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La dépendance à l’alcool s’installe plus vite qu’on le croit

Un petit verre de porto après le travail. Un verre avec les collègues. Tous les soirs, une petite bouteille de vin pour accompagner le dîner… On devient accro à l’alcool plus vite qu’on ne le croit. Surtout les femmes.

 » De nos jours, les jeunes filles boivent quasi aussi souvent et autant que les garçons. En particulier les jeunes femmes d’une vingtaine d’années brillamment diplômées.  » Celle qui tire cette sonnette d’alarme, c’est Frieda Matthys, psychiatre spécialisée dans le traitement des toxicomanies et présidente du VAD (Vereniging voor Alcohol- en andere Drugproblemen), l’association flamande qui chapeaute les programmes de prévention des problèmes d’alcool et de drogue au nord du pays. Elle est inquiète de l’évolution qu’elle constate dans certains milieux professionnels jeunes, branchés et hautement qualifiés. L’alcool y a perdu toute connotation négative. Au contraire, savoir boire augmente la crédibilité… à condition de ne pas être saoul, car alors on casse son image de marque.

Il faut donc aussi savoir s’afficher : commander un jus de fruits à une terrasse est considéré comme  » out « . Le must : un bon petit verre de vin.  » Dans certaines professions, comme le journalisme et les affaires, on a l’impression que les femmes veulent égaler les hommes et boivent comme eux, alors qu’elles résistent moins bien à l’alcool. Une consommation quotidienne d’un à deux verres par jour n’est pas mauvaise pour la santé. Le seuil critique se situe à 14 verres répartis sur la semaine. Les femmes qui consomment régulièrement plus de 21 verres par semaine sont tôt ou tard confrontées à des problèmes. En Belgique, 4 % des femmes sont des ‘buveuses problématiques’ et 1 % sont alcooliques « , affirme Frieda Matthys.

Les limites

L’alcool détend. Un petit verre pour se relaxer après une rude journée de travail, un bon verre lors du repas et parfois encore un dernier petit verre avant d’aller se coucher… et des habitudes insidieuses s’installent, de plus en plus difficiles à enrayer. Il suffit alors de traverser une mauvaise passe, par exemple un divorce ou une perte d’emploi, et la tendance à boire s’accentue encore ; le précipice n’est plus très loin.

Beaucoup de gens réalisent à peine qu’ils boivent trop. Prenons par exemple un couple qui débouche chaque soir une bouteille de vin au repas. Au début, les petits problèmes qui vont se manifester seront vagues et nul ne songera à faire le lien. Pourtant, ce seront sans doute des problèmes digestifs, des troubles de la mémoire et du sommeil tout à fait typiques.  » Les troubles du sommeil et principalement les réveils fréquents pendant la nuit sont souvent liés à un usage excessif de l’alcool, sans même que le buveur n’en soit conscient. On se sent moins en forme, on manque d’énergie, on a besoin de plus de temps pour se mettre en route le matin, etc. Ce sont les conséquences à long terme peu connues d’une consommation excessive d’alcool.  » Chez les femmes, la prise régulière d’alcool entraîne souvent aussi, plus rapidement que chez les hommes, une prise de poids de quelques kilos et une mine un peu bouffie, conséquence de la mauvaise qualité du sommeil.

Prédispositions

Il n’existe pas d’alcoolisme héréditaire, mais la vulnérabilité vis-à-vis de l’alcool se transmet bel et bien par voie génétique. Elle implique de nombreux gènes et ne peut donc se résumer à un seul mécanisme. Mais quelques traits caractéristiques se dégagent malgré tout. Ainsi, certaines personnes sont génétiquement prédis posées à rechercher systématiquement les sensations fortes. Un tel tempérament est propice à favoriser les dépendances en général, à commencer par l’usage d’alcool, socialement accepté voire valorisé.

Plus surprenant comme facteur prédictif du risque d’alcoolisme, est le degré de résistance à la boisson. La plupart des gens se sentent un peu éméchés après deux verres de vin, mais ceux qui  » savent boire  » tiennent encore fort bien le coup après une bouteille entière. Comme l’explique Frieda Matthys :  » Ces personnes qui sont physiquement peu sensibles à l’alcool ont tendance à boire plus vite et en plus grandes quantités pour ressentir également cette légère ivresse.  » En outre, ils ne sont pas avertis du degré de leur consommation par des signaux bien perceptibles par le commun des mortels, à savoir la somnolence ou l’instabilité motrice.

