Entre 2010 et 2015, le nombre de travailleurs belges en burnout a augmenté de 25 %. © PAUL BRADBURY/GETTY IMAGES

Le burnout enfin défini

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le burnout reste une réalité mal définie et mal quantifiée. Une équipe de chercheurs de la KU Leuven a mis en place un nouvel outil pour diagnostiquer et mesurer l’épuisement professionnel.

Depuis six mois, il fait tout de travers, et il le sait. Pourtant, Paul, 41 ans, est l’un de ces salariés qui s’impliquent énormément dans son emploi de commercial. Mais il se dit trahi et a le sentiment d’être injustement récompensé des efforts qu’il entreprend. Lui, si engagé, si disponible n’a pas décroché la promotion que sa hiérarchie lui promet depuis cinq ans.  » J’ai été poussé à en faire toujours plus, pour rien finalement. Mon chef a promu mon collègue. Je suis extrêmement mal.  » Son sommeil est affecté, et il se montre irritable, colérique. Enfin, il ne se sent plus en état de retourner à son poste tant il rumine sa frustration. Il y a quatre semaines, son médecin lui a prescrit un arrêt maladie pour burnout.

Les chiffres évoqués sont alarmants. Ils vont d’un travailleur sur dix à un travailleur sur quatre en burnout. Entre 2010 et 2015, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité estime même que le nombre de cas a augmenté de 25 %. Derrière ces chiffres, qu’en est-il vraiment ? Le burnout, terme officiellement créé en 1974 pour décrire l’épuisement professionnel dans les professions de santé, est devenu une notion floue et il n’est pas reconnu comme une pathologie médicale.  » Il n’y a pas de définition scientifique consensuelle partagée par tous sur ce qu’est le burnout « , déclare Steffie Desart, chercheuse en psychologie du travail et des organisations à la KU Leuven. Du coup, son diagnostic est laissé à l’appréciation des praticiens, principalement les médecins généralistes. Et c’est loin d’être évident, puisqu’ils ne disposent pas d’instrument de mesure ni d’une définition claire.

Ce sont les travaux de l’Américaine Christina Maslach, auteure de Burn-out. Le syndrome d’épuisement professionnel (Les Arènes), traduit en français en 2011, qui servent de référence. La psychologue définit un syndrome caractérisé par un épuisement physique et mental, une atteinte massive émotionnelle et un sentiment d’inaptitude.  » Or, cette définition a plus de trente ans, et l’outil de mesure le plus utilisé (NDLR : Maslach Burn-out Inventory, MBI) demeure trop imprécis « , explique Steffie Desart, ajoutant que lorsque les experts interrogent des salariés en souffrance, ces trois symptômes ne sont que  » partiellement retrouvés « . Surtout, cette description néglige des facteurs majeurs, tels que les dysfonctionnements cognitifs, qui semblent être  » une partie essentielle de l’épuisement professionnel « .

La chercheuse, associée aux professeurs Hans De Witte (KU Leuven) et à Wilmar Schaufeli (université d’Utrecht), a donc mis au point une nouvelle définition plus claire du burnout. L’équipe a établi cinq symptômes précis. Le premier est l’épuisement physique et mental : le travailleur se sent vide, sans énergie lorsqu’il entame sa journée de travail et n’arrive plus à se détendre. Le deuxième est la perte de contrôle cognitif, quand l’individu présente une mémoire défaillante, des difficultés à penser clairement, des déficits d’attention et de concentration. Il travaille plus lentement et commet fréquemment des erreurs. Le troisième, c’est la perte de contrôle émotionnel. Face à ses collègues, ce salarié se montre agressif, capable de crier et de réagir violemment. Vient ensuite la prise de distance mentale. Il s’agit d’un retrait général par rapport au monde du travail. Cette attitude de repli débouche souvent sur une indifférence et un cynisme affiché. S’y ajoute alors une humeur sombre. La personne se sent piégée, coincée, inutile.  » Cette humeur, c’est donc la conséquence d’une réaction émotionnelle. Elle ne doit pas être assimilée à une dépression « , tranche Steffie Desart. On ne devrait parler de burnout, selon elle, que lorsque ces manifestations sont présentes.  » Autrement, on est dans une autre forme de souffrance.  »

L’équipe décrit enfin deux affections liées au stress et qui sont consécutives des cinq critères mentionnés. Il s’agit, en gros, de ressentiments psychosomatiques variés : des troubles du sommeil, sexuels, de la tension artérielle, du rythme cardiaque ou respiratoire, des tensions musculaires, des dérèglements digestifs, des difficultés à supporter le bruit… Sur la base de cette nouvelle définition, la KU Leuven a donc développé un nouvel outil de mesure, appelé le Burn-out Assessment Tool (BAT).

Du mal-être au syndrome

Encore faut-il déterminer les seuils à partir desquels les salariés touchés par ces cinq symptômes en deviennent malades.  » Tout comme une dépression est bien différente d’une tristesse ou d’un sentiment de découragement, indique Steffie Desart, il nous faut un curseur pour savoir quand l’on passe du mal-être au syndrome. A partir de quelle intensité, de quelle durée et avec quel caractère d’irréversibilité peut-on parler de burnout ?  » Une échelle clinique a été mise au point, basée sur les scores moyens de patients en traitement pour burnout – ça, c’est une première, les échelles étant construites jusqu’à présent sur des sondages réalisés auprès d’échantillons représentatifs de travailleurs.

Résultat : avec l’introduction du BAT, le nombre de salariés en  » burnout  » devrait être moins élevé. Il devrait aussi permettre de jouer un rôle plus efficace dans la détection, la prise en charge des patients – quelles interventions fonctionnent vraiment, lesquelles faut-il bannir – et la prévention du burnout.  » Notre but n’est pas de resserrer les critères du diagnostic « , souligne la chercheuse. Cependant, sans échelle précise,  » il est facile de voir des burnout partout « .

Le BAT sera disponible à partir de janvier 2018 et utilisable tant pour les patients, les médecins que les entreprises.

« Je suis en pré-burnout »

Dans son récent sondage, le secrétariat social Securex estimait qu’un individu sur six est « à risque accru » face au burnout. La notion de « risque » ou de « pré-burnout », selon Steffie Desart, n’existe pas scientifiquement. « Il faut parler de stress, pour lequel l’organisme a des ressources pour faire face lorsqu’il est ponctuel. » Ce n’est que quand ce stress évolue en surtension qu’un phénomène d’épuisement peut apparaître. « Mais dans le burnout, rappelle la chercheuse, il y a aussi un épuisement émotionnel. Ce n’est pas le cas d’un bourreau de travail qui fonctionne en stress chronique, mais garde confiance en lui, éprouve de la satisfaction au travail. » Comment expliquer alors le succès du mot « pré-burnout » ? « Il sert d’outil de prévention ou à mettre des mots sur d’autres situations de souffrance », juge l’experte.

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