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La biologie du bien vieillir: comment atteindre 100 ans?

Devenir vieux en bonne santé dépend plus de votre style de vie que de vos gènes. Ne pas fumer, boire peu d’alcool, manger sainement et bouger suffisamment sont les facteurs qui ont le plus d’effet pour combattre les effets secondaires néfastes du vieillissement. Mais la vie éternelle n’existe tout de même pas encore.

Le pays le plus vieux du monde, où les gens vivent en moyenne le plus longtemps, est le Japon. Cela vient d’une combinaison d’une nation saine avec un système social bien élaboré, une immigration limitée, un taux de natalité bas (beaucoup d’enfants n’ont ni frère ni soeur, mais bien des grands-parents et des arrière-grands-parents) et une jeunesse qui se désintéresse du sexe. Dans le journal spécialisé Science, on a calculé que d’ici 2030, un tiers des Japonais auront plus de 65 ans et un cinquième plus de 75. Cet allongement de la durée de vie ne se fera pas au détriment de la qualité de vie: les personnes de 75 ans seront physiquement en aussi bonne santé que les personnes de 65 ans. Certains y voient un remède pour diminuer la pression sur le système social: si les personnes plus âgées resteront effectivement en bonne santé, elles devront aussi continuer à travailler plus longtemps. Sinon, d’ici 2050, il y aura à peine un peu plus d’un Japonais au travail par Japonais pensionné. Ce serait économiquement intenable.

Éviter le stress et bouger régulièrement sont la meilleure recette pour un coeur sain.

Le village le plus âgé du monde semble être Villagrande Strisaili, un village de montagne en Sardaigne. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel a réalisé un reportage à ce sujet. Nulle part ailleurs ne vivent proportionnellement plus de centenaires. Ses habitants y sont minutieusement étudiés car les scientifiques espèrent en retirer une réponse à l’énigme: comment l’humain peut-il devenir vieux sans perdre sensiblement en qualité de vie? Finalement, ils sont arrivés à la conclusion qu’un style de vie naturel, sain, se trouve à la base du succès: le village était tellement isolé qu’on n’y a jamais fumé et que peu de substances nocives y ont été introduites. Les habitants utilisaient par exemple encore du miel au lieu du sucre. L’air y était sain, l’eau pure et, dès l’enfance, les hommes étaient bergers et se baladaient à leur aise dans les montagnes avec leurs moutons la plus grande partie de l’année. Éviter le stress et bouger régulièrement sont la meilleure recette pour un coeur en bonne santé. Mais la modernité, avec ses nombreuses tentations potentiellement nuisibles, a maintenant aussi pénétré le petit village pittoresque. On suppose que les avantages originaux sur le plan de la longévité n’auront plus pour longtemps autant d’impact.

La testostérone est une tueuse

Au village, ce qui est intrigant, c’est que les hommes ne meurent pas plus tôt que les femmes, comme c’est généralement le cas ailleurs dans le monde. La distinction est surtout due aux problèmes de coeur, aux maladies du foie ou au cancer des poumons. Cela tire la moyenne pour le genre masculin vers le bas. Pour le dire autrement: si les hommes ne fumaient et ne buvaient pas autant, et s’ils ne s’inquiétaient pas autant au sujet de leur travail ou de leurs relations, ils pourraient vivre aussi vieux que les femmes. Le comportement macho dirigé par la testostérone n’est donc pas sain pour l’homme. C’est aussi la raison directe de la longévité légèrement inférieure des chimpanzés mâles par rapport aux femelles, alors que ce n’est pas le cas chez les gorilles, où il y a moins de compétition entre mâles dirigée par la testostérone. Il semble même qu’un rôle de père qui prend soin de sa progéniture augmente en général la probabilité d’un rapprochement de l’espérance de vie des hommes de celle des femmes.

Si les hommes ne fumaient et ne buvaient pas autant et ne s’inquiétaient pas autant au sujet de leur travail ou de leurs relations, ils pourraient vivre aussi vieux que les femmes.