Enfin, l’âge de début de la consommation joue également un rôle (on ne parle évidemment pas du petit verre bu le jour de votre communion solennelle), mais il est prouvé qu’une consommation régulière avant l’âge de 16 ans nuit définitivement à la maturation du cerveau et prédispose à développer un alcoolisme une fois adulte. Bien entendu, ces facteurs neurophysiologiques sont difficiles à distinguer de l’influence  » culturelle  » d’un environnement familial où la boisson est présente en permanence. On estime que s’il y a eu des problèmes d’alcool dans la famille proche, les risques sont jusque cinq fois plus importants.

Arrêter progressivement

Pour bon nombre de femmes, l’alcool est un délassement et une consolation, qu’elles ont d’ailleurs souvent tendance à nier ou à minimiser. Il n’est donc pas facile de les convaincre d’arrêter. Mais Frieda Matthys insiste :  » Reconnaître que l’on boit trop est pourtant la première étape importante pour sortir du cercle vicieux.  » Pas convaincu(e) ? Mettez-vous à l’épreuve : relevez le défi de ne plus toucher à une goutte d’alcool pendant un temps donné. Un mois ? Six mois ? À vous de voir.  » La plupart découvrent alors assez rapidement qu’elles se sentent beaucoup mieux sans cette consommation : elles perdent rapidement un ou deux kilos, elles ont meilleure mine, sont en meilleure forme, plus énergiques et moins abattues. Elles disposent aussi tout à coup de plus de temps car la consommation d’alcool entraîne l’inactivité.  » Cette pause permet de se rendre compte par soi-même des effets néfastes de l’alcool. Physiquement, la désintoxication est d’ailleurs très rapide à ce stade. L’abstinence est parfois plus pénible sur le plan psychique.

Si on trouve l’abstinence totale trop radicale, on peut également essayer de diminuer progressivement sa consommation. Frieda Matthys explique :  » Chaque personne doit identifier pour elle-même – en toute honnêteté – quels sont les moments difficiles, les endroits délicats, où et quand elle boit le plus. Sur cette base, on peut établir soi-même un plan de réduction progressive de sa consommation. Je conseille aux femmes de ne pas boire quand elles sont seules. Une autre règle simple est de ne pas boire pendant au moins deux jours par semaine.  » Détail important : 80 % des femmes qui boivent régulièrement ont un partenaire qui consomme aussi de manière excessive.  » Celui ou celle qui veut arrêter de boire doit pouvoir compter sur la collaboration de son partenaire. Hélas, beaucoup d’hommes constatent bien que leur compagne a un problème… mais ont des réticences à reconnaître qu’ils sont dans le même bateau. « 

Cerveau en déconfiture

La boisson entraîne des modifications dans le cerveau, plus particulièrement au niveau du  » circuit de la récompense « . En effet, chaque expérience plaisante (nourriture, boisson, sexe, etc.), provoque une libération de dopamine dans notre système limbique, ce qui amène une sensation de bien-être et l’attente d’une nouvelle expérience similaire. La répétition de cette association stimulus-réponse peut déboucher sur un comportement compulsif et échapper à la conscience de la personne dépendante. Cet alcool pris de façon répétée sur-stimule le système limbique, libérant massivement de la dopamine, neurotransmetteur associé à la recherche et l’anticipation du plaisir. En conséquence, le cerveau y devient moins sensible et il en faudra toujours davantage pour atteindre le même niveau de satisfaction. Si on arrête alors de boire, apparaît un sentiment d’abattement qui empêche d’éprouver encore du plaisir. Impossible, par exemple, d’apprécier un bon repas sans une bonne bouteille de vin pour l’accompagner.

La consommation d’alcool de longue durée modifie également certains circuits neuronaux dans le cortex préfrontal, la partie du cerveau qui permet de contrôler ses impulsions. On maîtrise par conséquent encore moins bien sa consommation. Ces modifications cérébrales conduisent en outre à ce que l’on appelle l' » attentional bias  » : les buveurs invétérés ne pensent plus qu’à l’alcool. Si on leur propose un verre, ils peuvent difficilement résister.

Que l’on mette progressivement un terme à sa consommation d’alcool ou que l’on décide d’arrêter totalement de boire, il faudra encore des années avant que les structures cérébrales ne se normalisent. En réalité, elles ne sont jamais totalement restaurées. C’est pourquoi l’envie de prendre un petit remontant restera toujours présente.

Par Marleen Finoulst

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