Image d'illustration. © istock

La méthode Coué, ça marche, ça marche…

Le Vif

Inventée dans les années 1920 par un pharmacien de Nancy, la célèbre – et moquée – technique d’autosuggestion.

Emile Coué, héros du multi-oscarisé Discours d’un roi ? Ne riez pas, ça aurait pu. Pour le Dr Dominique Notter, maître de conférences honoraire à la faculté de pharmacie de Nancy, l’inventeur de la célèbre méthode aurait pu voler la vedette à Lionel Logue, l’orthophoniste australien qui, avant la Seconde Guerre mondiale, guérit avec panache le futur roi d’Angleterre de son handicapant problème de bégaiement. Parfaitement. Quelques années avant Logue, le pharmacien nancéien, alors auréolé d’une jolie réputation en Europe, aurait en effet été appelé auprès du prince pour lui enseigner ses techniques d’autosuggestion. « Dans une lettre au français délicieux, le secrétaire du duc d’York indique que, grâce aux conseils de Coué, celui-ci est  »mieux mais pas tout guéri » », affirme Dominique Notter. Las. Contraintes géographiques obligent, le praticien n’a pas mené le traitement royal jusqu’à son terme, perdant ainsi l’occasion d’entrer dans la légende. Et de s’assurer une crédibilité éternelle.

Ses adeptes ne le savent que trop bien : difficile, dans notre monde, de dire « méthode Coué » sans susciter sourires en coin et perfidies en rafales. « Celle-ci est trop souvent synonyme de bourrage de crâne ou de tête dans le sable », déplore Jean-Paul Tanguy, président du Cercle Coué de Brest, une association dédiée à la pratique et à la promotion de l’autosuggestion. Mais gare, la révolte est en marche. Ces dernières années, la méthode a fait son apparition dans les manuels de psychiatrie et de psychologie ; élus et médecins s’y intéressent, voire la célèbrent. Sur les sites dédiés, les témoignages de guérison miraculeuse (moins d’anxiété, moins de céphalées, moins d’acné) se multiplient. De quoi réhabiliter les préceptes de celui qui, bien avant l’inoubliable hymne à la vie de la chanteuse Lorie, vantait les mérites de la « positive attitude ». De conférences en ateliers (« L’éducation vue par Emile Coué », « La gestion et la prévention des risques psychosociaux par l’approche de l’autosuggestion », « La méthode Coué dans l’entreprise »), professeurs, psychologues ou sophrologues ont partagé expériences et témoignages autour de cette philosophie « simple », « efficace » et « actuelle ».

« Implantation d’une idée en soi-même par soi-même »

Les ressorts du coéisme, ont, il est vrai, le chic pour coller à l’air du temps, puisqu’ils allient « immédiateté, individualisme, voire narcissisme » (la méthode se focalise entièrement sur le moi et ignore les autres), observe le philosophe et psychanalyste Roger Dadoun, qui a décortiqué le sujet dans une préface originale à La Méthode Coué ou la maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente (éd. Manucius). « L’autosuggestion est un langage propre aux temps de crise car il constitue un message optimiste pour un individu et pour la société », ajoute l’historien Hervé Guillemain (1). Alors, pourquoi s’en priver ? questionnent ses aficionados, d’ailleurs impossibles à comptabiliser. « Les réseaux de professionnels restent très minoritaires, analyse-t-il. Mais la pratique individuelle n’a jamais cessé, même si on ne s’en vante pas toujours. Après la parution de mon livre, certaines personnes sont venues vers moi en disant :  »J’ai la méthode chez moi, on l’utilise depuis longtemps dans ma famille »