À l’inverse, au cours du siècle écoulé, les femmes ont pu prendre une avance (supplémentaire?) du fait qu’elles donnent en moyenne naissance à beaucoup moins d’enfants, ce qui a fait baisser la pression physique sur le corps féminin. Et les femmes ont vécu plus longtemps qu’auparavant. Mais cet avantage, le genre féminin est pour l’instant en train de le perdre. En conséquence de l’émancipation, les femmes s’adonnent aussi davantage aux plaisirs moins favorables à une vie plus longue, comme fumer et boire. Cela correspond à l’idée croissante selon laquelle ce sont surtout les facteurs de style de vie qui déterminent votre longévité.

Dans un récapitulatif de l’état d’avancement des recherches sur la vieillesse, Science déclarait récemment que l’approche préventive ultime pour devenir vieux est tout simplement vivre sainement. Une des conclusions de base de l’analyse est qu’il est plus raisonnable de rechercher un ralentissement du processus de vieillissement que de rechercher des manières de lutter contre les différentes maladies liées au vieillissement. Aujourd’hui, le focus scientifique se situe surtout sur la lutte médicale contre les conséquences d’une attaque cardiaque ou des maladies comme la maladie d’Alzheimer. L’idée de base derrière cette nouvelle approche est que, en ralentissant le processus de vieillissement, le développement des maladies liées à la vieillesse sera également retardé.

La question est bien sûr de savoir comment cela doit se passer. Un tiers des gens meurent de manière soudaine. Pour la plupart d’entre eux, la discussion n’est donc pas à l’ordre du jour. Pour les autres, la question est de savoir dans quelle mesure il existe une propension génétique à devenir vieux. Sur ce plan, un consensus existe: un tiers des facteurs déterminants de l’âge est lié aux gènes. Les membres de certaines familles vieillissent plus lentement que ceux d’autres familles.

Les scientifiques recherchent les gènes qui jouent un rôle dans le processus de vieillissement, auprès des espèces animales les plus variées, allant des vieilles baleines et des taupes, qui vivent proportionnellement très longtemps, jusqu’aux petits poissons qui meurent rapidement. Cela donne tout de même quelques indications, mais peu de résultats tangibles jusqu’à ce jour, encore moins des résultats sur lesquels un traitement ou une intervention pour l’humain pourrait se baser.

Une des matières qui a été étudiée de manière détaillée, c’est la télomérase: un enzyme qui contribue à la réparation des télomères. Ce sont des capuchons aux extrémités des chromosomes qui empêchent les filaments d’ADN de se détériorer (comme les capuchons en plastique protègent les lacets des chaussures contre l’effilochage). Au plus les télomères se détériorent, au plus la probabilité d’une vie longue diminue – c’est du moins la théorie. Dans ce sens, les télomères sont considérés comme les canaris du vieillissement: ce sont les premiers qui commencent perceptiblement à se dégrader, le reste suit. Des télomères courts contribuent aussi à déclencher l’apparition de maladies liées à la vieillesse. Comme la télomérase favorise la réparation des télomères, la matière pourrait avoir un effet sur la détermination de la vieillesse. Mais pour l’instant, les scientifiques n’ont pas la mainmise sur ce processus et il ne peut donc pas être utilisé dans la lutte contre le vieillissement.

Régime permanent

Cela ne signifie bien sûr pas qu’il n’y a pas d’expériences faites avec des substances antivieillissement. Les scientifiques ont déjà commencé des expérimentations cliniques avec des médicaments, dont on présuppose un effet d’allongement de la durée de vie. La recherche se déroule difficilement, notamment parce que les autorités qui doivent approuver l’utilisation des médicaments ne voient pas le vieillissement comme une maladie. De ce fait, les protocoles classiques pour l’étude des médicaments ne peuvent pas être utilisés. Une importante substance qui se trouve néanmoins dans le pipeline est la metformine. Elle est utilisée dans le traitement du diabète. La possible fonction liée à la longévité de la substance a été révélée lorsque qu’il s’est avéré que certains groupes de patients diabétiques vivent plus longtemps que les personnes sans diabète. La metformine diminuerait le risque de cancer et des maladies cardiaques. Selon le New Scientist, elle aurait un effet comparable à celui d’un jeûne prolongé ou de régimes sévères (dans le jargon, cela se traduit par la limitation de la prise de calories). Les expériences démontrent que la vie des vers et des souris peut être significativement prolongée s’ils sont mis au régime. Le journal spécialisé Aging Cell a même récemment fait savoir qu’une substance chimique a été découverte, capable de simuler l’effet de diète chez les nématodes: elle bloque, dans le corps des vers, le circuit qui indique qu’il y a présence de nourriture.

