers de la tête et du cou restent le tabac et l’alcool (plus de 2 unités par jour pour les femmes, plus de 3 unités par jour pour les hommes). Combinées, ces mauvaises habitudes renforcent en outre leurs effets respectifs de façon exponentielle – leur impact cumulé est donc supérieur à la somme de leurs influences individuelles. « Un non-fumeur qui consomme chaque semaine 30 unités d’alcool ou davantage présente un risque multiplié par 6 d’être victime d’un cancer de l’oropharynx, un type bien précis de tumeur de la gorge. Chez les personnes qui ne boivent pas mais qui affichent une consommation de 40 paquets-années (= nombre de paquets quotidien x nombre d’années de tabagisme), ce risque est multiplié par 7. Et chez celles qui cumulent les deux facteurs de risque, le danger est multiplié non pas par 13… mais par 38 ! », clarifie le Pr Vander Poorten.

Arrêter de boire et de fumer est toujours bénéfique. « Pour le cancer de la bouche, par exemple, il a été démontré que le risque retombe au niveau d’une personne n’ayant jamais fumé 15 à 20 ans après l’arrêt tabagique. » Ce n’est toutefois pas la seule raison de s’abstenir de fumer et de ne boire qu’avec modération. « Les tumeurs de la tête et du cou dues au tabac, à l’alcool ou à une combinaison des deux sont beaucoup plus difficiles à soigner par les techniques actuelles de chirurgie, de chimiothérapie et de radiothérapie que celles qui sont provoquées par exemple par le papillomavirus humain. »

Rapports oraux

La nette progression du nombre de cancers de la gorge au cours de la décennie écoulée est toutefois attribuée surtout au papillomavirus humain (HPV) (1). « Lors de rapports sexuels oraux avec une personne contaminée, le virus peut se transmettre aux muqueuses de la gorge de son partenaire, explique le Pr Vander Poorten. Ces infections guérissent généralement de façon spontanée mais si elles persistent, elles peuvent à plus long terme provoquer un cancer de la gorge. Les pratiques sexuelles ont vraisemblablement un peu évolué au cours des dernières décennies et il est probable que les rapports oraux soient aujourd’hui plus courants, y compris à un âge plus jeune, car nous observons de plus en plus de tumeurs de la gorge chez des personnes qui ne boivent pas, ne fument pas et sont encore loin d’avoir atteint ou dépassé 50 ans. »

Les grands coupables sont les sous-types HPV 16 et 18, qui peuvent également provoquer le cancer du col de l’utérus et contre lesquels il existe déjà un vaccin. Depuis 2011, celui-ci est proposé gratuitement aux jeunes filles qui fréquentent la 2e année de l’enseignement secondaire, ce qui contribue déjà à limiter sensiblement la propagation du virus. La pertinence d’une vaccination à grande échelle des garçons du même âge fait actuellement l’objet de nombreuses études et discussions parmi les spécialistes : comme le cancer de la gorge est nettement moins fréquent que celui du col de l’utérus, le rapport coût-efficacité de la vaccination est en effet moins intéressant dans ce groupe. « S’ajoute à cela que le virus ne se transmet pas que par voie sexuelle mais aussi par la salive, note le Pr Vander Poorten. La contamination peut donc également intervenir lors d’un baiser passionné. Un nouveau-né peut aussi être infecté par sa maman lors de l’accouchement. Certains enfants sont donc porteurs du virus bien avant leurs premiers rapports sexuels. »

Existe-t-il également de bonnes habitudes susceptibles de limiter le risque de cancer de la tête et du cou ? « Absolument. L’effet protecteur d’une alimentation riche en fruits et légumes frais a été clairement démontré, et il existe des indices marqués en faveur des vertus de l’huile d’olive, des fibres alimentaires et du café. »

Par An Swerts

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