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« La communication non violente crée un cercle vertueux »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

« Si nous apprenions à mieux communiquer, il y aurait moins de disputes, de souffrances, de divorces, de crimes, de guerres », estime Anne van Stappen, formatrice en CNV et conférencière.

Comment avez-vous découvert la CNV ?

Mes études de médecine achevées, j’ai renoncé à exercer. J’ai acheté une ferme et consacré ma vie au dressage des chevaux. J’ai découvert la CNV à 43 ans, grâce à Anne Bourrit, la collaboratrice et traductrice genevoise de Marshall Rosenberg, venue présenter le processus en Belgique. J’ai réalisé, avec émotion, que c’était cela qui m’appelait depuis le début de mes études : connaître et transmettre cette approche des relations humaines. En 1994, j’ai rencontré Marshall et suis devenue l’une de ses assistantes et interprète.

Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

C’était un homme passionné et engagé. Il passait sa vie à parcourir le monde, de la Suède à l’Australie. Profondément altruiste, il conviait à ses formations des personnes de traditions ou de croyances différentes. Il voulait rendre la CNV accessible à tous dans l’espoir d’apaiser les tensions communautaires. J’ai pu constater la puissance du processus. En Grande-Bretagne, j’ai suivi une session de neuf jours rassemblant des Israéliens et des Palestiniens. Au début, les participants se dévisagent avec méfiance et prudence. Après quelques jours, un miracle s’opère et on les voit s’écouter, se comprendre, s’apprécier, se découvrir.

On ne se contente plus d’être un petit robot, une tête sur des jambes

Il faut du temps pour devenir expert en CNV ?

Bien comprendre cette façon de penser et de parler au service d’une intention de bienveillance mutuelle peut prendre des années. Il faut l’incarner de manière aussi authentique et naturelle que possible. Il y a un travail à faire sur soi-même pour développer compassion, fermeté, clarté et stabilité. Il y a aussi une éthique à respecter, car on touche à l’humain dans ce qu’il a de plus profond. Quand nous travaillons dans des pays en guerre ou dans le milieu de la délinquance, il est difficile de ne pas être repris par notre cerveau archaïque, de garder toute notre capacité de compassion. J’ai plus d’une fois désespéré devant l’ampleur de la tâche, à savoir ne pas juger, mais comprendre, même si je n’approuvais pas. Marshall Rosenberg me rassurait en disant :  » Peu à peu, on peut.  »

Dans quels secteurs avez-vous exercé votre activité de formatrice ?

Certifiée en 1995, j’ai d’abord travaillé en milieu hospitalier pour y transmettre des clés de communication et apaiser des conflits. Dans ce monde dirigé par des gestionnaires soucieux de rentabilité, le stress est permanent, ce qui peut avoir des conséquences sur l’état de santé des soignants et la qualité des actes techniques. A l’époque, les responsables d’un hôpital universitaire bruxellois s’interrogeaient sur les raisons d’un taux élevé d’absentéisme dans le service d’urgence. J’ai été amenée à y donner des formations pour éviter les burnouts et améliorer la collaboration interne. A l’hôpital, le personnel soignant laisse souvent de côté le ressenti. Grâce à la formation, l’humanité de ces travailleurs a été prise en compte. En ce moment, j’écris avec une amie chef d’entreprise un livre qui parlera de la CNV comme moyen d’éviter le burnout professionnel.

Anne van Stappen.
Anne van Stappen.© GUY PUTTEMANS

Etes-vous intervenue dans d’autres milieux ?

J’ai formé des présidents de tribunaux, des juges, des avocats, des visiteurs et aumôniers de prison, de jeunes délinquants, le personnel de homes pour handicapés. Aujourd’hui, j’anime des conférences et je forme chaque personne désireuse de semer une culture plus humaine au sein de sa famille, sur son lieu de travail, dans son école. J’apprécie la sensibilisation des enseignants à l’écoute bienveillante et à l’expression ferme de soi. Les neurosciences affectives et sociales m’ont convaincue de l’importance de la bienveillance éducative pour le développement intellectuel et émotionnel du cerveau de l’enfant.

Les formations destinées aux enfants et celles données dans les entreprises sont-elles très différentes ?

La CNV concerne tous les milieux, mais doit être adaptée à chaque contexte. Avec de jeunes enfants, il sera d’abord question d’accueillir leurs sentiments. Ensuite, petit à petit, de leur apprendre à connaître leurs besoins. Dans les entreprises, les enseignements seront davantage axés sur la connaissance et la reconnaissance des besoins de la société et des travailleurs. L’aspect émotionnel n’est pas pour autant nié. Car il y a des souffrances au travail. Elles représentent, par l’absentéisme et la détérioration de la santé du personnel, un coût énorme, financier et humain.

La CNV suscite-t-elle parfois de la méfiance, des réticences ?

Une réaction de rejet fréquente est celle de personnes qui disent :  » Votre formation ne me concerne pas : je ne suis pas violent ! « . Certains de mes collègues privilégient dès lors l’expression  »communication bienveillante ». Marshal Rosenberg, qui était un ami du petit-fils de Gandhi, a adopté l’appellation  »communication nonviolente » en référence à la non-violence du Mahatma. Ces mots renvoient à ahimsa, terme sanscrit qui parle de ce qui est en amont de la violence, un espace où la violence ne nous atteint pas, où notre coeur est non blessable. Ce qui ne signifie pas s’endurcir, mais implique de comprendre la condition humaine. On m’a aussi lâché :  » La CNV, c’est des conneries ! « . Certaines personnes ne tiennent pas à remettre en question leur façon de communiquer. Elles ont sans doute besoin de stabilité.

Quand un automobiliste, énervé par votre façon de conduire, se met en colère et vous agresse, comment réagissez-vous en CNV ?

Il y a des limites à l’utilisation de la CNV. Le temps : si l’altercation est brève, je ne peux pas toujours créer un climat propice à une connexion de qualité, ni me faire entendre. Le courage : si la remarque est brutalement exprimée, aurais-je l’envie d’identifier le besoin de la personne ? L’accès à l’autre : s’il ne veut pas communiquer ou faire preuve d’ouverture, je vais surtout m’écouter en silence afin de gérer mes frustrations au mieux : comment je me sens ? Découragée, parce que j’ai besoin de croire qu’il y a encore du respect en société ? Quand j’accueille ce que je vis, cela s’adoucit !

Comment mieux gérer les conflits familiaux, professionnels ou internationaux ?

Bien communiquer n’est pas facile. Si c’était le cas, il y aurait moins de disputes, de divorces, de crimes, de guerres. La CNV a pour but de créer un cercle vertueux. Si elle a tellement de succès, c’est parce qu’elle intègre le coeur et les tripes à nos modes de fonctionnement. Ainsi, on ne se contente plus d’être un petit robot, une tête sur des jambes : une tête pour penser, des jambes pour agir. Avec la CNV, on n’envisage pas seulement ce qui doit être produit, mais aussi ce que chacun vit pendant qu’il produit, et ce à quoi il aspire. Cela dit, la CNV est plus une façon de  » penser  » que de  » parler  » : sans même ouvrir la bouche, je peux m’efforcer de voir l’autre comme un être humain habité par son vécu, ses rêves, et ce, sans nier mes propres besoins.

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