Vous devez oser quitter votre zone de confort pour avoir une plus grande chance de vivre plus longtemps.

Quelque chose de comparable s’applique aux singes. Nature écrivait récemment que des interventions génétiques sur les circuits moléculaires dans le corps des singes qui sont sensibles aux réactions aux nutriments, peut avoir des effets comparables au jeûne. Bien sûr, il est plus facile de stimuler le jeûne en avalant ou en injectant une substance, que de manger presque constamment aussi peu. Seules peu de personnes adopteront un régime permanent pour pouvoir disposer d’une vie plus longue. Bien qu’il y en ait qui en prennent le risque, sans garantie de succès il est vrai.

Une autre substance ayant un potentiel d’allongement de la durée de vie chez l’humain est la rapamycine. Celle-ci est également déjà sur le marché, pour empêcher le rejet de greffe d’organe après une transplantation. Elle aurait toutefois aussi un effet comme simulateur de jeûne et de régime sévère. La substance inhibe le système immunitaire lors d’une transplantation, mais le mauvais fonctionnement immunitaire lié à l’âge serait également ralenti. Un effet comparable est attendu du médicament évérolimus, qui est utilisé pour favoriser la réaction des personnes âgées à une vaccination contre la grippe.

Il est donc évident que la nourriture peut jouer un rôle important dans le fait de devenir vieux dignement ou pas, mais il y a bien sûr encore d’autres éléments. Le journal Cell publiait récemment une analyse des trois principaux facteurs d’accélération de la vieillesse au cours d’une vie humaine: les matières toxiques, dont notamment la cigarette et les gaz d’échappement, la détérioration des cellules en réactions à des rayons, comme ceux du soleil, et la charge psychique chronique, y compris les facteurs comme les nuisances sonores ininterrompues. Ce sont des choses sur lesquelles, en tant qu’individu, on a plus ou moins de prise. Les recommandations classiques pour une vie plus saine: ne pas fumer, ne pas trop prendre de poids, veiller à son alimentation et bouger suffisamment, peuvent donc également augmenter vos chances de devenir vieux dignement. Vous devez oser quitter votre zone de confort pour avoir une plus grande chance de vivre plus longtemps. L’effet en sera en tous les cas plus grand que celui des soi-disants remèdes miracles qui sont actuellement proposés, surtout via internet, comme la vitamine C, les enzymes sirtuines ou l’hormone DHEA. Les personnes qui pensent pouvoir y parvenir simplement avec un pillule ne sortiront pas gagnantes. Devenir vieux nécessitera pas mal d’efforts.

En principe, la nature n’investit pas dans des vies qui ne peuvent plus se reproduire efficacement.

La vie éternelle ne semble toutefois pas à portée de main, quoi que puissent prétendre les futurologues, avec une dose malsaine d’optimisme. Il y a des limites à la possibilité de prolongation de notre survie biologique. En principe, la nature n’investit pas dans des vies qui ne peuvent plus se reproduire efficacement. Grâce à la science et à la technologie, nous avons déplacé cette limite, avec de grandes conséquences pour la viabilité financière de notre société. Mais la capacité de prolongement semble rester limitée. Devenir centenaire serait accessible à une partie substantielle des personnes qui sont bien équipées sur le plan génétique et qui vivent sainement. Mais atteindre les 120 ans est une autre pair de manches. Il semble que cela restera réservé aux happy few. A condition que vous soyez content d’une vie qui se passe surtout dans un fauteuil dans une maison de retraite.

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