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Le blues du tour du monde: « une fois rentré, c’est la dépression qui guette »

Le Vif

Beaucoup de jeunes rêvent de faire un tour du monde. Malheureusement, ceux qui partent trouvent la vie après leur retour souvent « banale » et « ordinaire » et sombrent parfois dans une dépression profonde.

À l’automne 2009, Willem, 19 ans à l’époque, a quitté la petite ville de province de Saint-Nicolas pour faire un tour du monde. Il ne préfère pas révéler son nom de famille, un peu gêné par son « problème de luxe ». « J’avais terminé mes études secondaires, et j’avais suffisamment d’argent de côté », dit-il. « Je n’avais aucune idée de ce que je voulais étudier ou de ce que voulais faire de ma vie. Un voyage autour du monde allait peut-être m’aider. »

Il a visité toute une série de pays avant de terminer en Australie. Là-bas, il se sentait bien. « J’aimais beaucoup la nature sauvage, les villes magnifiques et j’étais charmé par la sympathie des Australiens. »

Il est rentré chez lui à l’été 2011 pour s’inscrire à l’université, en sociologie. « Je me suis très vite retrouvé dans la routine quotidienne. La magie avait disparu : la nature magnifique avait cédé la place aux vilaines constructions linéaires, le soleil était remplacé par un ciel gris, les orages spectaculaires par une bruine maussade et au lieu de personnes chaleureuses et sympathiques, je rencontrais des râleurs. »

Quelques mois après son retour, Willem se sentait plus fatigué et déprimé que jamais, « alors que j’aurais dû être joyeux et content après toutes mes aventures ». Le blues du tour du monde l’a frappé impitoyablement. « Depuis, ce sentiment n’a jamais tout à fait vraiment disparu. La vie semble souvent manquer de sens. » Il aimerait beaucoup émigrer en Australie. « Cependant, il y a des objections pratiques entre le rêve et la réalité. »

Une impasse

« En Israël, le blues du tour du monde est un phénomène très connu », déclare Patrick Luyten, professeur en psychologie clinique à la KuLeuven. « Après leur service militaire obligatoire de deux ans, beaucoup de jeunes Israéliens prennent une période sabbatique et partent faire le tour du monde dans l’espoir de se remettre de leurs traumatismes. Mais souvent, ils sombrent dans une dépression profonde après leur retour, car on ne résout pas ses problèmes psychiques en fuyant. »

D’après Luyten, beaucoup de jeunes Belges qui partent en voyage sont aussi dans une impasse. « Ils se sentent mal dans leur peau, ils ne fonctionnent pas bien au travail ou souffrent de problèmes relationnels. Leur tour du monde est une fuite. Une fois rentrés chez eux, ils risquent de sombrer dans la dépression. »

Mais que faire de jeunes comme Willem, qui à première vue n’ont pas l’air traumatisés ? « Certains ont envie de voyager et sont curieux. Ils posent un regard critique sur la société, partent avec un esprit ouvert et vivent des expériences extraordinaires. Celles-ci peuvent être positives ou négatives, avec des hauts et des bas. Une fois rentrés chez eux, les voyageurs ne peuvent que constater que la vie est ‘banale’ ou ‘ordinaire’. Ensuite, ils se demandent ce qu’ils vont faire de leur vie. Ils ont oublié que les hauts et les bas vécus en voyage n’ont rien à voir avec la vraie vie et dépriment. » Est-il plus intelligent de suivre une thérapie que de chercher l’oubli dans un autre voyage ? « Parfois, même si un nouvel amoureux, un hobby captivant ou un nouveau job passionnant peuvent également aider », estime Luyten.

Nouveaux stimulants

Professeur en psychologie à l’Université de Tilbourg, Ad Vingerhoets est spécialisé en émotions et en bien-être. « Il est très stressant de voyager », estime-t-il. « Un phénomène comme le ‘blues du tour du monde’ n’est rien d’autre que l’épuisement total entraîné par toutes les nouvelles impressions. »

D’après Vingerhoets, la psyché du voyageur est surexcitée. « Il voyage d’un pays à l’autre, d’une curiosité à l’autre et est constamment assailli de nouveaux stimulants. Le changement est stressant par définition, car il faut chaque fois s’adapter à une nouvelle situation. Un voyage autour du monde de plusieurs mois est le summum du changement continuel, je peux m’imaginer que cela épuise les gens. »

Vingerhoets compare le voyageur qui rentre chez lui avec l’homme ou la femme au job stressant qui se couche tous les samedis dans son canapé avec un violent mal de tête. « Quand il rentre chez lui, le voyageur est épuisé et en plus il doit se déshabituer du stress. » Son conseil : « Restez chez vous. »

Stefanie Van den Broeck

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