L’ingrédient de base de la petite cuisine de Coué, c’est l’imagination, réputée illimitée et bien plus puissante que la volonté. « Si vous vous persuadez vous-même que vous pouvez faire une chose quelconque, pourvu qu’elle soit possible, vous la ferez, si difficile qu’elle puisse être », écrivait ce coach avant l’heure. L’homme a une cinquantaine d’années et la barbiche impeccablement taillée quand il commence à se faire connaître. Héritier des Drs Liébeault et Bernheim, maîtres de la première école hypnologique de Nancy, Coué pratique d’abord des suggestions sous hypnose avant de privilégier l’autosuggestion consciente, définie comme l' »implantation d’une idée en soi-même par soi-même ». Ses premières thérapies de groupe ont lieu dans le salon de sa maison où il accueille aussi bien des névrosés de guerre que de riches Anglaises. Le Lorrain y « soigne » en vrac eczéma, goutte, asthme, aphonie ou troubles gastro-intestinaux. « Si vous arrivez à faire penser à un malade que sa souffrance disparaît, elle disparaîtra », estime celui qui incite ses patients à psalmodier « Ça passe, ça passe » pour intimer l’ordre à l’inconscient de faire l’impasse sur une douleur ou une inquiétude. « Cette formule ressemble à celles qu’une mère utilise pour consoler son enfant, fait remarquer Roger Dadoun. Coué a eu ce coup de génie de réintroduire le don maternel – une berceuse – à l’intérieur du sujet lui-même. Sa méthode fonctionne comme un placebo verbal. » Le mantra du sage ? « Tous les jours à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Une phrase à réitérer matin et soir, d’une voix audible et monotone, en s’accompagnant d’une cordelette à 20 noeuds en forme de chapelet.

Depuis près de trente ans, aussi souvent qu’il se lave les dents, Jean-Paul Tanguy pratique le Coué. « Tous les jours, je m’autosuggestionne, raconte-t-il. En ce moment, j’apprends l’accordéon diatonique et le chant de marin. La méthode me permet d’être persévérant. » En 1983, le Brestois découvre « un peu par hasard » un ouvrage qui promet d’aider ses lecteurs à vaincre leur timidité et augmenter leur confiance. Ça tombe bien : alors dessinateur industriel, l’homme frémit de stress dès qu’il sent peser des regards sur lui. Pendant quinze jours, il s’astreint donc à se répéter : « Je reste calme et détendu quand on m’observe. » Bilan : plus de tremblements. « Il n’y a là rien de magique, assure le conférencier. Le cerveau se transforme sous l’effet de la pensée et des mots utilisés au quotidien. Les neurosciences ont démontré depuis vingt ans que la plasticité cérébrale est une réalité. »

80 % des interlocuteurs ont une réaction physique

Sceptiques ? « Imaginez un citron, réplique Luc Teyssier d’Orfeuil (2), coach d’entreprise et couéiste assumé, qui, lors de ses séminaires, s’amuse à mettre ses interlocuteurs en situation. Visualisez-vous en train de le couper en deux, d’apprécier l’éclat juteux de sa pulpe dorée et de le mordre toutes gencives dehors. » Eh bien ? « Eh bien, sans vous en rendre compte, vous avez sans doute salivé, dégluti ou, tout du moins, froncé les sourcils à l’idée de l’inévitable sensation d’acidité, poursuit Luc Teyssier d’Orfeuil. Lorsque je propose cette expérience, 80 % des interlocuteurs ont une réaction physique. Car le cerveau n’a pas fait la différence entre croquer et imaginer. » Histoire de se faire bien comprendre, le coach aime souligner que le monde est rempli de couéistes qui s’ignorent. Leur truc ? L’autosuggestion négative. « Il y a quelques semaines, j’ai rencontré une championne, sourit-il. Une jeune femme m’accueille et, au moment de servir le café, elle me dit :  »Faites-le, parce que je suis maladroite. » Plus on se répète ce genre de choses, plus cela devient réalité. D’ailleurs, à l’heure du déjeuner, elle a renversé un verreà » Attention, réagit Roger Dadoun : « On peut éviter d’employer trop de négations. Mais cela ne doit pas conduire à de la dénégation ou de l’illusion ! Coué ne sait pas de quoi est fait l’individu. Son one-moi-show est une psychothérapie superficielle qui ignore les profondeurs de l’âme et ses conflits. Car même chez les sujets les plus optimistes, la pulsion de mort est à l’£uvre. » Et ça, pas sûr que « ça passeà ».

(1) La Méthode Coué. Histoire d’une pratique de guérison au XXe siècle (Seuil).

(2) Coauteur de La Méthode Coué. Autosuggestion consciente (Eyrolles).

NATACHA CZERWINSKI

ESTELLE SAGET, AVEC VANJA LUKSIC (À ROME) ET BENOÎT MAGISTRINI

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire